L’on apprenait aux jeunes écoliers que nous étions que l’histoire nous apprend ce qui s’est passé autrefois. Mais de toute évidence, le passé n’est lui-même que du présent qui passe, au point que la réalité vécue nous donne toujours l’impression de vivre un présent insaisissable si ce n’est que l’instant d’après. C’est probablement ce qui fait que les auteurs des plus belles pages de l’histoire sont vus au travers d’une lecture souvent chargée de passions, que seul le temps permettra d’estomper. En d’autres termes, cela s’appelle la restitution de la mémoire, de la vérité historique.
Mais en attendant que le temps parachève ce qu’il sait faire le mieux, nous nous chargeons de tirer de l’homme d’Etat Issoufou Mahamadou des enseignements qui nous paraissent indispensables pour une vie politique assainie et moderne dans notre pays. Car, notre génération pourra sûrement s’estimer heureuse pour avoir vécu en plein âge de maturité intellectuelle l’époque Issoufou Mahamadou, qu’elle pourra fièrement raconter à ses enfants et petits-enfants, histoire d’aiguiser les appétits pour ceux qui seront munis du réflexe de la grandeur. C’est dire que c’est de l’histoire que nous avons la chance de vivre au présent.
Une humilité qui dépasse l’entendement
Le Président Issoufou Mahamadou est l’un des hommes d’Etat qui ont su le mieux faire sa place à l’ambition, mais aussi et surtout à la détermination. Dans sa dernière allocution à l’endroit de ses concitoyens, il leur conseillait surtout d’avoir des objectifs clairs pour la vie, de préférence assez tôt et d’y travailler sans relâche. Mais le plus important est qu’il n’a jamais fait de l’origine ou de la condition sociales des prérequis pour parvenir à un échelon que l’on se fixe comme objectif. Même face à des scolaires en plein milieu rural, le Président Issoufou n’a jamais manqué d’occasion de préciser qu’il était exactement comme eux et qu’ils peuvent un jour devenir comme lui. Il n’a jamais laissé planer dans leurs têtes, comme c’est généralement le cas à un tel âge, l’idée que l’homme de pouvoir appartiendrait à une autre espèce ou serait venu d’une autre planète. Savoir dissocier le pouvoir de l’être de l’homme est une preuve d’humilité imparable, surtout quand on sait que dans certains milieux politiques nigériens, la démarcation entre la ville et la campagne ou entre le riche et le pauvre est perçue de façon encore rampante comme justification à prétendre à plus de droit que l’autre. Le président socialiste-et peut-être que telle en était la vraie raison- était resté égal à lui-même, le pouvoir ne lui étant jamais remonté à la tête. Même ses vacances, il les avait toujours passées dans son village natal de Dan Dagi. Une rupture parfaite d’avec ceux qui pensaient jusque-là que le Niger serait une petite brousse pour contenir les vacances présidentielles. Les amis d’enfance et autres connaissances de la vie venaient trouver toujours la même personne qu’ils avaient vue grandir.
L’humilité, Issoufou en a fait preuve de bout en bout. A la veille de son départ, alors que les candidats à la prophétie d’un troisième mandat à son sujet continuaient à entretenir un suspense imaginaire dans leur entourage, le président disait : « J’ai beau chercher, je ne trouve rien qui puisse me faire penser que je suis un homme providentiel, irremplaçable à la tête du Niger. »
Un leadership national et régional exceptionnel
Au plan national, le président Issoufou aura marqué le Niger d’abord par son sens élevé de la dignité humaine, de la liberté et de la démocratie. L’Etat de droit a pris tout son sens sous son magistère. En effet, aucun président nigérien avant lui n’avait autant permis à la toile de vibrer en bien comme en mal sur l’action de son gouvernement. Disons juste que l’encre coulée était peut-être à la mesure du bâillonnement subi par la presse depuis que le Niger porte ce nom. Il a conduit aussi le Niger à de meilleurs chiffres de croissance économique et de multiples réalisations en termes d’infrastructures de tous genres et des investissements structurels dont la postérité se souviendra longtemps de lui.
