Le paysage politique nigérien compte actuellement 174 partis légalement reconnus. D’autres sonnent encore à la porte. On comprend bien qu’avec un tel paysage fourni en nombre, il y a nécessité de faire jouer les règles de la régulation conformément aux dispositions de la charte des partis politiques du Niger. Car nombre de ces partis sont en porte-à-faux avec la loi.
Il ne fait pas de doute que si la charte des partis politiques était appliquée, beaucoup de partis auraient disparu du paysage depuis belle lurette, et que d’autres ne se seraient pas créés. En effet, selon la charte « les partis politiques sont des associations à but non lucratif qui, conformément à la Constitution, regroupent des citoyens nigériens autour d’un projet de société et d’un programme politique, en vue de concourir à l’expression du suffrage universel et de participer à la vie politique par des moyens démocratiques et pacifiques… ».
Combien sont-ils les partis politiques nigériens qui fonctionnent comme des associations à but non lucratif, qui disposent de projets de société et de programmes politiques et qui concourent à la conquête et à l’exercice du pouvoir, suivant des modalités démocratiques et pacifiques ?
Sans aucun doute, ils ne sont pas nombreux à remplir ces conditions préalables. Mieux, ils ne sont pas nombreux à remplir d’autres conditions édictées par la charte comme se faire représenter dans les huit régions du pays. Ce qui suppose avoir un bureau régional et une représentation permanente. Selon la charte, tout parti qui ne se conforme pas à l’exigence d’être présent dans les huit régions est suspendu par arrêté du ministre chargé de l’intérieur jusqu’à ce qu’il satisfasse ladite exigence.
La loi exige des partis politiques le respect de la périodicité de leur congrès ordinaire, le bannissement des anti-valeurs comme l’ethnocentrisme, le racisme, le régionalisme, le recours à la violence, la transparence dans la gestion de leurs ressources financières et matérielles, leur présence aux différents scrutins (présidentiel, législatif, local) …Le refus de participer à deux élections générales consécutives donne lieu à une dissolution d’office du parti.
Combien de partis politiques sont aujourd’hui représentés au parlement et dans les conseils locaux ? Combien tiennent-ils régulièrement leurs instances statutaires ? Combien se présentent-ils aux élections alors que la vocation d’un parti politique est de conquérir et d’exercer le pouvoir ? Combien de partis sont financés à travers le paiement régulier des cotisations de leurs militants ? A toutes ces questions, on répondra que très peu de partis politiques répondent aux exigences légales.
La Cour des comptes tire la sonnette d’alarme…
Le Rapport 2021 de la Cour des comptes a révélé que la plupart des partis politiques ne sont pas un modèle de bonne gouvernance. Entre autres anomalies, l’on retient le fait que certains partis politiques n’ont même pas de compte bancaire, ne disposent pas de siège, ne tiennent pas de comptabilité, ne respectent pas les conditions légales d’utilisation de la subvention octroyée par l’Etat. C’est ainsi que même au niveau des 13 partis politiques qui ont présenté leurs comptes en 2013, il y a ceux qui ne tiennent pas de journaux comptables, qui n’ont pas de pièces comptables, qui ne disposent pas de plan de compte, qui ne disposent pas d’un système d’enregistrement des opérations sur ordinateur, etc.
Pour remédier à ces différentes anomalies, la Cour a formulé des recommandations à l’endroit des Ministères de l’Intérieur et des Finances et des partis politiques eux-mêmes. L’Etat doit « veiller au respect de la règlementation relative aux critères d’attribution de la subvention afin d’éviter des paiements indus susceptibles de constituer des fautes pénales ou de gestion ; contrôler l’effectivité de l’existence d’un siège pour chaque parti politique et contrôler l’effectivité de l’existence d’un compte bancaire ouvert au nom de chaque parti politique ».
A l’endroit des partis politiques, la Cour recommande de « mettre en place une organisation et un système comptables ; faire certifier les comptes et respecter les postes de répartition de la subvention de l’Etat ».
A la vérité, l’un des problèmes structurels est que les partis politiques sont financés par leurs chefs souvent avec l’apport de quelques bailleurs de fonds qui ne manquent pas de dicter leurs lois aux militants, de décider envers et contre tout de ceux qui seront nommés ministres, députés, cadres de commandement, directeurs de ceci ou de cela, etc.
Les chefs des partis et les bailleurs de fonds font la promotion de qui ils veulent, excluent qui ils veulent. Ces partis n’en sont pas moins que des Sociétés à responsabilité limitée (SARL). C’est pourquoi, les partis ont tendance à pousser comme des champignons. Pour une petite incompréhension, certains ont tendance à vouloir casser la baraque pour créer leurs partis politiques. C’est pourquoi, à notre humble avis, il faut inverser cette tendance en régulant ce domaine au nom de l’intérêt général. Même si le Niger a opté pour le multipartisme intégral, il va falloir respecter la charte des partis politiques avant les prochaines élections générales. Les partis qui ne sont pas conformes à la loi doivent être purement et simplement dissouts.
Dans le même ordre d’idée, les Nigériens sont aussi témoins de la pléthore de candidatures à la dernière présidentielle du seul fait que la caution a été réduite avec complaisance à 10 millions de francs CFA. On a vu le bal de « plaisantins » de tout acabit comme candidats à l’élection présidentielle. Ce n’est pas excessif et anti démocratique de demander de ne pas banaliser cette fonction en mettant avant tout le sérieux en commençant par tester les capacités relationnelles du futur président de la République.
Il y a beaucoup de partis qui n’ont pas la tradition d’aller aux élections qui siègent au Conseil National de Dialogue Politique (CNDP) et qui décident, suivant leurs intérêts, de l’avenir du pays. Mieux, certains ont fait de la direction du parti, une profession de laquelle ils tirent leurs moyens de subsistance.
Quand on prend conscience que la politique n’est pas un jeu d’enfants et que la pléthore des partis politiques contribue à la promotion de la mal gouvernance, on se rendra compte à l’évidence que ce serait une bonne chose pour le Niger de procéder comme la Mauritanie. Dans ce pays, la loi sur les partis politiques prévoit la dissolution de tout parti politique qui participe deux fois consécutives à une élection municipale sans atteindre un pour cent des suffrages exprimés, apprend-on.
Au Niger, il y a urgence à faire un état des lieux sans complaisance sur la situation des partis politiques. Le Ministère de l’Intérieur, qui assure la tutelle des partis politiques, doit faire l’application de la loi dans toute sa rigueur. Du reste, le Premier ministre, dans sa Déclaration de Politique Générale, avait promis d’améliorer l’efficacité du cadre de dialogue politique et appliquer effectivement les dispositions de la charte des partis politqiues. Il faut assainir ce capharnaüm. La bonne gouvernance politique prend pied à partir de là.
Elh. M. Souleymane
Niger Inter Hebdo N°76 du mardi 23 Aout 2022