« L’opinion publique ne supporte plus que la mauvaise gestion et les irrégularités dans l’utilisation de l’argent public demeurent, le plus souvent, sans sanction personnalisée ». Ces propos de Philippe SEGUIN, prononcés à l’occasion de la clôture du colloque « Finances publiques et responsabilité- l’autre réforme » organisé par la Cour des comptes en avril 2005 indique à quel point le citoyen, à la fois contribuable et usager de service public, victime et bénéficiaire des décisions budgétaires et financières est particulièrement attentif à la gestion de l’aspect sonnant et trébuchant du contrat social.
Ce constat a reçu un écho juridique favorable en droit UEMOA qui a expressément fait apparaître au fronton de la directive faîtière que « l’argent public est au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit ». L’idée est de montrer qu’il n’y a pas de démocratie sans finances publiques claires car la démocratie repose sur la confiance et donc sur la transparence.
C’est dans le souci de rassurer le contribuable et d’instaurer la confiance que la gestion des services publics et la manipulation de l’argent public ont toujours été encadrées par des règles de fond et des règles de procédure. Mais à partir du moment où toute norme est contrainte, elle lèse, elle irrite, la tentation de ne pas s’y conformer est assez grande.
Les irrégularités commises et constatées doivent dès lors donner lieu à des sanctions adaptées. La nécessité d’adapter la sanction au type de manquement et au statut juridique de son auteur a poussé à l’organisation d’un régime de sanction qui tient compte de la spécificité des agents comptables et ceux de l’ordre administratif. Dans tous les cas, il s’agit de sanctionner les infractions aux règles de la comptabilité publique et du droit budgétaire afin qu’elles ne se renouvellent pas chaque année.
A propos des agents de l’ordre administratif, la loi organique n°2012-08 du 26 mars 2012 sur la Cour des comptes a prévu des manquements regroupés autour de la notion de « faute de gestion » dont la répression est confiée à la quatrième chambre de ladite juridiction.
La compréhension des contours juridiques de la faute de gestion permet de conforter l’incompréhension autour de sa recrudescence lorsque l’on s’intéresse aux différents rapports publiés par la Cour des comptes
Qu’est-ce qu’une faute de gestion ?
Aux termes de l’article 75 de la loi précitée, la faute de gestion est constituée en cas de « toute atteinte aux lois et règlements régissant les finances publiques ». Après cette formule englobante, des cas spécifiques ont été précisés. Il s’agit de :
- l’engagement d’une dépense, sans l’obtention du visa préalable dans les conditions prescrites par la réglementation en vigueur sur le contrôle financier de l’État ;
- la non prise en compte du refus de visa opposé par le contrôle financier à une proposition d’engagement de dépense sans l’obtention de l’avis conforme du ministre en charge des finances ;
- l’engagement des dépenses sans l’obtention à cet effet de délégation de signature ;
- la modification budgétaire irrégulière ;
- du non-respect des règles relatives au Code des marchés publics ;
- du non-respect de la législation et de la réglementation relatives à la gestion des fonctionnaires et des agents ;
- toute omission d’obligation de déclaration fiscale et sociale et toute déclaration inexacte ou incomplète aux administrations fiscales ;
- toute omission, en méconnaissance ou en violation des dispositions fiscales en vigueur, de remplir les obligations qui en découlent en vue d’avantager indûment des contribuables ;
- toute procuration ou tentative de procuration à autrui ou à soi –même, en méconnaissance de ses obligations et dans l’exercice de ses fonctions d’un avantage pécuniaire ou en nature non prévu par la réglementation y compris la surfacturation ;
- l’inexécution totale, partielle ou tardive d’une décision de justice passée en force de chose jugée entraînant la condamnation d’une personne morale de droit public ou d’un organisme soumis au contrôle de la Cour ;
- du non-respect des règles relatives à l’acquisition, à la gestion ou à l’aliénation du patrimoine mobilier et immobilier de l’État, des collectivités territoriales et leurs établissements publics ;
- toute infraction à la réglementation financière des collectivités territoriales et des établissements publics qu’ils soient nationaux ou locaux ;
- toute infraction à la réglementation financière propre aux entreprises publiques, sociétés d’État, sociétés à participation financière publique ;
- tout préjudice causé par les responsables à l’organisme public au sein duquel ils exercent des responsabilités, par des carences graves dans les contrôles qu’ils sont tenus d’exercer ou par des omissions ou négligences dans leur rôle de direction.
En parcourant le dernier rapport général public dont il n’est pas nécessaire de revenir sur les constats suffisamment affligeants et largement partagés, l’on se rend compte que l’essentiel de ces cas de faute de gestion ont été commis notamment dans la gestion des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’Etat et d’économie mixte et des projets de développement.
Qui peut commettre une faute de gestion ?
En dehors des membres du gouvernement qui ne peuvent être déférés devant la Cour des comptes, l’article 76 de la loi précitée précise que cette faute peut être commise par les ordonnateurs, les administrateurs de crédits et leurs délégués. A ceux-là s’ajoutent :
- tout agent de l’État, tout membre d’un cabinet ministériel, tout agent d’une collectivité territoriale, tout agent d’un établissement public,
- tout représentant, administrateur ou agent des organismes qui sont soumis au contrôle de la Cour des comptes ;
- tous ceux qui exercent de fait, les fonctions des personnes désignées ci-dessus.
