Lutte contre la corruption : Jusqu’où ira le Président Bazoum ?

 

 

Le Président Mohamed Bazoum saura-t-il satisfaire la demande de justice des Nigériens notamment dans la lutte contre la corruption et les infractions assimilées ? L’opération dite « basanibasabo » qu’on lui attribue ira-t-elle jusqu’au bout ou s’arrêtera-t-elle à mi-chemin ?  La vague d’inspections générales d’Etat (IGE) qu’il a ordonnées donne l’impression à plus d’un observateur que “le clash“ est inévitable au sein de la majorité au pouvoir. Dans cette volonté de nettoyer les écuries d’Augias, d’aucuns se demandent si le Président a-t-il seulement les moyens de son sacerdoce ?

Le chef de l’Etat est-il disposé à frapper, y compris dans son propre camp, c’est-à-dire celui de ses alliés et camarades du parti comme il l’a martelé à l’occasion de son discours d’investiture ?  La vague d’inspections générales d’Etat ordonnées par le Président de la République, Mohamed Bazoum donne à redire à plus d’un citoyen. A preuve, la Présidence de la République, la Primature, le Haut conseil pour l’investissement au Niger (HCIN), UA-2019, le Ministère de l’équipement sont concernés par les IGE en cours. Ce qui en dit long sur le caractère inédit de la lutte contre la corruption dans notre pays.

On le sait, s’il y a un dossier sur lequel l’actuel Président nigérien est attendu, comme d’ailleurs son prédécesseur, c’est bel et bien celui de la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics. La question de la corruption est revenue sur les devants de l’actualité nationale ces derniers temps avec la scabreuse affaire dite « Ibou Karadjé » après le tristement célèbre scandale du ministère de la défense nationale.

La suite est connue : Ibou Karadjé, le jeune loup du PNDS-Tarayya à Harobanda est détenu à la prison de haute de sécurité de Koutoukalé. En saisissant la justice sans aucun atermoiement contre ce jeune leader rose, le Président Mohamed Bazoum a voulu  administrer la preuve de son engagement sans faille à lutter contre la corruption et que son message sur ce sujet, lors de son discours d’investiture, n’est pas une simple déclaration de circonstance.

N’a-t-il pas, en effet, déclaré que « quiconque a une responsabilité dans l’administration publique répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes » ? Le fait que cette affaire ait pu atterrir devant la justice durant les 100 jours de sa gouvernance est une prouesse à saluer à sa juste valeur.

Bannir l’impunité…

Nous avons bon espoir que le Président Mohamed Bazoum et le gouvernement dirigé par M. Ouhoumoudou Mahamadou vont poursuivre la lutte contre la corruption, les détournements des deniers publics, la concussion et l’enrichissement illicite. Du reste, le Premier ministre a réitéré cet engagement du Président de la République dans sa Déclaration de Politique Générale (DPG), adoptée le mercredi 26 mai par l’Assemblée nationale.

On le sait, le Président Bazoum a fait le pari d’asseoir une gouvernance vertueuse après un diagnostic sans complaisance de la façon jusque-là dont les affaires de l’Etat sont gérées.

Et comme pour joindre l’acte à la parole, le Chef de l’Etat promet une tolérance zéro à tous ceux qui entendent s’amuser avec les deniers publics. « C’est pourquoi, je voudrais dire clairement ici que quiconque a une responsabilité dans l’administration publique répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes. Son parti politique, sa « base », sa famille, sa communauté ne lui seront d’aucun secours au cas où son comportement devrait commander une mesure coercitive à son encontre. Pour cela, j’exigerai de tous les responsables aux différents échelons de l’administration que les cadres soient promus sur la base de leur compétence technique et de leur moralité », a averti Mohamed Bazoum.

C’est pourquoi nul n’est surpris de sa rencontre avec les responsables de la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA). Cette institution a, comme qui dirait, du boulot sous le magistère du Président Bazoum. Une posture qui augure une belle précaution à prévenir la corruption d’abord dans son propre gouvernement.

A ce sujet d’ailleurs, le Président Bazoum entend « mettre en place une cellule de veille pour débusquer, en temps réel, les ministres et autres responsables ripoux », apprend-on. Ceux qui ont des pratiques néfastes ne sauraient prospérer sous la dynamique ainsi insufflée à la gouvernance sous l’ère Bazoum.

Quel gain politique pour Bazoum ?

