Bonne gouvernance : Endiguer la corruption pour garantir une croissance économique durable au Niger

 

 

 

Durant des décennies, plusieurs politiques ou stratégies de développement, certaines plus ambitieuses que d’autres, ont été annoncées par les gouvernements successifs au Niger. Si la mise en œuvre de bon nombre d’entre-elles a permis au pays de réaliser de relatives bonnes performances macroéconomiques, le constat reste cependant amer au regard de la faiblese de productivité que connait le pays et l’amélioration très peu significative du développement humain, pour ne retenir que ces deux éléments.

 En effet, dans un document intitulé  « Des trajectoires pour une croissance durable au Niger, mémorandum économique du Niger du Groupe de la Banque Mondiale », les auteurs soulignent que « bien que la croissance récente du PIB du Niger ait été relativement robuste (5,2 % en moyenne entre 2000 et 2020), elle n’a pas entraîné le changement fondamental de l’économie nécessaire pour parvenir à une période prolongée de croissance des revenus et de réduction de la pauvreté face à des perspectives démographiques difficiles. Le PIB par habitant aux prix courants ne s’élèvera qu’à 568 USD en 2020, contre 197 USD en 2000. Cette évolution modeste du PIB par habitant s’explique également par le faible gain de productivité d’environ 2 % par an et par un taux de croissance démographique rapide de 3,8 %. Avec le taux de fécondité le plus élevé au monde (6,2 enfants par femme en 2020 selon l’enquête nationale la plus récente), la croissance économique du Niger a été trop faible pour réduire significativement la pauvreté. Alors que le taux de pauvreté a diminué de plus de 50 % à 41,2% au cours de cette période, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (c’est-à-dire avec moins de 1,9 USD par jour) a augmenté, pour atteindre 10 millions en 2020. Une métaphore appropriée pour représenter cette situation pourrait être celle d’un athlète courant sur un tapis roulant : énergique mais statique. La raison de cette inertie est que l’économie nigérienne est restée fondamentalement la même qu’il y a vingt ans : peu diversifiée et peu spécialisée. »

La mauvaise gouvernance et la corruption essentiellement pointées du doigt

Pour expliquer ce qui ressemble à « un Niger puissant, mais avec des pieds d’argiles », on pointe essentiellement du doigt la mauvaise gouvernance et le niveau trop élevé de la corruption.

En guise de rappel, selon le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, « la gouvernance fait référence à l’ensemble des processus de gouvernement, aux institutions et aux processus et pratiques en matière de prise de décision et de réglementation concernant les questions d’intérêt commun. La bonne gouvernance ajoute une dimension normative ou une dimension d’évaluation au processus de gouvernement. Du point de vue des droits de l’homme, elle fait avant tout référence au processus par lequel les institutions publiques conduisent des affaires publiques, gèrent des ressources publiques et garantissent la réalisation des droits de l’homme.

Bien qu’il n’existe pas de définition internationalement reconnue de ce qu’on appelle la bonne gouvernance, celle-ci peut couvrir les thèmes suivants : le plein respect des droits de l’homme ; l’état de droit ; la participation effective ; les partenariats multipartites ; le pluralisme politique ; la transparence et l’application du principe de responsabilité dans les procédures et dans les activités des institutions ; l’efficience et l’efficacité du secteur public ; la légitimité ; l’accès à la connaissance, à l’information et à l’éducation ; la disponibilité de moyens d’action politique ; l’équité ; la viabilité ; des attitudes et des valeurs qui favorisent la responsabilité, la solidarité et la tolérance ».  La bonne gouvernance repose sur les piliers : la transparence ; la responsabilité ; l’obligation de rendre compte de ses actes ; la participation ; la capacité de répondre aux besoins de la population. La mauvaise gouvernance consiste donc à remettre en cause c

Quant à la corruption – entendue dans son sens strict – désigne « le fait pour une personne investie d’une fonction déterminée (publique ou privée) de solliciter ou d’accepter un don ou un avantage quelconque en vue d’accomplir, ou de s’abstenir d’accomplir, un acte entrant dans le cadre de ses fonctions », selon Transparency International. Autrement dit, poser des pratiques déviantes, voire transgressives, ayant pour but d’obtenir des avantages pécuniaires, politiques, personnels ou autre, en abusant de sa position. Et les conséquences de la corruption pour un pays sont désastreuses. Concrètement, comme le rappelle Christine Lagarde, ancienne directrice du Fonds Monétaire International (FMI), « la corruption affaiblit la capacité de l’État à effectuer son travail. Elle rabote les recettes dont il a besoin et pervertit les décisions budgétaires, car les autorités peuvent être tentées de favoriser les projets qui rapportent des pots-de-vin au détriment de ceux qui créent de la valeur économique et sociale. C’est mauvais pour la croissance comme pour les perspectives économiques. C’est mauvais pour l’équité et la justice, car les pauvres sont ceux qui souffrent le plus de la diminution des dépenses sociales et des sommes investies dans le développement durable. C’est également mauvais pour la stabilité économique, car des rentrées fiscales réduites, combinées à un usage dispendieux des deniers publics, constituent un mélange toxique qui dégénère facilement en déficits incontrôlables.

D’une manière plus générale, la corruption endémique peut fissurer les fondements d’une économie saine en dépréciant les normes sociales et en sapant les vertus civiques. Quand les riches ne paient pas leurs impôts, c’est l’ensemble du système qui perd en légitimité. Lorsque la tricherie est récompensée, lorsqu’il apparaît que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour les nantis, la confiance cède le pas au cynisme et la cohésion sociale se fragmente. Au pire, cela peut déboucher sur des dissensions et des conflits civils.