L’on constate que la faute de gestion a été instituée pour sanctionner les auteurs de certaines irrégularités budgétaires, financières et comptables. Il s’agit, en réalité, des fonctionnaires ou autres agents publics, quel que soit l’organisme public de rattachement. L’essentiel est que cet agent ne soit pas soumis à une responsabilité politique. Ce régime de responsabilité spécifique ne se confond ni avec la responsabilité pécuniaire ni avec la responsabilité pénale encore moins avec la responsabilité disciplinaire.
Qui peut poursuivre l’auteur d’une faute de gestion ?
En cas de commission d’une faute de gestion, seules quelques autorités limitativement énumérées sont habilitées à saisir la Cour, par l’organe du Ministère Public. Il s’agit du Président de l’Assemblée Nationale, du Premier Ministre, du Ministre en charge des Finances, des autres membres du Gouvernement pour les faits relevés à la charge des fonctionnaires et agents placés sous leur autorité et pour les faits relevés à la charge des organismes et des administrations placés sous leur tutelle, de la Cour des Comptes elle-même (auto saisine) et du Procureur Général près la Cour des Comptes qui peut également saisir la Cour de sa propre initiative.
L’on constate que ce sont les plus hautes autorités politiques, administratives et juridictionnelles qui sont investies de la lourde mission de faire respecter l’orthodoxie budgétaire, financière et comptable.
Dans quel délai peut-on saisir la Cour des comptes ?
Dans l’engagement d’une procédure ou poursuite juridictionnelle, il est systématiquement tenu compte du délai de forclusion. Il s’agit de la durée pendant laquelle il est possible d’exercer une action juridictionnelle et en dehors de laquelle l’action en justice n’est plus envisageable. Ce délai limite dans le temps, la possibilité de faire valoir un droit devant le juge. En la matière, le droit nigérien prévoit que les faits constitutifs de faute de gestion « ne peuvent plus faire l’objet de poursuites devant la Cour après l’expiration d’un délai de six ans à compter du jour où ils ont été commis ». Ainsi, l’auteur d’une faute de gestion est susceptible d’être poursuivi pendant une période de six ans à compter de la commission de l’infraction.
Quelle sanction prononcée à l’encontre de l’auteur d’une faute de gestion ?
Lorsqu’à la suite de la procédure prévue à cet effet, la faute est établie, la Cour prononce à l’encontre de son auteur une amende dont le montant est calculé selon la gravité et le caractère répétitif de l’infraction. Quoi qu’il en soit, le législateur précise que l’amende ne peut être inférieure à 100.000 F par infraction. Il faut veiller à ce que ce montant ne dépasse la rémunération nette annuelle que le délinquant a perçue à la date de l’infraction. Dans le cas où il bénéficie d’une rémunération autre que publique, l’amende dont il est passible est calculée en fonction de sa rémunération nette annuelle. Mais s’il n’est pas salarié, cette amende peut atteindre l’équivalent de la rémunération nette annuelle correspondant à celle d’un administrateur de l’Administration centrale à l’échelon de rémunération le plus élevé. En conséquence, tout dépend de l’appréciation souveraine de la Cour.
En sus de cette sanction pécuniaire non négligeable, il est prévu que si la Cour constate que la faute a causé une perte à l’organisme public concerné, elle ordonne à son auteur le remboursement à cet organisme des sommes correspondantes en principal et intérêts.
Enfin, s’il est relevé des faits de nature à justifier une action disciplinaire ou pénale, le Conseiller rapporteur établit un rapport administratif. Celui-ci est communiqué au Procureur général qui en informe le Procureur de la République près le Tribunal du lieu de l’infraction et le Ministre dont relève l’auteur de la faute. L’idée est de tirer toutes les conséquences administratives et pénales en sus des sanctions prononcées par la chambre de discipline budgétaire et financière de la Cour des comptes.
En sommes, la volonté de traquer tous les cas de faute de gestion apparaît clairement à la lecture de l’article 75 de la loi précitée. Il en est de même au sujet de la poursuite des auteurs de cette faute lorsque le législateur a choisi de faire confiance aux autorités à même de préserver l’intérêt général, y compris à la Cour des comptes elle-même. Pourtant, dans les faits, les cas de faute de gestion sont légions et sont imputables aussi bien aux responsables étatiques, aux autorités locales qu’à celles placées à la tête des sociétés d’Etat d’économie mixte et de certains projets ou programmes de développement. Dans ce contexte, le citoyen et même le Président de la République (qui ne peut personnellement tout contrôler) n’ont d’autre choix que de se remettre à la plus haute juridiction de contrôle de finances publiques au regard des pouvoirs et prérogatives éminemment importants à elle attribués par le législateur. L’espoir est manifestement permis. Le dernier rapport public, au regard de sa qualité, est suffisamment révélateur sur la volonté de l’institution de dénoncer et certainement de sanctionner, désormais, tous les cas de faute de gestion dans l’intérêt d’une gestion vertueuse de la chose publique.
Adamou ISSOUFOU
FSJP/UCAD