Au plan extérieur, il importe de préciser d’abord que le Président Issoufou Mahamadou arrive au pouvoir en Avril 2011 dans un contexte sous- régional bouillonnant. Au Mali voisin, les activités des groupes armés islamistes radicaux avec des affiliations variées : les groupes liés à Al Qu’ida agissant dans le Sahel Central, notamment à travers le GSIM (JNIM) et ceux affiliés à l’Etat Islamique agissant à la fois dans la région des trois frontières regroupant le Mali, le Niger et le Burkina Faso, devenue aujourd’hui l’épicentre de la majorité des attaques, mais aussi dans le Bassin du Lac Tchad, impliquant d’autres pays voisins comme le Nigéria et le Tchad.
Il devait donc composer avec cet environnement hostile marqué par cette galaxie islamiste radicale violente. Dans une telle configuration, les oracles ne pouvaient rien présager de bon. Pourtant, le président Issoufou a su conjurer le sort, donnant ainsi aux hommes d’Etats étrangers l’occasion de mesurer qu’en matière de leadership, en attendant l’expérience, c’est la vision qui constitue la première ressource. Issoufou a défendu la paix à l’intérieur comme chez tous ses voisins dans un contexte où ses opposants optaient pour le profil bas, notamment en l’accusant de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Mais le visionnaire qu’il a été savait d’avance que la violence non contenue chez le voisin est une violence chez soi.
Ainsi, à la veille de l’attaque de la Libye par les pays de l’OTAN, Issoufou presque seul contre tous, n’avait jamais fait mystère de sa désapprobation, notamment en anticipant dans toutes les plateformes sur ce qu’il avait appelé l’inévitable somalisation de notre sous-région, si jamais la Libye était attaquée. Au Mali, il avait défendu l’intégrité territoriale ce pays frère peut-être même plus que les maliens eux-mêmes, à en croire un officiel de haut rang. Il était le seul à fustiger au nom de l’unité du Mali le statut de Kidal et certains termes considérés comme scélérats dans les accords d’Alger entre les groupes indépendantistes touaregs et le gouvernement central de Bamako.
De même, au Nigéria il avait fustigé avec un courage politique extraordinaire les activités du groupe islamiste Boko Haram en anticipant sur toutes les initiatives régionales visant la mutualisation des forces pour contrer un problème qui ne pouvait que déborder. Là aussi, ses adversaires enveloppés dans leur coquille locale avaient fait montre d’un retard d’appréhension assez béant vis-à-vis de lui.
Au plan africain plus généralement, Issoufou a été le plus grand panafricaniste digne d’être retenu par l’histoire récente. Ses pairs l’ont sacré Leader et Champion de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF), une force économique devant fédérer les cinq organisations économiques régionales du continent africain, dont l’accord portant création a été signé le 21 Mars 2018 à Kigali, au Rwanda et la phase opérationnelle lancée à Niamey le 8 Juillet 2019. Il a été le porte-flambeau de ce marché voulu comme unique et libéralisé pour les marchandises et les services, faciliter la circulation des capitaux, des individus et des investissements à l’échelle du continent.
Aussi, percevant le franc CFA comme symbole vivant de l’héritage colonial français, Issoufou a été l’artisan de premier plan dans la réactivation du projet Eco, devant introduire une monnaie unique dans l’espace CEDEAO, permettant de fluidifier les échanges commerciaux et assurer une meilleure complémentarité entre les pays et aussi les peuples de la sous-région.
Le prix Mo Ibrahim dont il est le nouveau lauréat et dont la cérémonie de remise a été célébrée le 19 Mai dernier à Niamey est le résultat de cette stature qui a constamment été la sienne, dans un contexte où rien n’était pourtant donné d’avance.
Asmane Saadou