Interview du Président Bazoum au journal Jeune Afrique : Une approche réaliste de l’insécurité au Niger et dans l’espace sahélien

Le Niger est un des pays du Sahel qui, actuellement, fait face à une très grande insécurité. Celle-ci s’est imposée sur son territoire par effet de métastase suite à la chute de Kadhafi en Libye et l’avènement de la secte terroriste Boko Haram au Nigéria. Tout est parti du chaos dans lequel a été plongée la Libye en 2011. Celui-ci a, d’abord, fait naître une rébellion armée au Mali, rébellion qui s’est vite fait prendre le pas par des groupes armés terroristes notamment le MUJAO, l’EIGS, le GSIM, etc. De proche en proche, les attaques se sont étalées jusqu’au Niger, au Burkina Faso et, à une moindre mesure, en Côte d’Ivoire.

 

A l’extrême Est du Niger, dans la région de Diffa, ce sont les terroristes de Boko Haram qui ensanglantent le quotidien des populations locales. Boko Haram était d’abord une secte dont les actions sanguinaires étaient circonscrites à l’extrême nord-est du Nigéria dans l’Etat de Borno, mais qui, depuis 2015, se sont étendues au Niger, au Tchad et au Cameroun.

La situation sécuritaire au Niger et dans les pays du Sahel a été un des sujet phare sur lequel, Mohamed Bazoum, le Président de la République du Niger, s’est beaucoup appesanti tout dernièrement, dans une interview accordée au Journal Jeune Afrique. De Tillabéry à Diffa en passant par Tahoua et Maradi, presque toutes les régions du Niger sont en proie à l’insécurité. D’après le Président Mohamed Bazoum, la région de Tillabéry, par exemple, constitue « une zone di­rec­te­ment af­fec­tée par les agis­se­ments des ter­ro­ristes : vols de bé­tail, agres­sions de po­pu­la­tions éloi­gnées de nos forces de dé­fense, tue­ries de groupes. De­puis le début de cette année, les djihadistes de l’EIGS [État is­la­mique au Grand Sa­hara] semblent avoir changé de stra­té­gie : ils af­frontent de moins en moins nos sol­dats et s’en prennent de plus en plus aux ci­vils iso­lés, ce qui est un signe de fai­blesse ».

En effet, les populations civiles sont, de plus en plus, devenues les principales cibles des groupes armés. On a vu les terroristes attaquer des paysans dans leurs champs, dans les mosquées, les cimetières, les marchés et les routes entre deux villages. Ces attaques visant directement les civils risqueraient de se transmuer en conflit intercommunautaire et le président nigérien en a vraiment conscience.

C’est pourquoi dès 2016-2017, « nous avons ap­pro­ché les lea­ders lo­caux de ces groupes armés avec un mes­sage simple : « si vous êtes por­teurs d’un pro­jet po­li­tique en rap­port avec les pré­oc­cu­pa­tions iden­ti­taires et so­ciales de telle ou telle com­mu­nauté, dites-le-nous clai­re­ment et nous en dis­cu­te­rons ». Ils ne nous ont pas en­tendus car, ma­ni­fes­te­ment, cette dé­marche ne cor­res­pon­dait pas à leur agenda », a-t-il confié à Jeune Afrique.

Une des solutions explorée par le Niger a, dans ce cadre, été « un tra­vail de sen­si­bi­li­sa­tion au­près des po­pu­la­tions vic­times des exac­tions de ces groupes ter­ro­ristes, afin qu’elles fassent la dis­tinc­tion entre les élé­ments vio­lents qui les agressent et la com­mu­nauté à la­quelle ils ap­par­tiennent. Par­tout où l’État sera ab­sent, le vide sera com­blé par les moyens qu’im­pro­vi­se­ront les po­pu­la­tions ».

Ce qui est aberrant dans cette guerre qui a été imposée au Niger, c’est qu’aucun ni­gé­rien « ne fi­gure parmi les di­ri­geants im­por­tants de cette or­ga­ni­sa­tion. Ce sont des chefs lo­caux, opé­ra­tion­nels et ac­tifs certes, mais pas des dé­ci­deurs po­li­tiques », a précisé le Président Bazoum.

