Les écoles privées au Niger : Un business comme un autre…

Les ressources humaines constituent la première ressource d’un pays comme d’une entreprise. C’est pourquoi l’école constitue non seulement  l’investissement le plus sûr  mais aussi un facteur incontournable de développement durable d’un pays. Depuis la liquidation de l’école publique par le programme d’ajustement structurel à travers le double flux, la contractualisation de l’enseignement et la retraite anticipée des enseignants de carrière, l’école privée a supplanté l’école publique. Mais avec le recul, on se rend à l’évidence que les écoles privées au Niger ne constituent plus une alternative crédible – du moins la majorité d’entre elles – tant la performance et la qualité des enseignements ne constituent plus la priorité dans nos écoles privées. Pour contribuer à la réflexion sur les problèmes inhérents à l’école privée, Le Républicain est allé à la rencontre des acteurs dans ce domaine. Enquête.

« J’étais en master I à l’université. Mon camarade titulaire d’un master II d’une école privée de la place inscrit en master I avec nous était le plus médiocre de notre classe », nous confie Souley, un étudiant à  l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Ce témoignage traduit la triste réalité de certaines de nos écoles privées. Ces dernières coûtent chères, avec des formations au rabais, des diplômes non reconnus à l’extérieur, s’imposent à coup de publicité comme des écoles d’excellence.

A propos de la cherté de nos écoles privées , à titre de comparaison : au Niger le Master qui s’obtient à plus d’un million selon les écoles ne dépasse guère les 600 000 Fcfa au Bénin ; la Licence à 700 000 au Niger c’est environ 350 000FCFA au Bénin ; et le BTS à 400 000F au Niger s’obtient à 200 000f au Bénin selon une source bien informée.

Pourtant, tout n’est pas rose dans les écoles privées au Niger. A la Direction de l’enseignement privé, la fiche de dossiers de création et d’ouverture d’établissements scolaires privés (lire encadré) est assez exigeante pour permettre à n’importe qui d’être fondateur d’une école privée. Cela est vrai pour la personne physique comme morale. En plus des exigences didactiques et déontologiques, une enquête de moralité des postulants fondateurs des écoles privées par la police nationale fait partie des conditionnalités. A la Direction de l’enseignement privé du primaire, des enseignants de carrière animant cette structure nous ont rassurés du suivi régulier des écoles privées à l’échelle nationale. Selon nos interlocuteurs, leur Direction veille au respect des principes édictés par l’administration pour la qualité des enseignements privés.

 A la Direction de l’enseignement supérieur privé du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation c’est également un dossier méticuleux qu’il faut fournir pour avoir l’arrêté de création d’un établissement privé. En effet, la carte postale de l’établissement et la fiche de création et d’ouverture d’une école privée (dont  copies  sont parvenues au Républicain) attestent justement qu’en amont l’Etat a conçu des gardes fous pour réguler les enseignements privés.

Qu’en est-il du suivi des écoles privées ?

Le bas niveau des étudiants diplômés des écoles privées détenteurs qui d’un BTS, qui d’une licence, qui d’un master amène plus d’un observateur à s’interroger sur la qualité de la formation reçue par ces jeunes dans ces officines (pardon écoles) privées. Plus d’un responsable administratif du public comme du privé se plaint des prestations de ces jeunes diplômés dont les parents ont pourtant payé très chère leur formation. C’est  l’inadéquation entre les principes en amont posés par l’administration et la mauvaise performance des diplômés sortis de nos écoles privées qui suscitent la curiosité quant au suivi réel de ces établissements par l’administration scolaire.

« L’éducation n’est pas une marchandise comme les autres car l’avenir du pays y repose. On ne peut pas confier la gestion d’un hôpital à un plombier autant on ne peut confier la gestion de l’école à n’importe qui », s’indigne un fondateur d’une école privé qui a une pleine conscience des enjeux autour des écoles privées.

 Nos échanges avec des acteurs dans ce secteur nous permettent d’affirmer que les problèmes des écoles privées se situent au moins à trois niveaux : 1) le non-respect des programmes, 2) le manque d’enseignants qualifiés et 3) le déficit d’évaluation.