Si les fondations de votre maison sont « pourries » (autre sens du mot « corrompues »), comment bâtir une économie forte et soutenable ? C’est très difficile, voire impossible. C’est un phénomène particulièrement délétère pour la jeunesse. Quand la corruption est profondément enracinée, trop de jeunes n’entrevoient aucune perspective, aucun but auquel aspirer ; impossible de participer à la vie sociale, de lui imprimer leur marque, de s’y épanouir ou d’y apporter leur contribution. Ils perdent toute motivation à faire des études, puisqu’ils savent que la réussite dépend des relations et non des capacités. Abandonnant leurs illusions, ils deviennent désengagés, désenchantés. Ils perdent espoir. La corruption empoisonne les âmes.

Il n’est donc pas surprenant que l’existence ou non d’une corruption endémique soit l’une des principales causes des écarts de bien-être entre les pays.

S’attaquer à la corruption est particulièrement important dans le contexte actuel. Nous faisons allusion ici à la montée de la méfiance à l’égard de certaines institutions, mais aussi à l’enrichissement illicite qui a tendance à se banaliser dans le pays ».

Inutile de rappeler que le Niger est loin d’être un modèle en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, même si ces dernières années de relatifs progrès ont été enregistrés. Toutefois, ces deux fléaux continuent de compliquer la poursuite d’une stratégie de développement à long terme efficace et efficiente. D’où l’absolue nécessité de continuer à œuvrer d’arrache-pied pour tendre vers cet idéal.

Mieux « outiller » la Halcia pour contribuer à changer la donne

Face aux dégâts incommensurables que provoque la corruption, il devient un impératif pour tout pays qui aspire au développement économique, social et durable et à offrir de meilleures perspectives à sa population de prendre des mesures idoines pour promouvoir l’intégrité, et par ricochet lutter contre la corruption.

Conscient de cela, « l’Etat du Niger a conforté son choix politique, stratégique et institutionnel de lutter contre la corruption à travers la création d’un organe permanent de lutte contre la corruption : la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA). Cet organe a été d’abord créé par décret n°2011-219/PRN/MJ du 26 juillet 2011, avec missions de prévenir et de lutter contre la corruption et les infractions assimilées ». Cependant, « après une période de 5 ans de mise en œuvre de ce texte et en dépit des résultats appréciables obtenus, eu égard aux moyens déployés, il est apparu que la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA), telle que créée par le décret suscité, ne dispose pas de prérogatives juridiques suffisantes et de l’autonomie fonctionnelle adéquate pour mener à bien ses missions. Il est ressorti notamment des limites dans le cadre du déclenchement de la procédure de détection et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Pour pallier ces insuffisances, la loi n°2016-44 du 06 décembre 2016 portant création, missions, attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA), a été adoptée et publiée au Journal officiel de la République du Niger (JO n° spécial du 23 décembre 2016) » (https://halcia.ne/).   Une avancée certes importante, mais sans doute en deçà de ce qui serait requis afin qu’une institution de cette envergure puisse mener à bien ses missions en aidant les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Même si le Président Bazoum Mohamed entend « évaluer et renforcer la HALCIA et la rendre plus apte à prévenir et à lutter contre la corruption et la concussion en particulier », il faudra indubitablement aller plus loin, en raison du contexte particulier nigérien, pour espérer que cette institution puisse être plus efficace. Pour ce faire, le gouvernement peut s’inspirer, par exemple, du modèle de l’Agence française anticorruption (AFA) qui exerce des missions de conseil et d’assistance et de contrôle. A ce titre, l’AFA :

  • Elabore des recommandations et des guides pratiques qui, avec la loi Sapin II et ses décrets d’application, constituent le référentiel anticorruption français ;
  • Mène des actions de sensibilisation et de formation auprès de tous types d’acteurs, publics ou privés ;
  • Apporte, à leur demande, un appui aux acteurs publics ou privés pour la mise en œuvre de leur dispositif anticorruption et répond à leurs saisines ;
  • Contrôle en application des articles 3 et 17 de la loi Sapin II l’existence et l’efficacité des dispositifs anticorruption mis en place par les acteurs publics et les grandes entreprises ;
  • Veille au respect de la « loi de blocage » dans l’exécution des décisions d’autorités étrangères contre des entreprises sanctionnées pour des faits d’atteinte à la probité en application du 5° de l’article 3 de la loi du 9 décembre 2016.
  • Assiste les autorités françaises compétentes pour la définition et la mise en œuvre de la position française au sein des organisations internationales (OCDE, GRECO, ONUDC, G20), ainsi qu’à des actions de coopération, d’appui et de soutien techniques auprès d’autorités étrangères œuvrant dans la prévention de la corruption.

En définitive, améliorer la gouvernance et faire de la lutte contre la corruption un intérêt fondamental de la sécurité nationale supposent de s’inspirer de ce qui se fait de mieux dans ce domaine dans les pays occidentaux notamment (France, Etats-Unis), mais aussi moderniser, accroître, coordonner, fournir des ressources afin d’améliorer, entre autres, les capacités de la Halcia.   Ainsi, on pourra éviter que la corruption puisse porter atteinte à la confiance du public et fragiliser davantage la démocratie nigérienne. Il y a urgence à agir dans la mesure où la demande de services efficaces, d’infrastructures de qualité et d’institutions équitables ne cesse de croître, et que les gouvernements ne disposent que de ressources limitées, celles-ci doivent être utilisées d’une manière aussi rationnelle et transparente que possible pour contribuer à mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée.

Adamou Louché Ibrahim

Economiste

@ibrahimlouche

Niger Inter Hebdo N°82 du mardi 4 Octobre 2022