Front patriotique pour la souveraineté : Des salves tirées sur la transition

Les choses se précisent un peu plus sur l’agenda politique du Front patriotique pour la souveraineté, cette coalition des activistes de la société civile proches du parti Lumana de Hama Amadou et qui dit « soutenir » la transition politique du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).

Cette coalition pourrait s’émanciper de la tutelle de leur parrain politique pour évoluer dans une démarche « Cosimbiste ». Et les choses semblent évoluer dans cette direction. Le samedi 20 janvier dernier, ce Front qui se revendique « patriotique » a rendu publique une déclaration dans laquelle il se prononçait sur l’agenda des discussions en cours entre le gouvernement du CNSP et l’équipe de la CEDEAO.

Déclaration dans laquelle le Front rappelait à la CEDEAO que « la durée de la transition ne relève ni de la compétence des Nations unies, ni de l’Union africaine encore moins de la CEDEAO. Il s’agit d’une compétence exclusive, indiscutable et sans partage du peuple nigérien ». Et dans la même déclaration, le Front patriotique appelle ses membres pour un sit-in sur les carrefours et ronds-points de Niamey, les 24 et 25 janvier prochains. C’est-à-dire les jours même où sont attendus dans la capitale nigérienne, les négociateurs de la CEDEAO pour la reprise des discussions avec la partie nigérienne. Des menaces à peine voilées sur le processus de pourparlers de sortie de crise suite au coup d’État du 26 juillet 2023.

Cette sortie du Front patriotique n’est rien moins qu’une menace sur le processus du dialogue, ainsi amorcé entre les autorités de la transition militaire au Niger et la CEDEAO, en vue de déterminer un chronogramme raisonnable vers un retour au processus démocratique.

Des discussions menées sous la houlette du président togolais et qui ont déjà commencé à donner des résultats tangibles avec la libération du fils de l’ancien Chef de l’Etat, Bazoum Mohamed, courant fin du mois de décembre dernier. Et alors qu’en coulisses, on parle d’une durée de la transition devant s’étaler sur une période de 18 mois. C’est à l’orée de toutes ces perspectives que le Front patriotique est sorti pour tirer des salves à bout portant sur le mince espoir de sortie de crise qui s’annonçait pour la population avec notamment la levée de toutes les mesures de sanction qui frappent le pays, dont la fermeture des frontières, l’interdiction d’entrée de toute marchandise sur le territoire nigérien, le gel des avoirs du Niger au niveau de la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest la BCEAO, entre autres. Ce sont toutes ces souffrances que la population attende voir la fin par les accords entre les autorités militaires du CNSP et la CEDEAO. La position exprimée samedi dernier par le Front patriotique pour la souveraineté ne laisse guère d’espoir pour cette sortie heureuse.

Rupture avec la démocratie

Selon toute vraisemblance, tel semble être le choix des activistes du Front patriotique, rompre avec les élections, évoluer vers une dictature militaire. Dans l’entourage des dirigeants ou chez les supporters du Front, les discours ne sont guère favorables à la démocratie, et de plus en plus, de voix se lèvent pour appeler à une transition la plus longue possible.

D’autres, prétextant la situation d’insécurité, appellent les autorités militaires du CNSP à rester au pouvoir jusqu’à l’éradication complète du terrorisme. Cette hostilité contre la démocratie et qui pointe dans le discours du Front pourrait aussi être en cohérence avec leur encrage doctrinaire en partage au sein du mouvement panafricaniste, animé par des personnages comme kemi Seba, Nathalie Yamb, Franklin Gnamissi qui ont tous fait leur pèlerinage à Niamey depuis le coup d’État du 26 juillet 2023.

Des individus médiatiques qui sont sponsorisés par la Russie de Poutine qui est déjà le parrain des régimes militaires au Mali et au Burkina Faso voisins, tous deux membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) avec le Niger. Une alliance qui est en train de s’arrimer à la Russie et qui pourrait se poser comme un moratoire de la démocratie au Sahel.

