Economie : Ce qu’il faut savoir sur la dette publique nigérienne

 

Avec l’avènement de la démocratie et des réseaux sociaux au Niger ayant contribué au passage, au renforcement de la liberté d’expression, la quasi-absence des débats publics sérieux, voire rigoureux sur les médias traditionnels ou le Parlement, pousse nos concitoyens, plus ou moins avisés, de s’emparer et de débattre de plus en plus des sujets, plus ou moins sensibles, jadis réservés à une certaine élite du pays, sur les plateformes souvent dénuées de tout encadrement au risque de provoquer l’ire des autorités. En effet, les récentes « publications sur les réseaux sociaux [qui] font état d’un recours à des emprunts chaque mois pour payer les salaires et rembourser d’autres emprunts et, par conséquents, l’Etat du Niger croulerait sous le poids de la dette », ayant provoqué une « passe d’armes », montrent à quel point, nos concitoyens aspirent à une « meilleure » transparence et la conduite des débats rigoureux en matière des finances publiques.

La « quasi-passe d’armes » observée dernièrement sur la question de la dette publique, à travers des communiqués interposés, entre la Direction Générale du Trésor et de la Compatibilité publique et un acteur de la Société Civile, l’ONG ICON en occurrence, témoigne de la nécessité de mener davantage des échanges apaisés entre les autorités et les acteurs de la société civile sur des sujets aussi importants comme la dette publique qui pouvait engager la vie de la nation.

Changer de regard sur la dette publique

 

Au Niger, tout comme dans de nombreux pays en développement, bien que le concept de la dette publique reste très peu connu du grand public, du moins dans ses aspects techniques, il continue de cristalliser les débats. Une cristallisation qui serait en partie imputable à la confusion savamment entretenue de nos jours et qui consisterait à ne point distinguer à la fois les différents types de dettes et les bénéfices que l’on pourrait en tirer.

En guise de rappel, la dette (tout court) d’un agent économique est un engagement à rembourser un capital emprunté, assorti éventuellement du paiement de l’intérêt correspondant. Une dette a donc pour contrepartie une créance détenue par le préteur sur le débiteur. Quant à la dette publique, elle est constituée de l’encours total, comme nous le verrons plus tard pour le Niger, des titres d’emprunts publics (titres d’emprunts d’Etat, bon de Trésor, dettes des entreprises publiques…). La dette publique résulte du financement des dépenses publiques par l’emprunt plutôt que par l’impôt. Il faut distinguer la dette publique et la dette de l’Etat ou dette souveraine : la dette souveraine est celle qui est contractée ou garantie par l’Etat central (Etat au sens strict), la dette publique ajoute à la dette souveraine, les dettes contractées par les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales.

La cristallisation évoquée ci-dessus sur cette question remonte vers la fin du deuxième mandat de S.E.M. Mahamadou Issoufou ; période où la dette s’est en partie imposée comme l’un des thèmes centraux, tant dans le débat politique que l’espace médiatique, au point que certains journaux de la place voulaient en faire un scandale, comme en témoigne cet article intitulé « le président Issoufou, champion de l’endettement au Niger » (http://news.aniamey.com/h/100228.html).

Un contenu qui ne laisse guère de doute sur la volonté de semer la psychose au sein de la population. Cette volonté consistant à faire de la dette comme un danger n’est pas seulement l’apanage des médias nigériens. Elle s’observe dans de nombreux pays de la planète en raison des enjeux autour, comme en témoignent les Economistes atterrés dans leur ouvrage intitulé « la dette publique, précis d’économie citoyenne », paru en 2021 aux Editions du Seuil. « Quasi Omniprésents dans l’espace public, les enjeux autour de la dette publique, qu’ils soient économiques, sociaux ou politiques, apparaissent souvent difficiles à appréhender par les citoyens. Cette difficulté réside dans le fait que nous partageons globalement une vision morale et dépolitisée de la dette, qu’elle soit publique ou privée. Quand on aborde la question de la dette, la plupart des personnes interrogées partent du postulat qu’« on doit toujours payer ses dettes ». Et c’est ce qui fait la force de ce concept et des utilisations politiques qui en sont faites. En effet, dire qu’il faut en toutes circonstances payer ses dettes relève du bon sens et de la morale admise par tous.

