Dans son adresse à la nation du 27 mars 2020, le Président de la République du Niger a annoncé une batterie de mesures socio-économiques pour soutenir les nigériens dans cette période sans précédente que traverse l’humanité. Selon le président du Niger Issoufou Mahamadou le choix des stratégies pour faire face à cette crise mondiale « dépend des capacités économiques et financières de chaque pays ».
Dans ce sens, le président Issoufou, a annoncé des mesures, le moins qu’on puisse le dire fortes, qui se chiffrent à hauteur de 597 milliards de franc CFA soit près de 7% du budget du pays. Ce sont des mesures sans précédentes pour un pays comme le Niger qui d’ailleurs fait face à une dépense budgétaire énorme (près de 20% du budget) sur le plan sécuritaire (cf : le message à la nation du président de la république sur la situation de la pandémie du coronavirus (covid-19) du 27 mars 2020).
Dans ce message, le rôle du Président de la République comme protecteur de la nation est clairement assumé. Une volonté manifeste pour soutenir l’économie du Niger ne fait aucun doute. Toutefois, la contradiction se manifeste au niveau même du système économique du Niger. En effet, le Niger est un pays a double système économique. C’est un pays ou cohabitent l’économie formelle et l’économie informelle.
Selon les données les plus récentes de l’INS (2019), vu sous l’angle formel/informel, la valeur ajoutée du secteur formel a augmenté de 804,0 milliards, alors que celle de l’économie informelle a progressé de 622,3 milliards, comparativement à l’ancienne base. Ce qui fait que la contribution de l’économie formelle est estimée à 45,9% du PIB alors que celle de l’économie informelle atteint jusqu’à 54,1%, du PIB. L’économie informelle représente environ 70% de l’économie du pays et crée près de 80% de nouveaux emplois (INS 2018). Dès lors la question que l’on peut se poser est de savoir quel sera l’impact réel de ces mesures sur les entreprises nigériennes après le COVID-19 ?
L’impact des mesures prises sur les entreprises nigériennes après le COVID-19
Les mesures prises par le président de la République en faveur de l’économie nigérienne sont sans doute importantes si l’on considère la capacité économique et financière de ce pays. Ce sont des mesures qui pourront aider les entreprises nigériennes à survivre après le COVID-19. D’ailleurs « l’élargissement de l’accès au refinancement aux effets de 1700 entreprises supplémentaires » est un exemple fort. Cependant il faudra connaitre les statuts et les critères pour accéder à ce refinancement.
Les entreprises informelles font-elles partie de ces entreprises à refinancer ? Probablement non ! Dans ce cas l’exclusion des entreprises informelles de ces mesures risque d’aggraver les injustices sociales et l’incivisme fiscal de ces entreprises qui estiment ne rien recevoir de l’Etat. Sachant qu’une bonne partie des acteurs informels viennent de milieux défavorisés, les mesures prises par l’Etat du Niger seront efficaces à condition que l’économie informelle puisse en bénéficier. D’ailleurs ce sera une bonne opportunité pour l’Etat du Niger à relancer un plan de formalisation de milliers des entreprises à pleine potentialité entrepreneuriale. Cette question de l’économie informelle a été légèrement abordée par Ibrahim Adamou Louché dans son analyse économique du 4 avril 2020(https://nigerinter.com/2020/04/crise-du-covid-19-pour-un-niger-plus-resilient/).
Parmi les batteries de mesures prises, trois sont destinées aux plus démunies. Il s’agit de la mesure portant sur la concertation avec les opérateurs économiques au besoin afin d’encadrer les prix pour contenir l’inflation (i). C’est une mesure économique mais dont la portée est directement sociale dans le sens où elle facilitera l’accessibilité des produits à un prix abordable pour les plus démunies. Cette mesure est en lien avec la mesure portant sur la prise en charge par l’État pour les mois d’Avril et Mai des factures d’électricité et d’eau pour les tranches sociales (ii).
La mesure portant sur le renforcement du plan de soutien annuel pour soutenir les personnes vulnérables vient couronner les deux autres mesures socio-économiques. Il n’y a pas de doute que ces mesures sont sociales et humaines (ce qui répond d’ailleurs à l’idéologie de l’internationale socialiste). Cependant, il n’en demeure pas moins que leur impact sera limité si rien n’est fait pour prendre en compte le besoin de l’économie informelle où se loge un grand nombre des entreprises informelles. Disons un grand nombre car personne ne peut aujourd’hui dire avec exactitude le nombre des entreprises informelles que compte le pays. La seule certitude est qu’elles sont plus nombreuses que les entreprises « formelles ». Donc on comprend par-là que l’efficacité des mesures annoncées nécessite la prise en compte de ces nombreuses entreprises informelles qui bien soutenues, elles sont des incubatrices pour l’entrepreneuriat industriel (Mayaki 2018, Williams 2013). Dans ce cas le changement du modèle économique du pays est nécessaire pour que ces mesures puissent être à la hauteur de résultats escomptés après le COVID-19.
