5 questions à Inoussa Saouna  sur le tabagisme

Inoussa Saouna est président de l’Association SOS Tabagisme-Niger. Dans cet entretien cet activiste chevronné de la lutte contre le tabagisme prend le contre-pied de l’argumentaire de l’industrie du tabac. Entretien.

Le Républicain :     Vous êtes le fondateur  de l’ONG  SOS Tabagisme-Niger. Vous avez abattu un travail gigantesque en termes de plaidoyer dans la lutte contre le tabac. Pouvez-vous succinctement brosser un état des lieux de la lutte contre le fléau du tabagisme au Niger ?

Inoussa Saouna : Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de remercier votre journal Le Républicain qui a toujours soutenu les efforts de la lutte contre le tabac au Niger. Effectivement nous avons engagé depuis 1999 date de la  création de SOS Tabagisme-Niger, la première organisation de lutte contre le tabac au Niger. Durant plus de 15 ans, des actions dans un premier temps pour faire promouvoir cette thématique au sein de l’opinion et amener les  décideurs politiques d’inscrire la question du Tabac sur l’agenda de santé au Niger et ensuite proposer des mesures à prendre pour protéger les populations contre ce fléau.

Grace à notre conviction et notre ténacité dans notre démarche  mais aussi le soutien de l’opinion, la question du tabac est devenue une préoccupation pour le Gouvernement.  Ainsi, le Niger  a été un des premiers pays Africains à ratifier la Convention Cadre sur la Lutte contre le Tabac adopté sous l’égide de l’OMS en 2003. Après sa ratification notre pays était encore le premier pays  de la sous-région à s’engager pour sa mise en œuvre avec l’adoption par L’Assemblée Nationale de la loi N°  2006-12 du 15 mai 2006.

Le Niger en dix ans a adopté tout un arsenal juridique en application de la convention Cadre. Hélas en matière d’application concrète des dispositions de la loi  le bilan est très négatif. Nous avons les dispositions légales mais rien n’a été fait jusqu’ aujourd’hui pour une application effective. Mais on note que les dispositions sur la publicité des produits du tabac sont respectées du fait du retrait des compagnies du tabac suite au procès que notre association a intenté contre ses représentants.

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Le Républicain : Quelles sont les mesures contenues dans cette loi  anti-tabac ?

Inoussa Saouna : La loi antitabac du Niger était un condensé  des dispositions pertinentes de la convention Cadre de lutte antitabac. C’était la première loi  antitabac en matière de santé publique, qui a vu le jour grâce à une vision du ministre de  la santé de l’époque J’ai nommé M. Ari Ibrahim, il a été un  soutien sérieux pour la santé publique au Niger en jouant le leadership pour cette loi alors même que certains membres de sa majorité au parlement  étaient hostiles.

La loi  à son Article premier : a pour objet de :

  • protéger la santé des populations contre les nombreuses maladies débilitantes ou mortelles dues au tabac ;
  • limiter l’accès de la population au tabac et la préserver des incitations à l’usage du tabac et du tabagisme qui peut en résulter ;
  • sensibiliser la population sur les dangers de l’usage du tabac et l’exposition à la fumée du tabac

De par  ses objectifs la loi a prévu : l’interdiction totale de toute forme de publicité du tabac, l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics, l’apposition des avertissements sanitaires, l’interdiction de la vente des produits du tabac dans les  environs des établissements scolaires et sanitaires. Toutes ces dispositions de la loi ont été détaillées par des arrêtés ministériels  pour rendre effective la mise en œuvre. Comme je l’ai souligné plus haut toute cette disposition souffre de non application.  Le nouveau Ministre de la santé à l’occasion de la Journée Mondiale Sans tabac a pris des engagements pour rendre effective l’application de la loi. Nous l’encourageons dans ce sens. SOS Tabagisme-Niger s’engagera à ses côtés dans ce sens.

Le Républicain : Une autre approche de lutte anti-tabagisme aujourd’hui consiste à dire puisqu’il est presque impossible d’empêcher aux gens de fumer alors autant recourir à d’autres alternatives visant à réduire la nocivité du tabac pour sauver les vies. Comment appréciez-vous cette démarche ?

Inoussa Saouna : Il s’agit là d’un rideau de fumée de l’industrie du tabac. Toutes les études  ont démontré qu’il n’y a pas de substitution  pour trouver des cigarettes moins nocives. Il faut d’abord rappeler que cet argument remonte y’a  plus d’un demi-siècle.

Les compagnies du tabac pendant cinquante ans  ont nié la nocivité du tabac, ils ont menti à l’humanité après avoir tué des millions de personnes.  Cette argumentation  selon laquelle on ne peut pas empêcher le tabac est une manipulation grotesque.

Aujourd’hui la consommation du tabac est en forte baisse partout dans les pays du monde ou les lois restrictives sont rigoureusement appliquées.

 C’est le cas des pays  comme Irlande, le canada, l’Australie, la Norvège, la Thaïlande etc. A l’heure actuelle  on rêve même d’avoir dans les décennies à venir des jeunes  qui ne connaîtront pas le tabac.

Le tabagisme est une épidémie mondiale dont l’agent vecteur est une industrie qui gagne des profits et qui s’organise pour maintenir ça par tous  les moyens y compris la manipulation notamment des couches averties dont la presse.

Le Républicain :     L’industrie du tabac c’est aujourd’hui plus de  150 milliards, 2201 emplois directs et 156 800 points de vente en Afrique de l’Ouest. Mais si on n’y prend le tabac ce sera aussi un milliard de morts à l’échelle mondiale courant ce 21ème siècle. En tant qu’activiste dans la lutte anti-tabac, selon vous  faut-il anéantir l’industrie du débat ?

Inoussa Saouna : L’industrie du tabac est et la seule qui a pu manipuler l’humanité en rendant légal le seul produit de consommation au monde qui tue un sur deux de ses consommateurs.

Le chiffre d’affaires de cette industrie est macabre. En vérité, qui paie les impôts à l’Etat dans  ce que prévalent  ses compagnies ? C’est bien sur les fumeurs  et s’ils  arrêtent de fumer la cigarette ce revenu est une économie pour acheter des produits de consommations plus utiles etc. L’industrie du tabac avance souvent l’argument selon lequel le tabac serait favorable pour les pays en développement, car il serait source d’emplois, de recettes fiscales et serait bénéfique en terme monétaire. Dans un rapport de l’OMS, il est souligné que parmi la centaine de pays producteurs de tabac, seuls le Malawi et le Zimbabwe sont dépendants de la production de tabac et traverse des crises alimentaires gravissimes.

L’industrie du tabac selon toutes les études est la plus  destructrice et doit  être  anéantie par l’éducation des victimes qui sont nos jeunes et l’application effective  des lois en faveur de la santé publique. Cela n’a aucune conséquences ni sur l’emploi encore mois sur les recettes fiscales des pays selon une étude de la banque mondiale.

Propos recueillis par Elh. Mahamadou Souleymane (Le Républicain No 2085)