Fespaco 2023 : Amina Abdoulaye Mamani à cœur ouvert

« Le message de ce film « L’envoyée de Dieu » est tout simplement de « montrer aux gens qu’il y a toujours une possibilité, quelle que soit la situation dans laquelle l’on se retrouve… », déclare Amina Abdoulaye Mamani

 

Amina Abdoulaye Mamani est lauréate de la 28ème édition du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO). Son film « L’envoyée de Dieu » a reçu quatre prix spéciaux et deux mentions spéciales. C’était une fierté pour le Niger. A travers cet entretien à cœur ouvert avec Niger Inter Hebdo, la réalisatrice parle de son film, de la participation du Niger au Fespaco mais aussi de la situation du cinéma nigérien.

 

Niger Inter Hebdo : Votre film « L’envoyée de Die » a eu quatre prix spéciaux et deux mentions spéciales. Quelle est votre impression après cette prouesse ?

 

Amina Abdoulaye Mamani : Oui effectivement, « L’envoyée de Dieu » a obtenu 4 prix spéciaux et 2 mentions, c’était beaucoup de joie, beaucoup d’émotion car j’étais très surprise et ce qui m’a le plus impressionnée, depuis la sortie du film, dans la salle comme dans les rues de Ouaga, c’est « L’envoyée de Dieu » qui est sur toutes les lèvres. Le film a été très bien accueilli, par l’histoire et par sa qualité artistique. Je rends grâce à Dieu.

 

Niger Inter Hebdo : Pouvez-vous nous dire quel message voudriez-vous passer à travers « L’envoyée de Dieu » ?

 

Amina Abdoulaye Mamani : Pour vous situer un peu, au fait, le film parle du djihadisme – terrorisme, au regard du contexte sécuritaire dans lequel nous vivions depuis plusieurs années dans le Sahel (Mali, Niger, Tchad & Burkina Faso). Mais le film est traité d’une autre manière subtile : ce n’est pas le djihadisme pur et dur avec des tueries et du sang…, c’est l’histoire d’une petite fille kidnappée et une nuit, elle est choisie au hasard. On lui attache une ceinture d’explosif marquée 10mn. On la prévient qu’elle va accomplir une mission divine. Par la suite, on la dépose dans un marché pour tuer les « ennemis » d’Allah. Pendant 9 minutes, c’est un voyage intérieur durant lequel, elle passe du présent au passé. Fatima se rappelle que sa mère vend dans ce marché. À 1 minute, elle se retrouve face à sa mère, impuissante, un moment dur pour les deux.

A vrai dire, faire ce film, était pour moi une manière de partager les questions qui me tournent la tête. Je me pose toujours la même question de savoir, c’est au nom de quel « DIEU », ces gens-là agissent ? Et pourquoi est-ce qu’ils envoient des innocents, les enfants des autres pour commettre un tel crime ? Pourquoi est-ce qu’ils n’envoient jamais leurs propres enfants ? Toutes ces questions me perturbent et c’est de là que l’idée de faire ce film m’est venue. Je suis quelqu’un qui se pose beaucoup de questions et souvent je reste sans réponse…. Du coup, je profite de ça pour en faire un film. C’était la même chose qu’avec mon documentaire sur mon père. Je me suis tellement posée des questions sur lui, car je ne l’avais pas assez connu. Cela m’a donc poussé à faire ce film qui était pour moi, une sorte de quête, de thérapie et de deuil.

Le message de ce film « L’envoyée de Dieu » est tout simplement de montrer aux gens qu’il y a toujours une possibilité, quelle que soit la situation dans laquelle l’on se retrouve et montrer également le sacrifice fait par la petite fille en refusant de tuer les gens du marché et sa mère avec. Elle a préféré mourir toute seule. Quel sacrifice !

 

Niger Inter Hebdo : Vous n’êtes pas à votre premier coup d’essai au Fespaco. Comment expliquez-vous le succès de « L’envoyée de Dieu » par rapport à vos prestations antérieures ?

 

Amina Abdoulaye Mamani : Je pense que chaque film a son temps de gloire.

 

Niger Inter Hebdo : Quelles sont les contraintes de la réalisation de ce film qui vient de vous placer au sommet de la montagne ?

Amina Abdoulaye Mamani : La réalisation s’est passée comme toute autre réalisation avec beaucoup de contraintes, des difficultés et des défis. Mais avec tout ça, on a pu surmonter tout, et on a fait le film, car c’était le plus important.

 

Niger Inter Hebdo : Quel est votre message à l’endroit des autorités et de vos concitoyens ?

 

Amina Abdoulaye Mamani : Mon message à l’endroit des autorités… c’est énorme (rires), mais je m’adresse particulièrement au ministère en charge de la culture au Niger, qui a pour mission d’accompagner tous les domaines qui composent la culture, l’art, et à ma connaissance, le cinéma en fait partie et on le nomme d’ailleurs le 7ème art. J’ignore pourquoi cet art est complètement négligé au sein dudit ministère ? La preuve, à cette édition du Fespaco qui est un grand festival panafricain, le Niger était presque absent. Pourtant, il y avait un film qui représentait le Niger, c’était le seul film d’ailleurs. Mais rien, zéro accompagnement.