En parlant de la situation au Mali, à l’occasion de sa conférence de presse conjointe avec le Président Emmanuel Macron, l’on a entendu le Président Bazoum dire « qui aime bien châtie bien ». Ce qui constitue une preuve d’affection que d’être dur avec quelqu’un, quelle que soit sa proximité avec vous, de souligner ses défauts.

C’est aussi cela la pédagogie par l’exemple prônée par cet enseignant aux commandes de l’Etat. C’est pourquoi, depuis son discours d’investiture, s’il y a une constante dans son approche concernant la lutte contre ce fléau, c’est bien  la volonté  de punir, de châtier les auteurs qu’il perçoit comme la meilleure précaution pour asseoir une bonne gouvernance.

« Le défi de la gouvernance est d’autant plus grand chez nous que prévaut une mentalité pas toujours en harmonie avec les valeurs de l’Etat de droit et ses exigences relatives à la primauté de la loi ainsi qu’à l’égalité de tous les citoyens. Sans verser dans une certaine anthropologie philosophique, mon propos consiste à relever que dans notre société, nous avons tendance pour diverses raisons à nous accommoder même des comportements qui s’écartent des normes définies par nos lois et nos règlements. Or, il est temps que nous nous ressaisissions et que nous fassions preuve de rigueur », a déclaré le Président Bazoum dans son discours d’investiture.

Le pronostic du Président de la République Mohamed Bazoum pour inverser la tendance force l’admiration lorsqu’il dit dans son discours d’investiture : « Ma conviction intime est que notre pays a devant lui un bel avenir, pourvu que nous soyons en mesure d’apporter les bonnes réponses à ses défis. Pour cela, nous avons besoin prioritairement de faire deux choses : promouvoir une bonne gouvernance et repenser radicalement notre système éducatif… ».

Et pour promouvoir la bonne gouvernance, à l’occasion de sa grande interview des 100 jours, le Président Bazoum a dit qu’il entend se donner des moyens d’être efficace, notamment dans la lutte contre la corruption pour qu’il ne soit pas réduit à faire de l’incantation.

Et il va sans dire que l’affaire Ibrahim Moussa dit Ibou Karadjé vient de conforter le Président Bazoum et les Nigériens en général qui viennent de découvrir l’ampleur du banditisme d’Etat qui porte la signature de certains cadres concussionnaires de l’administration publique. D’aucuns se demandent également jusqu’où ira le Président Bazoum dans son élan à lutter véritablement contre la corruption ?

A cette inquiétude, le Chef de l’Etat a répondu aux confrères de France24 et Rfi, en parlant du scandale au ministère de la défense nationale, que « Nous ferons en sorte que l’impunité cesse lorsque des nigériens commettent des choses de ce genre ».

Sauf que d’aucuns se demandent si le Président Bazoum ne risque-t-il pas de se mettre les bâtons dans les roues dans la mise en œuvre de son propre programme au cas où son parti le PNDS-Tarayya et ses alliés ne sont pas sur la même longueur d’onde que lui.  Ce qui est de nature à créer une tension, voire, un imbroglio politique en ce sens que les forces politiques pourraient s’opposer et désavouer le Chef de l’Etat. Ce qui pourrait constituer un gros risque, un vrai défi pour sa gouvernance. Et on le sait, en Afrique, la lutte contre la corruption est rarement synonyme de gain politique tant les forces centrifuges ont une capacité de nuisance imprévisible.

Dans ce sens, il va sans dire que la posture actuelle du Président Bazoum est très risquée si d’aventure il n’a pas l’assentiment de son parti et de ses alliés. C’est pourquoi d’aucuns pensent qu’il serait plus réaliste pour le Chef de l’Etat de savoir ménager la chèvre et le chou, une façon d’être plus efficace dans ce combat où nul ne doute de son engagement et de sa sincérité.

A notre humble avis, dans le contexte politique actuel, la lutte contre la corruption ne saurait se faire avec fanfare tant elle frise le sacerdoce, le sacrifice ultime si on n’y prend garde. Nous pensons que pour être efficace, le Président Bazoum doit d’abord instaurer la gouvernance vertueuse au sein de sa propre équipe tout en disposant des moyens de coercition à l’encontre des gestions antérieures.

  En un mot comme en mille, nous pensons qu’il faut certes nettoyer les écuries d’Augias mais encore faut-il le faire en prenant des risques mesurés. Une façon d’être efficace pour ne pas se réduire effectivement ‘’à faire de l’incantation’’, comme l’a martelé le Président Bazoum himself.

Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N° 39