Plus à l’Est du pays, dans la région de Diffa, c’est désormais un fait connu de tous, Boko Haram est en perte de vitesse avec la mort de ses principaux dirgeants que sont Shekau et Al-Barnaoui. Divisée en deux groupes antagoniques, la secte se meurt grâce au conflit fratricide qui les oppose. « Cette guerre fra­tri­cide entre ter­ro­ristes fait nos af­faires et nous nous en ré­jouis­sons », a estimé le président nigérien. L’insécurité n’est pas le seul fait du terrorisme mais elle résulte des actes de violence que posent des bandits armés. C’est malheureusement le cas dans le sud-ouest du Niger entre Dogondoutchi et Maradi.

Selon le Président nigérien, « ces bandes opèrent à par­tir d’une vaste zone boi­sée si­tuée au Ni­ge­ria, dans les États de So­koto, Zam­fara et Kat­sina, qui leur sert de sanc­tuaire. Elles vivent de kid­nap­ping, de tra­fic et de vol de bé­tail, sur fond de crise du pas­to­ra­lisme à tra­vers tout l’es­pace sa­haro-sa­hé­lien ». Il faut, cependant, préciser que le ni­veau de vio­lence de ces bandits armés « n’a pas at­teint celui des deux autres fronts ter­ro­ristes, et nous avons les moyens d’y faire face, no­tam­ment en me­nant des opé­ra­tions à l’in­té­rieur même du ter­ri­toire ni­gé­rian, conjoin­te­ment avec l’ar­mée de ce pays », a-t-il expliqué.

Face aux actes de terrorisme et de l’insécurité en général, les pays du Sahel ont mutualisé leurs forces à travers le G5 Sahel. Cependant depuis la mort du Maréchal Idriss Déby du Tchad, un constat se dégage : « Le dis­po­si­tif G5 Sahel connaît en ce mo­ment une sorte de panne », a reconnu le Chef de l’Etat nigérien.

Ce qui est réconfortant, s’est-il réjoui, « le Niger est l’un des pays du Sahel qui pro­gresse le mieux dans la maî­trise de sa propre si­tua­tion sé­cu­ri­taire et qui est po­li­ti­que­ment l’un des plus stables, grâce à l’al­ter­nance dé­mo­cra­tique qu’il a connue cette année. Ima­gi­nez une se­conde que le pré­sident Is­sou­fou ait choisi de s’ac­cro­cher au pou­voir en vio­lant la Consti­tu­tion : le Niger au­rait été ipso facto plongé dans une crise grave, qui au­rait pa­ra­lysé ses ca­pa­ci­tés de ri­poste sé­cu­ri­taire ». Il est, bien entendu, important de souligner que, face à l’insécurité, les pays du Sahel sont appuyés par certains partenaires. Le plus important de ces partenaires dans le cadre de cette lutte reste, avant tout, la France à travers l’Opération Barkhane.  Grâce à cette opération, le terrorisme a entamé une phase d’atténuation. Cependant, la France a commencé une espèce de redéploiement des éléments de cette force et la diminution de ses effectifs. Ce qui ne change en rien la situation, selon le président Bazoum, ou du moins, pour l’instant.

« La France dis­pose d’une base aé­rienne à Nia­mey, dont la vo­ca­tion est d’in­ter­ve­nir sur le ter­ri­toire ma­lien. Il est en­vi­sagé que le com­man­de­ment de l’opé­ra­tion, qui est logé à N’D­ja­mena, vienne s’ins­tal­ler ici. Ce qui se tra­duira sans doute par la pré­sence de per­son­nels et de moyens plus im­por­tants », a déclaré le Chef de l’Etat.

Autre partenaire non moins important qui est engagé aux côtés des pays du Sahel face au terrorisme, c’est le pays de l’Oncle Sam. En effet, les Etats-Unis dispose d’une pe­tite im­plan­ta­tion à Nia­mey et une base de drones à Aga­dez.

Par contre, pour combattre l’insécurité, il n’exclut aucune alternative dans le cadre de l’achat de matériel comme les hélicoptères, les drones et autres armes. « Nous sommes dis­po­sés à faire notre mar­ché chez n’im­porte le­quel de nos par­te­naires. Aucun n’a d’ex­clu­si­vité. Ce qui compte pour nous, c’est la meilleure offre », a-t-il martelé.

Bassirou Baki Edir

Niger Inter Hebdo N°40