Opinion : L’opposition dans les pays francophones en Afrique

Être opposant, dans les pays francophones en Afrique, est un vrai sacerdoce. Ce statut exige des convictions ancrées, de la patience et de l’endurance. Prompts à exploiter la mauvaise gouvernance des dirigeants, il arrive aux opposants d’avoir une certaine influence sur la capitale, qu’ils soulèvent, de temps en temps.  Catégorie minoritaire et désargentée, elle peine à s’unir pour affronter, dans les urnes, les pouvoirs en place.

Feu le président Omar Bongo Odimba du Gabon avait pour habitude de nommer « Conseiller à la présidence de la République » tout compatriote qui rentrait d’études avec un doctorat. Technique, pour lui, d’embrigader politiquement une portion importante des intellectuels. Dans la même logique, le président Paul Biya du Cameroun, à un moment donné, nommait aux mêmes fonctions des agrégés d’Université. Cette approche permettait de passer le message suivant aux grands savants du pays : « Si tu te tiens tranquille, toi aussi, tu peux avoir mes faveurs, un jour. » L’opposition, de manière générale, est constituée et dirigée par des intellectuels, idéalistes et persuadés de lutter pour le bien-être des masses populaires. Ils prétendent libérer le peuple du joug de l’impérialisme français et de l’exploitation capitaliste internationale. Beaucoup, tôt ou tard, créent des partis politiques ou adhèrent à ceux existants. Certains passent par le canal syndicat révolutionnaire ou économiste, pour défendre les intérêts, moraux et matériels, des travailleurs, dans la perspective d’un changement de régime. D’office, les régimes en place envisagent, au moins, deux manières de les traiter : la corruption et la répression. Gaver un intellectuel d’argent et de biens symboliques le préserve de l’opposition. En cas de refus, la vitesse supérieure est la répression, qui va du non recrutement à la Fonction publique, sachant que le privé est moins pourvoyeur d’emplois, au blocage dans sa carrière, si le délit est découvert après embauche, à la perte d’emploi, en passant par la prison voire à l’assassinat, dans les cas ultimes. Refuser les faveurs du régime en place, dans nos régimes présidentiels, représente un crime de lèse-majesté, un affront personnel, aux yeux du prince. La prolétarisation des intellectuels, par la méthode douce de la strangulation économique, est une arme favorite.

L’impossible unité

Depuis le « Renouveau démocratique » des années 90, dans les pays africains francophones, les partis politiques se créent à la pelle. Un proverbe anglais veut que : « Des paysans qui se mettent ensemble forment une union, tandis que des intellectuels qui se réunissent se divisent. » Les partis politiques d’opposition sont un lieu de chocs des égos. Résultats : de nombreuses scissions, d’où l’explosion du nombre de partis, qui passent plus de temps à se combattre qu’à lutter contre les pouvoirs en place. Ce faisant, ils deviennent les meilleurs agents électoraux des majorités présidentielles. Aux élections, ils récoltent des scores que l’électeur a honte de retenir ou de répéter. Leur dispersion, dans la multitude de ces partis champignons, les prive d’autant de moyens de leur action politique. Écœurés par tant d’échecs électoraux et financièrement asséchés, beaucoup finissent par rendre les armes, donc par rejoindre la majorité ou la mouvance présidentielle… Et la population de crier à la trahison.

L’opposition a aussi cette particularité de se concentrer dans la capitale, en raison du regroupement de ses dirigeants en ces lieux. La capitale est un capital. À chaque montée de fièvre sociale, elle a le loisir de soulever les masses urbaines contre le gouvernement, pour dénoncer la mauvaise gouvernance, pointer du doigt la vie chère ou exiger la démission d’un tenant du pouvoir. Les habitants de la capitale sont, souvent, considérés comme les plus conscients, politiquement. Un mouvement social, né dans la capitale, peut se répandre dans le reste du pays, grâce aux Technologies de l’information et de la communication (TIC). Certaines catégories socio-professionnelles sont également une courroie de transmission des mots d’ordre, politiques ou syndicaux, en raison de leur maillage complet du territoire. C’est le cas, privilégié, notamment, des enseignants et du personnel de santé. Un parti politique dont l’essentiel des militants provient de ces deux corporations, dispose d’atouts majeurs pour diffuser ses idées et convaincre les masses populaires de sa cause.

Changements divers

Une forme de lassitude ou un sentiment d’impuissance peut s’emparer de l’opposition, quand un président s’éternise au pouvoir. Certains opposants se replient, alors, sur leurs petits projets personnels, en attendant « la mort du tyran ». Le problème est que cette « alternance venue du Ciel, de Dieu », peut tarder à descendre. Des opposants appellent, dans ce cas, l’armée à prendre le pouvoir. Mais, les officiers, qui se prennent pour De Gaulle, nourrissent aussi des ambitions. Le pouvoir se colore au kaki, et échappe aux opposants. Des opposants, exploitant le ras-le-bol des populations, peuvent organiser une insurrection ou une « révolution ». Là encore, le pouvoir peut, simplement, changer de mains. Une partie de l’opposition tire son épingle du jeu, s’installe aux commandes de l’État, et s’enrichit à une vitesse vertigineuse puis avec une avidité pire que celle de la précédente classe dirigeante. Le pays devient ingouvernable car le « nouveau régime » tarde à satisfaire les aspirations populaires. Le peuple en vient à regretter « l’ancien système », qui distribuait au moins des miettes, tandis que le nouveau pouvoir racle même les croutes de pain qu’il mélange à sa soupe… Le peuple juge plus sévèrement les nouveaux que les anciens riches. Ce qu’il n’osait revendiquer du tyran, il l’exige, hic et nunc (ici et maintenant), du pouvoir qui a renversé celui-ci… En revanche, quand c’est une scission ou une implosion de la dictature qui provoque « le changement », les repentis de l’ancien pouvoir, grâce à leur expérience de gestion, arrivent, plus facilement, à canaliser les mécontentements, en élargissant les dimensions de la table à manger ou en remplaçant les ex-camarades qui ont commis la faute de goût d’avoir défendu, jusqu’au bout, le dictateur, par de nouveaux arrivants, bien ciblés.

Avant de s’engager dans l’opposition, il vaut mieux commencer par réfléchir à ces scénarii.

André Marie POUYA