Le Niger dispose d’un cadre de dialogue politique – le Conseil national de dialogue politique (CNDP) – ce qui place notre pays jusqu’à une date récente en avance sur certains pays en matière de dialogue politique. Mais avec le dysfonctionnement observé du CNDP, le pays ne s’achemine-t-il pas vers une crise politique ? Qu’est-ce que le dialogue politique ? Quelles sont les conditions de possibilité de ce dialogue au Niger ? Pourquoi pouvoir et opposition au Niger doivent-ils privilégier une approche dialogique à leur différend ? En s’appuyant sur quelques sagesses, cette modeste contribution au débat actuel en cours dans notre pays vise à rappeler quelques principes élémentaires du dialogue.
Invité à Niamey par les chrétiens pour animer une conférence sur le dialogue interreligieux, le sage Amadou Hampathé Bâ avait déclaré : « Pour se comprendre mutuellement, il est bon d’oublier un moment qui l’on est et ce que l’on sait, afin d’être ouvert, disponible, et mieux écouter son interlocuteur. Un homme tout empli de lui-même, pressé d’étaler son savoir, ramenant tout à lui, ne saurait être convenablement à l’écoute de personne. Il cherche plutôt à se faire entendre qu’à écouter patiemment celui qui expose quelque chose. Même lorsqu’il se tait, il rumine déjà sa réponse et, finalement, se prive du bénéfice de l’échange et de toute chance d’apprendre davantage. Or la vie est leçon perpétuelle et l’on a toujours quelque chose à apprendre. Mon maître Tierno Bokar avait l’habitude de dire : ‘’il y a trois vérités : ma vérité, ta vérité, et la Vérité. Cette dernière se situe à égale distance des deux premières. Pour trouver la vérité dans un échange, il faut donc que chacun des deux partenaires s’avance vers l’autre, ou ‘’s’ouvre’’ à l’autre. Cette démarche exige, au moins momentanément, un oubli de soi et de son propre savoir. Une calebasse pleine ne peut pas recevoir d’eau fraiche… » (Amadou Hampathé Bâ, Jésus vu par un musulman).
Le dialogue n’est pas chose aisée en ce sens qu’il suppose une violence sur soi. Une certaine renonciation à quelque chose souvent à laquelle l’on tient tant. Le psychanalyste Jacques Lacan a dit : « Le dialogue parait en lui-même constituer une renonciation à l’agressivité ». En effet, opter pour le dialogue c’est renoncé à la violence ou d’autres voies d’expression non rationnelles.
C’est, pour ainsi dire, communiquer. Et on le sait, le but de toute communication c’est la compréhension mutuelle. Quand on parle c’est pour se faire entendre et surtout se faire comprendre. On échange, on discute mais pour qu’il y ait discussion il faut s’accorder sur quelque chose. Cet accord n’est possible que lorsque les interlocuteurs peuvent participer sans aucune contrainte extérieure.
Cela suppose également que les participants au dialogue soient de bonne foi et que leur propos ait de la véracité. D’où la nécessité d’une certaine ‘’éthique de la discussion’’. Car comme dirait l’autre : « Il ne faut pas discuter avec quelqu’un qui nie les principes ». Lorsque les interlocuteurs respectent le principe de l’éthique de la discussion, le dialogue pourrait être envisagé comme ‘’un face à face’’, un rendez-vous du donner et du recevoir, une confrontation pouvant déboucher sur une décision, un consensus ou un accord.