Une petite information : le Tchad avait un film documentaire en compétition, le ministre de la culture a mis tout à la disposition de la délégation pour accompagner le réalisateur qui était en compétition, ils étaient totalement pris en charge…

(Rires)……Moi-même, j’en ai profité de la présence du ministre de la culture du Tchad, car à la cérémonie de remise des prix spéciaux, après avoir obtenu 4 prix et une mention spéciale, le ministre de la culture du Tchad m’a vivement félicité….et, j’ai vu ses yeux brillaient de joie. Pourtant, ce n’est pas le ministre de la culture du Niger. Je vous parle du ministre du Tchad…. Bref. En parlant, j’ai la chair de poule.

Et nous, c’est zéro accompagnement. Dommage. Quand on parle d’accompagner, il ne s’agit pas que de l’argent, on ne quémande pas de l’argent, il faut qu’on soit clair, car ça peut être de l’accompagnement physique. Mais toute cette frustration nous laisse croire que le cinéma n’est pas considéré au sein du ministère nigérien de la culture. Malgré ce désintéressement, on ne lâche rien, on va continuer à réaliser nos passions. Heureusement, le ministère ne peut pas arrêter UNE PASSION.

Ensuite, il y avait aussi le dévoilement de l’effigie d’Oumarou Ganda, le 1er cinéaste à avoir l’étalon d’or en 1971. Le ministre et ses staffs étaient absents, même pas un représentant… l’effigie était dévoilée en présence du ministre de la culture du Burkina Faso et celui du Mali, il y a aussi l’ambassadeur du Sénégal et le délégué général du Fespaco, etc. Comment vous pouvez imaginer cela ? Les personnes qui étaient présentes le jour-là peuvent en témoigner : Amina Weira, Abdoul Kader Sani, Aicha Macky et moi-même, nous étions présents. Tous choqués du fait qu’il y a aucun représentant du Niger.

Mais bon Dieu merci, nous-mêmes, on a représenté le Niger comme on a l’habitude de le faire à travers nos films. Je profite pour faire un clin d’œil à ma sœur et amie Aicha Macky qui, grâce à son leadership, désormais Oumarou Ganda est à sa place, à la place des cinéastes à Ouagadougou (Burkina Faso), Capital du Cinéma Africain.

Niger Inter Hebdo : Mais il y a un centre de la cinématographie au Niger et c’est à vous les réalisateurs de plaider pour l’effigie d’Oumarou Ganda?

Amina Abdoulaye Mamani : Très belle question. Oui effectivement, il y a bel et bien un centre de la cinématographie au Niger mais écoutez, le centre a failli sur toute la ligne. Et si vous voulez, toute la grosse pagaille se retrouve au centre. Sinon, je ne comprends rien. Dans les autres pays, il y a aussi des centres du cinéma. On entend et on voit l’effort, peu soit-il que les autres centres font pour améliorer ou faire avancer leur cinéma. Prenons le cas du Burkina Faso, Sénégal, Côte d’Ivoire, etc. Mais au Niger, le centre produit que zéro résultat…cela veut dire qu’il y a un problème ? A mon avis, il faut une vraie réflexion pour que les choses changent, je crois que le centre est obsolète, il faut une vrai mise à jour pour évacuer les virus. C’est comme un ordinateur, il faut de temps à autre faire la mise à jour.

Toujours concernant l’effigie d’Oumarou Ganda, normalement, c’est au centre de la cinématographie de faire cette démarche mais non. Alors, AICHA, MES HOMMAGES, là où toute une institution a failli, tu as réussi. Bravo.

Même au dévoilement de l’effigie d’Oumarou Ganda, le centre était absent, quelques jours après, on a vu quelques personnes via le centre de la cinématographie du Niger se rendre à la place des cinéastes, s’arrêter devant l’effigie d’Oumarou Ganda pour bricoler un faux reportage en piquant des images de gauche à droite et montrer qu’ils étaient-là, le jour du dévoilement de l’effigie…Eh Allah ! Ridicule et honte en même temps. C’est vraiment très grave. Ces gens-là, je me demande comment ils gèrent leur conscience ?…. Bref, le mal est très profond et si on va en parler de ce qui se passe dans le cinéma du Niger, c’est loin d’être une interview, mais carrément un film long métrage à la Francis Ford Coppola de 3h de temps. Heureusement, « les hommes passent », tôt ou tard tous ces gens-là qui étouffent le cinéma du Niger passeront un jour, car ce n’est pas un héritage familial.

Le message à l’endroit de mes concitoyens, armez-vous de courage et de détermination dans tout ce que vous entreprendrez car le chemin est long et le combat est rude. Et je souhaite que la paix revienne dans le Sahel et j’ai grand espoir.

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N°105 du mardi 14 mars 2022