Putsch du 26 juillet : À qui profite le coup ?

Plus le temps passe, plus il apporte le recul nécessaire pour décrypter les faisceaux d’autres indices sur les contours du renversement du régime de Bazoum Mohamed, le 26 juillet 2023. Un putsch qui n’a pas encore fini de faire parler de lui par son caractère inédit. Pour une fois que la scène du coup d’État passe inaperçue à tous les canaux de renseignements de la France.

Un coup qui échappe aussi au contrôle de la France, puisque quand il s’est opéré, la France n’a jamais pu trouver un officier supérieur sur lequel s’appuyer pour récupérer le putsch ou au moins obtenir quelques faveurs. Inédit dans la tradition française dans cet espace de l’Afrique francophone où la France a toujours su gérer un bon carnet d’adresses au sein de l’établissement militaire. Putsch singulier aussi par la controverse qu’il a suscité lorsque la France qui a été totalement flouée sur toute la ligne dans le déroulement n’a trouvé pour toute explication que l’implication de l’ancien Président de la République Issoufou Mahamadou dans le coup.

Accusation bancale parce que l’ancien Président Issoufou Mahamadou est issu du même parti politique que Bazoum, mieux encore, Issoufou est le parrain politique de Bazoum. C’est lui qui, contre une forte majorité des responsables PNDS Tarraya, l’a imposé comme candidat à la présidence du Niger. Et c’est lui Issoufou qui a coaché de bout en bout la campagne électorale de Bazoum. Et c’est dans les fiefs électoraux où Issoufou Mahamadou dispose de forte sympathie dans les régions de Tahoua et de Maradi que Bazoum a été largement plébiscité. En fait, la France en citant Issoufou Mahamadou comme « complot » du putsch du 26 juillet dernier, n’a fait que rester conforme à sa logique de manipulation.

Puisqu’elle a échoué à récupérer le putsch, alors, il faut créer les conditions d’une crise profonde au sein des acteurs politiques et militaires: semer la zizanie au sein du parti au pouvoir, le PNDS Tarayya, en précipitant les militants dans une querelle entre les partisans de Bazoum et ceux de l’ancien Président Issoufou Mahamadou. Ensuite, jeter un climat de suspicions au sein des officiers supérieurs en faisant croire que leur putsch n’en est pas vraiment un, puisque le général Tiani Abdourahmane, l’artisan principal du coup d’État et ancien commandant de la garde présidentielle n’est rien d’autre qu’un très proche d’Issoufou Mahamadou pour avoir été commandant de sa garde présidentielle tout au long des 10 ans de ses deux mandats passés au pouvoir.

 Des révélations qui ont pesé dans le putsch

Avec le temps, certains éléments nouveaux voient le jour dans le maillage des éléments qui ont participé à la dégradation des relations entre l’armée et le Président Bazoum. Dans sa première sortie pour annoncer les raisons de l’intervention de l’armée pour déposer Bazoum Mohamed, le général Tiani n’a pas fait dans les détails. L’ancien ambassadeur de la France, Sylvain Itté, n’a point mentionné, lui aussi, ces détails qui fâchent.

De quoi s’agit-il ? Sur le théâtre des opérations,  avec les recoupements des canaux d’informations, il est apparu que c’est l’État major français qui, à distance, dirige les opérations. Que les engagements militaires sur le terrain doivent attendre au préalable le « ok » de l’État major français. Et tout cela parce qu’il importait pour la France de garder la main haute sur les opérations et en temps réel, parce que c’est la France qui est mieux habilitée pour éviter les pertes et les dégâts collatéraux.

Du fait de la présence des militaires français sur le terrain, c’est toujours la France qui cordonne les opérations, et non l’État major nigérien. Et au nom de ce principe, les soldats nigériens étaient obligés de garder l’arme aux pieds, ils ne pouvaient tuer aucun terroriste sans le feu vert de Paris.

Drôle de guerre. Qui eut crû que le sort de cette vaste soi-disant guerre contre le terrorisme se jouait à ce détail ? Les militaires nigériens accumulaient les frustrations mais Bazoum Mohamed avait maintenu ce fonctionnement avec la France. La colère de l’armée pouvait monter, il n’en avait pas peur parce qu’il savait pouvoir compter sur le parapluie de la France pour le protéger mais aussi sur son ami politique, Issoufou Mahamadou. Cette situation où l’armée nigérienne était ligotée et ne pouvait rien faire sans l’aval de Paris, a fini d’irriter et d’énerver les militaires contre Bazoum Mohamed.