De cette conception morale et interpersonnelle de la dette (si un ami me prête de l’argent, je dois le lui rendre), on est passé à une conception économique et politique, calquée sur ce modèle. Si un Etat emprunte, quelles que soient les conditions, il doit rembourser. Peu importe si certains jugent cette dette illégitime (car contractée par un régime non démocratique ou à des fins contestables, par exemple), ou si des acteurs financiers privés s’octroient de généreux intérêts sur celle-ci.

Peu importe que cette dette ait servi à financer des écoles et des hôpitaux publics ou soit le résultat d’une fiscalité favorable aux plus riches. Peu importe que le paiement de sa charge serve de prétexte à la dégradation des conditions de vie des plus fragiles d’entre nous.

Au final, les engagements envers les créanciers priment sur ceux pris à l’égard des citoyens. Comment justifier que certains engagements valent plus que d’autres ? En tant que relation entre deux personnes (physiques ou morales) où l’une doit quelque chose à l’autre, la dette est une relation sociale structurante de nos sociétés : nombre de nos interactions avec les autres tiennent à une obligation de rendre quelque chose (une faveur, un service…). Mais la forme que prend cette promesse dépend largement de la manière dont elle est institutionnalisée. Ainsi, dans certaines sociétés, les relations économiques se structurent essentiellement autour du « don contre-don ». C’est parfois encore le cas aujourd’hui : quand un ami nous aide à déménager, on se sent redevable et on l’invitera à dîner pour le remercier. Mais, dans nos sociétés marchandes, la dette prend la forme d’un prêt à intérêt (…).

(…) En résumé, la dette est avant toute chose, une relation sociale, qui peut porter en elle une forme d’asservissement, voire de violence lorsque le débiteur est acculé. Elle nous permet de mieux comprendre les discours économiques qui l’envisagent comme la relation entre un débiteur et un créancier. Cette dette financière est essentielle au fonctionnement du capitalisme puisque, bien souvent, les entreprises ne peuvent s’auto-financer. Elles doivent donc emprunter pour investir, payer les salaires, les matières premières et les machines avant de vendre leurs produits et réaliser un profit.

Parallèlement, les administrations publiques doivent financer l’investissement public et la production non marchande, donc les traitements des fonctionnaires, avant de lever l’impôt. Mais le parallèle entre la dette publique et la dette privée s’arrête là.

En effet, l’Etat est un agent économique dont la particularité est de disposer d’un horizon de vie infini. Ainsi, là où un individu ou une entreprise doit rembourser ses dettes avant de mourir ou de faire faillite (c’est une obligation morale et légale !), l’État peut faire « rouler » sa dette, c’est-à-dire emprunter de nouveau pour rembourser d’anciens prêts, et cela ad vitam aeternam.

De plus, l’État, contrairement aux entreprises et aux ménages, a la maîtrise de ses ressources et ne peut faire faillite. Il peut adapter ses recettes en levant l’impôt, faire défaut sur tout ou partie de sa dette (non sans danger toutefois), ou encore recourir au financement monétaire de la banque centrale.

Enfin, l’endettement public permet d’assurer la régulation de l’économie en temps de crise et le financement pérenne des investissements collectifs (ce que le secteur privé est incapable de faire).

La situation de la dette publique nigérienne

 

A l’instar de nombreux pays en dévéloppement, le Niger a régulièrement eu recours à la dette pour couvrir certains de ses besoins de financement. En effet, les dépenses publiques du pays sont plus élevées que ses recettes. Cette situation crée chaque année, un déficit qui est financé par des emprunts qui captent une partie de l’épargne nationale et internationale. Le cumul de ces emprunts passés constitue la dette publique. La dette constitue ainsi un outil essentiel de gestion des finances publiques mais sa maîtrise doit être assurée. Faute de recours à l’endettement, les dépenses publiques ne sauraient excéder les recettes.

Avec un encours de 4.839.2 milliards de FCFA fin 2022, le Niger reste le troisième pays le moins endetté de la zone UEMOA (Voir notre graphique « Encours de la dette publique à fin 2022 »). Cette situation est, entre autres, le fruit de la politique d’endettement prudent optée par le gouvernement.

