Bras de fer entre la junte militaire malienne et la CEDEAO : Le 3 juillet sera-t-il la date buttoir ?

 

 

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tiendra un Sommet Ordinaire le 3 Juillet 2022 dans la capitale ghanéenne Accra, dans le sillage de la recherche d’une issue à la crise politique que connaissent certains pays de la sous-région ouest-africaine. Le Sixième Sommet Extraordinaire tenu le 4 Juin dernier sous la présidence de Son Excellence Monsieur Nana Akufo-Addo, président de la République du Ghana, président de l’Autorité de la CEDEAO, n’avait pas permis de venir à bout de l’épineuse question des sanctions prononcées le 9 Janvier dernier, en particulier contre le Mali.

 Les autorités de transition n’étaient pas parvenues à un accord avec le Médiateur de la CEDEAO, qui soit favorable à l’établissement d’un calendrier acceptable pour assurer un retour à l’ordre constitutionnel, conformément aux protocoles et décisions de la CEDEAO et de l’Union Africaine. L’Autorité a ainsi décidé de demander au Médiateur de poursuivre le dialogue en vue de parvenir à un accord pour assurer une levée progressive des sanctions au fur et à mesure que les critères de la transition sont atteints.

Mais au vu des débats qui ont lieu à tort ou à raison autour de la question des sanctions comme un des outils de règlement des conflits de l’organisation, il y a lieu de préciser d’abord que d’un point de vue légal, les institutions du mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité sont prévues au Chapitre II du Protocole adopté le 10 décembre 1999 par la CEDEAO.

Le Protocole du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole de 1999, adopté par les Chefs d’Etats et de gouvernements de la CEDEAO, complète et améliore celui du 10 décembre 1999 dans les domaines de la prévention des crises intérieures, de la démocratie, de la bonne gouvernance, de l’Etat de droit et des droits de la personne. Ce texte établit un lien entre la paix et la stabilité politique et se concentre sur les causes profondes des conflits, notamment internes, désormais reconnus comme des menaces majeures pour la sécurité régionale. A ce titre, le protocole additionnel de 2001 se veut un cadre juridique contraignant pour les Etas membres de la CEDEAO.

Le conflit qui oppose la CEDEAO à la junte malienne est né de la violation par cette dernière des principes de convergence constitutionnelle de l’institution sous-régionale, en particulier ceux relatifs au « bannissement de tout mode anticonstitutionnel d’accession au pouvoir » et au « rôle de l’armée et des forces de sécurité dans une démocratie ». Les sanctions quant à elles trouvent leur base légale dans le point des principes de convergence relatif aux « modalités de mise en œuvre et des sanctions notamment en cas de rupture de la démocratie par quelque procédé que ce soit ou en cas de violation massive des droits de la personne dans un Etat membre. »

C’est pourquoi, dans une large mesure, le débat autour des sanctions contre la junte malienne est moins à inscrire dans la quête de leur légitimité que dans le jeu d’intérêts politiques au Mali, tout comme dans la sous-région. L’objectif visé est de pénaliser le non-respect des obligations internationales dont l’Etat malien est signataire. Il n’y a pas plus suicidaire pour une organisation que de se doter de normes qu’elle ne peut pas mettre en œuvre. Les sanctions permettent de diminuer les marges de manœuvre de la cible, de stigmatiser publiquement son comportement et même de la contraindre à modifier son comportement. Avant le Mali, d’autres Etats de la sous-région sont passés par ce filtre et, le rôle joué à juste titre par le Mali, pour aider l’organisation sous-régionale à prouver l’opérationnalité de son architecture n’était pas des moindres. Le cas du Niger dans la période 1996-1999 est assez édifiant.

La CEDEAO se doit surtout de demeurer droit dans ses bottes et faire prévaloir le caractère opérationnel de son dispositif institutionnel. Sinon, l’intrusion des militaires sur la scène politique, notamment les coups d’Etats survenus dans les pays de la sous-région, dans ce contexte de lutte antiterroriste, auront le mérite de fragiliser le dispositif sécuritaire en place au Sahel. L’approche réductrice à laquelle se laissent aller certaines analyses, notamment celles tendant à ramener la problématique de la lutte antiterroriste à une croisée des chemins entre la démocratie et le régime militaire ne contribue en fait qu’à sous-évaluer les réalités endogènes qui poussent les jeunes à rejoindre les groupes armés terroristes et par là, les voies et moyens permettant de faire face à la menace. La réponse à l’hydre terroriste en face ne demande nullement une militarisation des régimes, mais nécessite plutôt une approche plus nuancée qui allie un bras armé et des mesures préventives. Les régimes qui s’en sortent le mieux seront ceux qui, en plus de fournir à l’armée les moyens opérationnels nécessaires à sa mission, restent favorables à la libération des espaces de dialogue et à l’accent sur la prévention pour traiter le problème dans ses causes plutôt que dans ses manifestations. La lutte contre l’extrémisme violent et même contre le terrorisme ne peut plus être calquée strictement sur l’approche post-11 septembre 2001 qui privilégie la seule réponse armée qui s’avère être un traitement symptomatique. Elle nécessite parallèlement un travail de fond qui puisse, en plus de réduire les effectifs des combattants engagés aux côtés des groupes armés terroristes, couper les canaux d’approvisionnement de ces groupes en ressources humaines. Elle passe par des mesures qui justifient des aspirations d’inclusion avec des perspectives réelles sur l’avenir. Comme disait l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki Moon, « De nombreuses années d’expérience ont prouvé que les politiques à court terme, les approches musclées, une vision restreinte des domaines relevant de la sécurité et un mépris total pour les droits de l’homme, ont souvent empiré la situation. »

Asmane Saadou