À cela, il faut ajouter les aspects déjà largement évoqués dans les relations du Président déchu avec la grande muette. N’est pas Bazoum qui clamait haut et fort que l’armée du Niger n’est pas forte, que les terroristes sont plus aguerris, discréditant et démoralisant sa propre armée.

S’y ajoutent les audiences au palais de la présidence avec des chefs terroristes au vu au su des officiers de l’armée. Ou encore cette affaire des chefs terroristes qui ont été pris et jeté en prison par l’armée nigérienne, et que Bazoum Mohamed libère sur les conseils de la France qui indique que ce sont « des terroristes amis ». Il y a aussi des questions personnelles, c’est-à-dire ces propos du Président Bazoum qui traitent les éléments de la garde présidentielle, attachée pourtant à sa sécurité, de voleurs, d’esclaves… De tout cela, l’ambassadeur français n’en parle pas parce qu’il ne peut voir des indices suffisamment constitués pour que les choses basculent en cette petite matinée du mercredi 26 juillet 2023.

 À qui profite le coup ?

On peut poser la question pour voir qu’est-ce que Issoufou Mahamadou pouvait avoir à gagner à faire un coup d’État à Bazoum. Il faut dire d’abord qu’Issoufou Mahamadou a beaucoup de choses avant le 26 juillet.

Auréolé de ses deux mandats conduits sans encombres et avec le volume des réalisations à son actif comme aucun président ne l’a fait au Niger, l’ancien Président a aussi marqué les esprits au niveau national comme à l’international quand il n’a pas cédé aux chants des sirènes pour un troisième mandat, pourtant en vogue dans la sous région. Autre challenge réussi, celui de passer le pouvoir à un candidat élu de son parti politique. Et cerise sur le gâteau, les choses ont souri à Issoufou Mahamadou quand le Niger s’est doté d’un Président de la République issu de la minorité ethnique, marquant ainsi une certaine maturité de la démocratie au Niger sous le magistère de Issoufou Mahamadou. Et cette réussite, ce bilan est une carte maîtresse entre les mains de l’ancien Président du Niger qui pouvait ambitionner toutes carrières à l’internationale, et pourquoi pas au poste de secrétaire général de l’ONU. Why not comme diraient les anglo-saxons.

Au plan national, Issoufou Mahamadou dispose d’un réseaux de proches au pouvoir, le Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou, le Vice Président de l’Assemblée nationale, Kalla Ankourao,  Foumakoye Gado, patron du parti au pouvoir, tous des hommes clefs du régime et ténors du parti PNDS Tarayya, et qui sont donnés comme les hommes de Issoufou Mahamadou. Mais même lorsque Bazoum Mohamed peut manifester quelques velléités d’émancipation ou de distanciation, il demeure quand même un proche d’Issoufou qui a été son parrain politique. C’est là entre autres les atouts d’Issoufou Mahamadou avant le 26 juillet.

Qu’est-ce que Issoufou peut gagner de plus ? Un poste de premier pour son fils Abba Issoufou comme le laissent entendre les spéculations politiques de Niamey, la capitale ? À tout bien considérer Issoufou Mahamadou aurait plus à perdre qu’à gagner dans ce cas. Mais en plus, si Issoufou était l’instigateur du putsch, sans doute qu’il aurait aussi prévu le scénario échec et éviter la prison et l’éloignement avec son fils. Or, ce n’est pas le cas, dès les premiers jours qui ont suivi le putsch, Abba Issoufou n’a pas échappé à la chape de plomb qui s’est abattue sur les anciens dignitaires du régime déchu, il sera arrêté et incarcéré à la prison civile de Filingué, loin de Niamey.

En vérité, il y a un seul aspect sur lequel certains observateurs se sont appuyés pour trouver une part de responsabilité d’Issoufou Mahamadou dans le putsch: parce qu’il n’a pas pu faire rétablir Bazoum Mohamed dans ses fonctions. Ce serait trop surestimer l’influence d’Issoufou Mahamadou de penser qu’il puisse obtenir la démission de l’équipe qui a fait le putsch. Et la question qui vient tout de suite est : est-ce que dans l’histoire des coups d’État, on a vu des putschistes qui renoncent à leur putsch et retournent le pouvoir au Président renversé pour retourner tranquillement dans les casernes ? Est-ce qu’Issoufou Mahamadou peut avoir une influence comme celle-là sur le Général Tiani Abdourahamane, le Général Salifou Mody, le Général Toumba Mohamed ou encore le Général Salaou Barmou ? Est-ce que Issoufou Mahamadou a cette autorité sur tous ces généraux pour les plier et les amener à remettre Bazoum au pouvoir et retourner dans leurs casernes ?

Ibrahim Elhadji dit Hima