Si l’on considère le ratio dette publique sur PIB – cet indicateur est sujet à critiques et n’est nécessairement le plus pertinent aux yeux de certains économistes pour mesurer le poids de la dette publique, notamment parce que l’Etat est un agent économique très particulier du point de vue de l’endettement. Il diffère radicalement des autres agents économiques sur un point crucial : il peut « rouler sa dette » (contrairement à une entreprise ou à un ménage, l’État a la possibilité de renouveler indéfiniment sa dette) – le Niger reste le pays le moins endetté de l’espace UEMOA.

Quels coûts pour les finances publiques ?

 

En marge de la dette publique, la charge de dette qui est l’ensemble des dépenses de l’État consacrées au paiement des intérêts de sa dette, reste un élément important qu’il convient de scruter. Au Niger, la charge de la dette reste peu significative. Le service de la dette progresserait de 19,41% en 2023 pour ressortir à 443,87 milliards contre 424,46 milliards en 2022. Ce montant est souvent utilisé par les détracteurs de la dette pour montrer son aspect « nocif ». Or, même s’il peut paraitre relativement élevé, le bénéfice tiré semble largement supérieur puisque le fait de ne pas recourir à la dette peut s’avérer problématique par de nombreux secteurs en manque de financements.

Sans oublier que le gouvernement continue de mettre tout en œuvre pour mieux maitriser la charge de la dette. En effet, le Niger a réduit récemment son endettement intérieur à court terme, le plus coûteux, en faveur d’un financement extérieur à long terme, moins coûteux. Il devrait également poursuivre les réformes visant à améliorer la gestion de la dette publique, tout en accordant la priorité aux financements concessionnels pour les années à venir.

La stratégie récente d’endettement public

 

Pour les années à venir, le « Gouvernement envisage de prendre des mesures afin de concilier la couverture du besoin de financement avec sa politique d’endettement prudent » (pour en savoir plus, le document sur la stratégie d’endettement public au titre de l’année budgétaire 2022 est disponible via ce lien :http://www.finances.gouv.ne/index.php/lois-de-finances/file/785-strategie-d-endettement-public-au-titre-de-l-annee-budgetaire-2022).

Une stratégie qui s’inscrit, en partie, dans le cadre fixé par l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), dont le Niger est membre. Cette institution, à titre de rappel, a adopté le 04 juillet 2007, le Règlement n°09/2007/CM/UEMOA portant cadre de référence de la politique d’endettement public et de gestion de la dette publique. Ce dispositif permet à chaque Etat membre, entre autres, d’améliorer la gestion de la dette et des finances publiques et d’avoir un guide concernant les décisions d’emprunts de manière à couvrir son besoin de financement à moindres coûts, tout en minimisant les risques inhérents. Il tient compte des ressources potentielles devant permettre à l’Etat d’assurer le service de sa dette actuelle et future et contenir les éventuels chocs auxquels il peut être exposé. C’est dans ce cadre que le Niger a élaboré en mai 2021, une Stratégie de la Dette à Moyen Terme (SDMT) couvrant la période 2021-2023 sur la base du cadrage macroéconomique de la même période et de la situation du portefeuille de la dette publique à fin décembre 2020.

Si la politique d’endettement prudent prônée par le gouvernement semble justifiée à certains égards, elle ne doit cependant pas occulter les besoins de financement croissants et colossaux du pays et par conséquent nuire à son développement économique. Puisque le Niger, à l’image de certains pays du Sahel, fait face à une crise sans précédent. Aux enjeux de développement préexistants s’ajoute aujourd’hui une crise multiforme, sécuritaire, humanitaire et environnementale. Cette crise prend aussi racine dans les inégalités et un sentiment d’injustice profondément ancré, en particulier chez les jeunes. Les inégalités sont criantes et se manifestent dans tous les domaines de la vie (Oxfam, 2019).  Face à ces défis, l’endettement public, lorsqu’il est utilisé à bon escient, peut contribuer à apporter de meilleures réponses car il finance des investissements qui bénéficient à tous et favorisent le développement économique, social et durable du pays.

 

Adamou Louché Ibrahim

Analyste économique

Niger Inter Hebdo N°111 du mardi 23 mai 2023