Focus : La doctrine militaire du lieutenant-colonel Damiba

 

 

Si les intentions politiques du nouvel homme fort du Burkina Faso ont été dévoilées dans son adresse à la nation, le jeudi 27 janvier 2022, ses recettes militaires, pour sortir son pays de la mauvaise passe militaire, peuvent être connues, par la consultation de son livre, rédigé en 2021. « Armées ouest africaines et terrorisme, réponses incertaines ? », publié en 2021, aux Éditions Les 3 Colonnes, à Paris (France), résume, en 160 pages, la doctrine militaire du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. La recherche a pour ambition de « contribuer à faire évoluer les stratégies opératives militaires mises en avant et dont les résultats sont très peu lisibles ».

 

L’article fait le résumé de la troisième et dernière partie du livre intitulée « Critique des réponses des armées ouest-africaines et facteurs clés de succès », de la page 109 à 143.

Sa critique de la situation actuelle des armées ouest-africaines conduit l’auteur à mettre en exergue la mobilité, la forte nuisance, la souplesse et l’implantation territoriale des groupes djihadistes dans cette sous-région. Face à ce redoutable défi, l’auteur, sans ambages, constate le « manque de goût de l’action » ou la passivité opérationnelle de certaines armées. Incisif, il dénonce les limites fonctionnelles de la riposte anti-terroriste des armées ouest-africaines (chapitre I), à savoir :

– La sempiternelle question de la mobilisation et de l’utilisation des ressources financières ;

– Une pléthore incohérente d’acteurs ;

– La duplicité dans les coopérations inter-étatiques dont la persistance des méfiances historiques, culturelles ou politiques ; des mécanismes de coopération inopérants et une coopération internationale cachottière.

Il analyse, ensuite, (chapitre 2), les limites stratégiques des armées ouest-africaines qui sont, essentiellement, la méconnaissance de la menace terroriste, la passivité opérationnelle, déjà évoquée, puis, enfin, le mimétisme stratégique et le poids des dynamiques internationales.

Ce diagnostic désolant posé, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba propose sa thérapie (chapitre 3) :

Les actions cruciales à structurer et à mener pour venir à bout du terrorisme se déclinent en trois piliers :

  1. a) Bâtir une stratégie contre-terroriste active

Le choix d’une option stratégique est un préalable pour contrer les djihadistes. Les armées ouest-africaines ont tout intérêt à s’appuyer sur des stra­tégies actives. Elles consistent en la conception et la conduite d’actions suivant le cycle recherche – acquisition – neutralisation, en fonction des buts, des moyens, des risques et des circonstances. Ces armées recentreront, ainsi, « leurs énergies vers l’usure des cellules extrémistes », « en paralysant leurs capacités d’action, en désorganisant leurs habitudes ou leur mode de vie, en les empêchant d’infiltrer les populations (…) ».

  1. b) Développer de solides réseaux de renseignements humains et des cadres de coopération pragmatiques

Les lacunes en matière de renseignements et de coopérations interétatiques sont de lourds handicaps pour les armées. Difficile, en effet, de gagner une bataille sans connaitre, en temps réels, les menaces qui pèsent sur le terrain. Pour ce faire, il vaut mieux disposer d’une chaîne humaine de renseignement, qui permet de collecter des données précises et vraies sur les inten­tions et les capacités de l’adversaire. Tout comme les armées elles-mêmes, les services ouest africains de renseignement se sont, assez souvent, focalisés sur la détection des faits pouvant porter atteinte à la sûreté de l’État ou par exemple dans la surveillance des activités des mouvements d’opposition. Ils devront, désormais, donner une place de choix au renseignement d’ori­gine humaine et à l’infiltration des populations, tout en empêchant les terroristes de le faire. Ils deviendront alors une chaîne fiable et autochtone de renseignement.

Comme le terrorisme est transnational, le renseignement se doit aussi de l’être, d’où la nécessité de développer des coopérations bilatérales sectorielles de confiance. Mis dans une certaine obligation de coopérer, les officiers ouest-africains se heurtent au déficit de franchise et de confiance entre armées. Un phénomène aggravé par le fait que leurs États respectifs ont, assez souvent, des politiques concurrentes voire opposées, ou se sont même affrontés, par le passé. Dans l’immédiat, le développement d’outils bilatéraux d’échange d’informations et de coordination des activités opérationnelles est une première étape de cet effort.

  1. c) Concevoir et conduire des opérations non conventionnelles

Des actions de type non conventionnel pourraient être effectuées, pour faire face aux embuscades et attaques répétées de positions émanant des djihadistes. Des forces spéciales seraient créées ou mobilisées, obéissant aux spécificités suivantes : « la recherche d’un effet décisif ; le caractère hautement péril­leux des missions ; le volume réduit des forces engagées ; un mode d’action non conventionnel ; une maîtrise de la violence et une confi­dentialité entourant les unités et les personnels ». Dans les années 1980, au Tchad, on appelait ces unités spéciales « éléments militaires d’intervention rapide » (EMIR).

Désormais président du Faso et chef suprême des armées, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a les coudées franches pour déployer sa doctrine sur le terrain. Les Burkinabè en jugeront alors le degré de pertinence.

André Marie POUYA

Journaliste & Consultant