Le non-respect des programmes

Là apparait le mercantilisme des fondateurs d’écoles privées. Très peu respectent un minimum de volume horaire requis pour valider une matière d’enseignement. Une source nous confie, par exemple, le Cours de la comptabilité générale  se fait en 120 heures mais certaines écoles se débrouillent à le dispenser en 40 heures ! Ou bien selon une autre source un cours de 60 heures se fait à 20 heures dans certains établissements. L’objectif étant de faire des économies sur les frais de scolarité des étudiants et par ricochet on se retrouve également avec des programmes non exécutés au grand dam des parents, des étudiants et la société en général qui est grugée. Le programme scolaire même dans les écoles privées c’est en principe deux semestres. Mais par la manie de certains fondateurs c’est à peine qu’ils tiennent les 5 mois sur 9, selon une source proche de l’inspection de l’enseignement privé. A en croire notre source, pour faire des économies sur le temps, dans nos écoles privées l’évaluation peut prendre plus d’un mois et certains arrivent même à prolonger les congés scolaires d’une certaine manière pour mieux rentabiliser leurs recettes !

Manque d’enseignants qualifiés…

La même logique de la rentabilité fait que les fondateurs des écoles privées n’arrivent pas à recruter des enseignants en quantité et en qualité à la hauteur des exigences de leurs missions. Un enseignant du privé très remonté contre certains de ses employeurs dénonce leurs mauvaises pratiques en ces termes : « certains fondateurs font du copinage. Ils préfèrent recruter leurs parents, amis ou connaissances sans qualification requise avec une rémunération qui jure avec les normes en vigueur ». Pourtant avant d’avoir l’arrêté de création de leurs établissements, les fondateurs sont censés fournir toutes les informations sur les contenus des programmes, la qualification des enseignants. Par mauvaise foi nous confie un autre enseignant du privé, on trouve certaines aberrations où des enseignants qui ont à peine la licence ou le master se retrouvent en train d’enseigner des étudiants qui aspirent au même diplôme. En principe pour le niveau master c’est au moins un titulaire d’un DEA qui doit dispenser des cours. Mais le hic, au lieu de payer 10 000f l’heure, elles sont rares les écoles privées qui peuvent payer 5  000f. La majorité paye 3 000f l’heure aux enseignants qui se retrouvent  même avec des arriérés, selon une source. Certaines écoles ont d’ailleurs la réputation d’être de mauvais payeurs de leurs enseignants de sorte que chaque année elles font recours à des nouveaux enseignants, souligne Andilo, un enseignant.

Le déficit de l’évaluation…

« En tant que pionnier dans l’enseignement privé, je puis vous assurer que la situation est telle qu’il n’y a plus d’évaluation dans certaines écoles privées. La preuve c’est qu’on n’échoue pas. Les examens ne sont pas objectifs. Vous avez payé votre argent, vous avez droit à votre diplôme ! Et avec le marketing et la publicité mensongère ces écoles se font passer pour des écoles d’excellence avec 100% de réussite », s’indigne ce fondateur très consciencieux, lui-même enseignant de vocation. Et notre interlocuteur de dénoncer la marchandisation de l’école : les notes, les diplômes s’achètent avec la complicité des parents d’élèves et étudiants qui ne souhaitent guère le redoublement ou l’échec de leurs progénitures. Si on doit redoubler c’est qu’on a affaire à une mauvaise école. On fuit les difficultés. Le mérite n’est plus reconnu. La notion de meilleurs élèves, de supers craques a disparu de nos écoles. C’est le règne de la médiocrité. Un universitaire fondateur d’école privée l’avait appris à ses dépens, lui qui osait faire observer l’évaluation en bonne et due forme. En deux ans,  ses élèves et étudiants ont désisté pour se retrouver là où on n’échoue pas. Et pour la petite histoire, nous confie notre source, ce sont ses mêmes élèves et étudiants (incapables) qui étaient venus le narguer d’avoir obtenu les diplômes que lui,  le rigoriste,  leur a refusé.

Que faire alors pour limiter les dégâts ?