Repenser le modèle économique du pays.
La crise de COVID-19, va certainement avoir des conséquences indubitables quant à la fiabilité et la légitimité sociale du modèle économique mondiale actuel. D’ores et déjà, la France pense à un revirement spectaculaire vers plus de protection et de création des entreprises nationales. Selon Bruno Le Maire, ministre de l’économie française, « tous les moyens à disposition seront utilisés pour protéger les grandes entreprises françaises, y compris des opérations de prise de participations et même de nationalisations si nécessaire ».
Le COVID-19 doit être aussi une opportunité pour l’Afrique de repenser son modèle économique. Le changement radical du modèle de croissance en Afrique est un plaidoyer que défend avec toute son énergie l’économiste Kako Nubukpo dans son ouvrage « l’Urgence Africaine » publié en 2019. Cela doit aussi être une urgence capitale pour le Niger dans son « plan de riposte » contre le COVID-19 de lancer une politique de changement radicale, structurelle de son système économique. Ce changement radical et structurel doit passer par la formalisation véritable des entreprises informelles au risque d’encourager leur expansion et d’aggraver les injustices sociales.
Pourquoi faut-il passer par la formalisation de l’économie ?
Les entrepreneurs informels qui font vivre une bonne partie de l’économie nigérienne n’ont pas les mêmes facilités d’accès aux crédits, que leurs homologues du secteur formel. Ce qui les pousse à chercher d’autres alternatives comme le recours au financement informel. Ce type de financement échappe au contrôle du circuit financier formel. Ainsi, on assiste au développement d’un secteur financier informel (les cambistes informels) qui bien régulé, formalisé pourrait être source de financement des activités économiques à long terme sans faire recours à l’aide internationale. Nous partageons les propos de Ibrahim Assane Mayaki qui dans son ouvrage « L’Afrique à l’heure de choix » publié en 2018 estime que « (…) 80% des pays africaines pourraient se passer de l’aide publique au développement », à condition de mener une reforme économique structurelle et réaliste qui s’appuiera sur la réalité locale. Cette réalité locale est que l’économie nigérienne est dominée par des entreprises informelles qui nécessitent une méthode d’analyse singulière originale pour appréhender leur fonctionnement. D’ailleurs dans une étude datant de 2003 menée par l’ingénieur statisticien Rabiou Abdou, il remarque les limites d’une explication théorique et empirique concernant la vitesse de la circulation de monnaie au Niger dont il qualifie d’atypique. Il part du constat que la vitesse de la circulation de monnaie au Niger défie toutes les différentes théories monétaires sur la vélocité de la monnaie. C’est ainsi qu’il ressort de son analyse « que d’un point de vue théorique, la notion de revenu utilisée dans le calcul de la vitesse introduit un biais qui la rend artificiellement élevé du fait de la prise en compte de l’autoconsommation, prépondérante dans le PIB agricole, mais dont le lien avec la monnaie paraît mitigé » (Abdou 2003, p.3). Certainement on ne va pas voir le lien car une bonne partie des opérations économiques, ne serait-ce qu’à l’interne, est monopolisée par les entreprises informelles. D’où leur formalisation incontournable pour espérer un impact positif des mesures prises aujourd’hui et un décollage économique du Niger à long terme.
Nous travaillons actuellement sur un modèle pratique et facile d’utilisation pour la formalisation des entreprises informelles sans brutalité comme il a été remarqué dans plusieurs politiques visant la formalisation de l’économie informelle. Nous sommes prêts à partager les résultats de ces recherches afin qu’elles puissent contribuer à l’amélioration de l’économie du pays et par ricochet réduire la pauvreté et les injustices sociales.
ADO Istifanous
Docteur en Business Administration, spécialité Stratégie, Entrepreneuriat et Commerce International
Professeur d’économie-gestion au Lycée Charles Péguy Orléans
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Intervenant à l’Université d’Orléans en Master Affaires et Commerce International
@AIstifanous