Les préalables au dialogue
Traitant du dialogue en général Wikipedia nous donne la description suivante du dialogue : «… Comme toutes communications, le dialogue comprend au minimum un émetteur et un récepteur. Cependant, le dialogue se distingue dans le processus qui unit ces deux protagonistes. Alors que la donnée émise est le message, le but du message est l’objectif de la communication ; dans un dialogue véritable, le but n’est donc pas le sujet de l’énoncé, il ne s’agit pas d’avoir raison du récepteur ni de lui imposer un point de vue cognitif, une perspective ou référence. Ainsi, par un code constituant un langage qui peut être verbal ou non verbal, une parole est contenue dans le message et transmise dans la communication, afin d’être décodée et reçue par le destinataire, puis de lui signifier quelque chose qui a du sens dans sa propre existence. Le dialogue appelle donc à ce que les acteurs de la communication soient transformés dans leur être, en toute liberté ; l’écoute active, l’humilité sincère et le respect mutuel y sont donc nécessaires. »
Dans le guide du facilitateur du dialogue entre partis politiques de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance, on peut lire ceci : « Le dialogue n’est pas une invention moderne. À travers l’histoire et dans la plupart des sociétés, le fait de rassembler des personnes pour les aider à surmonter leurs différences et à résoudre leurs problèmes a toujours été une mission prestigieuse, généralement confiée à des individus expérimentés, à des anciens ou à des personnes respectées pour la qualité de leur jugement et leur sagesse. Certains éléments de « méthodologie du dialogue » ont été et sont encore employés dans les sociétés traditionnelles et s’appuient sur des procédures et coutumes ancestrales (par exemple, les jirgas, les shuras et les conseils de village). Leur validité est d’ailleurs reconnue dans les processus de justice de transition, de gestion des conflits et de réconciliation (IDEA international, 2008b) »
Ainsi selon les situations de crise, on observe souvent des initiatives internes où les acteurs en présence peuvent accepter de se retrouver pour discuter des problèmes au nom de l’intérêt général. Tout comme on a recours également aux médiations qu’elles soient nationales ou internationales.
En termes de préalables ou disons précaution pour un dialogue nous empruntons ici la règle de « l’éthique de la discussion » de Jürgen Habermas. Cette règle se décompose donc en deux étapes :
« 1) Il faut prendre en compte les intérêts des personnes qui peuvent être affectées par la norme examinée ;
2) et tenir compte des jugements que lesdites personnes posent sur la norme. »
En d’autres termes, cela revient à dire le plus simplement du monde que les intérêts du peuple et l’opinion des citoyens doivent être les seules références, les seules guides au dialogue politique puisque c’est de cela qu’il s’agit. C’est dire qu’il n’y a de sujet tabou dans ce dialogue que ce que le peuple souverain considère comme tel.
L’état des lieux pour un dialogue politique au Niger
A priori, on pourrait dire que présentement le contexte est difficile voire hostile au dialogue politique au Niger malgré l’existence du Conseil national de dialogue politique évoqué plus haut. Le pouvoir et l’opposition se regardent en chiens de faïence. L’opposition persiste et signe : il n’y a pas de démocratie au Niger, le processus de mise en place de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et le Fichier Electoral Biométrique est biaisé et par ricochet, l’Opposition FRDDR boycott le CNDP qui se réduit à la majorité au pouvoir.
La création du FRDDR (Front pour la restauration de la démocratie et la République) par l’opposition élargie à une partie de la société civile en dit long sur le contexte non dialogique qui caractérise la situation politique dans notre pays. Amadou Djibo dit Max le chef de file de l’opposition par intérim a même déclaré à l’occasion d’un point de presse que ce qui est en train d’être tramé à savoir la mise en place de la CENI et du CFEB ne les concerne pas. Pire, Max accuse le président Issoufou d’avoir mis la démocratie entre parenthèses et ne vise qu’à transmettre le pouvoir à qui il voudra, à en croire l’opposant.
Au même moment, côté pouvoir, on rétorque que l’opposition joue à la mauvaise foi et joue au dilatoire du moment où elle serait impliquée sur toute la ligne dans le processus de mise en place des structures qu’elle récuse. Mieux, les leaders de la majorité ne comprennent pas cette attitude contre-productive de l’opposition dont les récriminations à l’occasion des élections passées viennent d’être prises en charge avec la participation des partenaires techniques et financiers du pays. Il faut le dire tout net, la réforme du code électoral actuel a été un processus inclusif. Tout est parti de l’état des lieux des élections de 2016 où les différents partenaires ont été impliqués pour reformer le code électoral afin de prévenir les conflits inhérents au contentieux électoral. Mais aujourd’hui force est de constater que des membres de la CENI sont en train d’être désignés sans la participation de l’Opposition qui considère que le processus actuel ne l’engage pas.