Rupture avec la transition

Si le Front est dans cette posture, c’est aussi parce que cette rupture avec la démocratie est aussi une rupture avec leur mentor, une rupture avec l’autorité morale de Lumana. En effet, cela ne fait aucun doute pour tous les observateurs nigériens que les militants du Front patriotique, majoritairement actifs à Niamey, sont dans une écrasante majorité des militants du parti Moden Fa Lumana. Avec la chute du régime Bazoum, leur leader Hama Amadou qui se trouvait à Paris pour échapper à des poursuites judiciaires qui le concernaient, a vite précipité son retour au pays dans la perspective de pouvoir jouer un rôle dans la transition.

Mais le contexte de la transition militaire va vite lui être défavorable. D’abord, la mesure de suspension des activités politiques qui lui donne très peu de marge de manœuvre, se contentant surtout d’agir en offshore par le canal des activistes politiques de son entourage.

Il a envisagé de se dégager de toutes les menaces judiciaires quand il a décidé volontairement de se présenter devant le tribunal pour vider son dossier. Hélas, il n’obtiendra de cette démarche qu’une liberté provisoire. C’est-à-dire que tous les dossiers en suspens contre lui restent encore ouverts. Récemment encore, le Procureur général, près la Cour d’Appel de Niamey a annoncé la poursuite judiciaire sur l’affaire de détournement des fonds du ministère de l’éducation de base, un dossier connu sous le nom de l’affaire MEBA. Ce qui n’est pas sans ajouter aux désarrois de Hama.

Ensuite, dans l’entourage de sa formation politique, les acteurs enrôlés sous l’étiquette de la société civile avec le Front patriotique manifestent de plus en plus des velléités d’émancipation. Ils veulent se frayer une carrière négociée ou discutée directement avec les responsables de la transition militaire.

L’offre d’emploi est prometteuse dans les organes de la transition et aussi avec la perspective de la dissolution des conseils municipaux et des conseils régionaux. Ce sont toutes ces perspectives de nominations que les membres du Front veulent discuter comme salaire de leur soutien. Et on sera en plein dans un processus de « Cosimba » si tout cela se matérialise. À terme, Hama Amadou pourrait ne plus avoir le moindre contrôle sur son écurie.

En outre, l’accompagnement de la transition n’est plus qu’un leurre. Aujourd’hui, les acteurs du Front semblent échapper à tout contrôle pour rouler à leur propre compte. Et cela, y compris en opérant un ingénieux braquage de la transition. Dans une intervention à la faveur d’un message à la nation, le Chef de l’État, le Général Abdourahmane Tiani annonçait très bien au sujet de la transition, que sa durée n’excédera pas trois ans. Tel est le canevas officiel dégagé par les autorités militaires de la transition.

Accompagner la transition du CNSP, c’est aussi participer à la mise en œuvre des actions de l’agenda de la transition. Aujourd’hui, le Front patriotique n’est plus dans cette logique, il tente plutôt d’imposer à la transition militaire une nouvelle feuille de route.

Coup sur coup, le Front patriotique pousse ses pions et tente de s’emparer de la transition. Après avoir réussi à casser le commissaire de la ville de Niamey, ils sont parvenus à pousser le Premier ministre à la faute, en le lançant dans une attaque frontale contre une organisation de la société civile, la Dynamique citoyenne pour une transition réussie (DCTR).

Une organisation qui elle, milite pour une sortie de crise par les négociations avec différents partenaires du Niger. Attaque par laquelle le Premier ministre Lamine Zeine a quitté le principe de neutralité qu’il devrait observer.

À présent, avec sa dernière sortie du 20 janvier dernier, la menace de braquage du Front patriotique se tourne sur le CNSP que les activistes veulent détourner de toute discussion avec la CEDEAO vers un retour aux élections. Y réussiront – ils ? Tous les nigériens ont désormais le regard sur cette entreprise à risque du Front patriotique.

 Ibrahim Elhadji dit Hima