Il faut déplorer la défaillance des services de l’Etat dans le contrôle et suivi des écoles privées. Malgré l’affirmation en amont de ces services pour le contrôle du contenu et la qualité de la formation, le contrôle des évaluations, dans les faits il n’y a pas véritablement d’inspection ni contrôle rigoureux. On enseigne ce qu’on veut dans certaines de ces écoles. Le contrôle se réduit aux locaux, les tables, des détails inutiles. Pire, on envoie aux écoles des fiches à remplir sans être sur les lieux, le souci étant plus de satisfaire les desiderata des bailleurs de fonds. Ce qui pose un problème quant à l’objectivité des données statistiques. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités pour inverser la tendance pendant qu’il est encore temps. Voudrions-nous simplement des statistiques pour le FMI et la Banque Mondiale, s’interroge un pédagogue ? Non ! Ces institutions ont même fait leur aveu d’échec sur l’impasse où se trouve l’école dans les pays en voie de développement, soutient-il. Pour ce faire, il faudrait mettre l’accent sur le contenu de la formation, une équipe qualifiée et un corps d’inspection, aider les écoles à avoir des équipements à jour, favoriser le secteur industriel au lieu des sentiers battus comme finance/banque que tout le monde a tendance à faire, préconise notre pédagogue.

Si on n’y prend pas garde, pour un pays comme le Niger la relève en termes de ressources humaines risque de ne pas être assurée d’où la nécessité de bannir le laxisme coupable de l’Etat, s’inquiète notre interlocuteur. Et justement, selon des sources concordantes le dysfonctionnement du contrôle des écoles privées est réel. Sinon comment est-il possible de contrôler en 10 jours l’ensemble des écoles privées sur le territoire national ? L’on comprend aisément que cela soit possible lorsqu’il s’agissait simplement pour la mission de contrôle d’envoyer aux fondateurs des formulaires à remplir à leur guise quitte à les renvoyer via les compagnies de transport voyageurs !

Il faut par ailleurs dénoncer d’autres mauvaises pratiques, une sorte de complicité entre des fondateurs d’écoles privées et certains responsables administratifs. En effet, par exemple selon nos sources, certaines filières ne peuvent être enseignées par les écoles privées qu’après deux ans d’exercice et ce, après un examen minutieux du dossier de l’école par une commission nationale. Mais certaines écoles commencent directement par enseigner toutes les filières qu’elles souhaitent avec la complicité de certains agents de l’Etat habilités à appliquer la loi. A ce niveau, une de nos sources parle d’une sorte de mafia qui contourne toutes ces mesures coercitives pour la bonne administration de l’école privée. Selon une source, pour enseigner certaines filières il faut l’aval des experts du domaine. Mais certaines écoles ont fini par corrompre la chaîne de sorte que c’est au finish certains experts eux-mêmes qui préparent les dossiers en lieu et place des écoles. Ce qui fait que selon notre source la performance d’une école ne suffit pas pour jouir de la bonne grâce des experts. Ce qui en dit long sur la défaillance du suivi et contrôle des écoles privées.

Quid des contrôles inopinés des écoles  privées?

Il est prévu dans le souci de bonne gouvernance des écoles privées des visites inopinées où les inspecteurs peuvent à tout moment descendre dans ces établissements, prendre les cahiers des élèves ou étudiants pour contrôler le volume horaire des cours, la qualification du personnel etc. Très malheureusement une de nos sources nous a confié que la tendance est d’une visite par an. Ce qui conforte l’assertion d’une de nos sources citée plus haut selon laquelle le contrôle se fait à la tête du client.

Et le copinage entre les écoles privées et les agents de l’Etat s’étend jusqu’à L’Agence nationale  d’allocations et des bourses (ANAB). Ici,  selon une source, il y a un véritable enjeu dans la répartition des étudiants boursiers au profit des écoles privées. Dans tous les cas, l’étudiant n’a pas de choix de son école. C’est l’ANAB qui l’oriente à sa guise. Et la tendance selon notre source c’est que certaines écoles sont toujours bien cotées auprès de l’ANAB pour se retrouver avec l’essentiel des boursiers. Là aussi selon notre interlocuteur pour une question d’équité, il y a lieu d’un contrôle soutenu dans la répartition des étudiants boursiers par une commission nationale.

On le voit, si tant est qu’on voudrait que l’école soit un outil de développement, il importe que l’Etat s’assume dans le suivi et contrôle des programmes scolaires, la qualité des enseignements tant dans l’école publique que privée. A travers ce survol, il serait prétentieux de considérer que tous les contours du problème des écoles privées sont touchés du doigt mais il importe de dire aux fondateurs et à l’administration scolaire de revoir leur copie pour une école privée de qualité. C’est assez curieux que  « Les meilleures écoles, les mieux construites  et les plus cotées sont toutes étrangères », comme l’a observé un cyber citoyen. Vivement pour une école privée de qualité au Niger… par et pour les Nigériens !

Elh. Mahamadou Souleymane

*Photo d’illustration