De proche en proche, il s’installe résolument un dialogue de sourds entre le pouvoir et l’opposition au Niger. A l’épreuve des faits en Afrique, il sied de prendre très au sérieux les litiges sur les questions électorales pendant qu’il est encore temps. Les crises électorales ou politiques quand elles surgissent remettent en cause tous les efforts du pays pour son développement. Et au Niger où tout est prioritaire, la classe politique a intérêt à s’entendre sur l’essentiel si tant est qu’elle ne vise que le salut du peuple nigérien.
Les conditions de possibilité du dialogue politique au Niger
Il y a lieu de souligner ici pour mieux le féliciter que le CNDP a fait ses preuves dans la résolution des antagonismes politiques au Niger. La situation actuelle surprend plus d’un observateur notamment en ce qu’elle concerne la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) puisqu’on pourrait même considérer que c’est une exception que cette fois-ci la classe politique tarde à s’entendre sur la mise en place de cet instrument qu’elle a toujours su créé par le passé de façon consensuelle. Il est vrai que sous Tandja avec le tazarce, le CNDP a failli à sa mission même si par ailleurs le recours à la médiation internationale – la CEDEAO avec Aboubacar Abdoussalami – n’avait pas également arrangé les choses.
Cette situation met en évidence que le dialogue qu’il soit l’initiative nationale ou internationale, si les acteurs ne sont pas de bonne foi, s’ils sont animés des attitudes « jusqu’auboutistes », le fiasco sera toujours au rendez-vous. Et au Niger, à notre sens, un effort doit être fait du côté du pouvoir comme de l’opposition pour ‘’humaniser l’altérité’’, pour parler comme Dr Moustapha Gueye, un expert en communication.
Toutefois, si le pouvoir et l’opposition sont disposés à dialoguer véritablement, il va falloir d’un côté, l’opposition et la société civile acquise à sa cause formulent des doléances raisonnables ou du moins légales à défaut d’être réalistes. Par exemple, dire qu’il n’y a pas de démocratie au Niger n’est pas réaliste donc une attitude non dialogique. De l’autre côté, il va falloir sans tarder créer les conditions d’un large consensus national autour de la mise en place de la CENI et du CFEB. Pour ce faire, le président de la République dont la main reste toujours tendue à l’Opposition pourrait malgré tout tenter de recevoir les leaders du FRDDR pour le bien du Niger.
Autrement, le pouvoir et l’opposition doivent être également disposés à commettre une médiation internationale qui donnera plus de garanties à tout le monde. Dans ce cas, les prétentions et les vérités des uns et des autres pourront s’exprimer et on saura de quel côté se situe la mauvaise foi.
Il nous semble qu’il n’est pas un luxe pour le Niger d’explorer ces pistes pour la paix en mettant en place un cadre électoral inclusif et consensuel. Encore une fois, la classe politique doit se reprendre pour simplement donner au peuple nigérien dont chacun et tous se réclament : une chance à la paix et la cohésion indispensables pour tout développement.
Toute attitude contraire à l’esprit du dialogue du pouvoir ou de l’opposition serait nuisible au Niger qui a trop souffert des batailles partisanes débouchant sur des remises en cause des acquis de notre peuple. Qui a intérêt que le Niger s’enlise aujourd’hui encore dans une crise politique ? A qui profite les guéguerres politiciennes ?
A notre humble avis, malgré les mécompréhensions entre politiciens, il faut admettre que ce qui nous réunit au Niger est plus important que ce qui nous divise. Le peuple nigérien y tient et il appelle à cela de tous ses vœux. Refuser cet appel, refuser ce devoir patriotique c’est donné raison à Henri Lafrance lorsqu’il dit : « Peu importe le dialogue ou le monologue, les gens ne comprennent et ne saisissent que ce qui fait leur affaire. »
Elh. Mahamadou Souleymane