Abdourahamane Ousmane est consultant en communication et élections en Afrique. Il est également ancien président du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) du Niger et ancien président du Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication (RIARC). Il a animé, le week-end dernier, une conférence sur le thème « médias et lutte contre le terrorisme ». Dans l’entretien qui suit, il restitue la quintessence de sa communication.
Niger Inter : quel rapport peut-on établir entre les médias et le terrorisme ?
ABDOURAHAMANE OUSMANE : Le mot terrorisme vient du latin terrere qui signifie faire trembler, créer la frayeur. Dès son origine donc, le terrorisme a pour vocation de produire une commotion, un choc et relève du chapitre émotionnel. Au fil du temps, avec le développement de l’Internet et des technologies de l’information et de la communication, le terrorisme s’est ajouté une vocation médiatique. L’acte terroriste revêt désormais une dimension événementielle et une dimension symbolique. Les attentats du 11 septembre 2001, de par leur mode opératoire, la cible, le moment de l’action et le théâtre des opérations résument, parfaitement, la vocation médiatique actuelle du terrorisme.
Aujourd’hui, la spectacularisation de la violence terroriste est accentuée par l’avidité des médias pour le sensationnel, le scoop et l’exclusivité. De ce fait, les actes terroristes sont très médiatisés, malgré leur caractère criminel, parce que l’angle de traitement médiatique accorde plus d’importance à la belligérance qu’aux conséquences du terrorisme. En outre, les organisations terroristes sont conscientes du « coefficient multiplicateur » des médias ; elles savent communiquer à travers les médias et les réseaux sociaux pour donner à leurs actions une résonnance planétaire. En effet, autant l’Etat Islamique dans le Grand Sahara sait utiliser certains sites d’information pour revendiquer ses attentats meurtriers au Sahel, autant Brenton Tarrant, l’auteur des attaques terroristes de Christchurch en Nouvelle Zélande contre deux mosquées, a su utiliser Facebook pour filmer et diffuser en direct ses tueries. Ces deux exemples illustrent bien que les terroristes du 21ème siècle savent combiner les armes, les médias et les moyens modernes de communication pour atteindre leur objectif principal : créer et amplifier partout un climat de terreur. Par conséquent, la lutte contre le terrorisme doit aussi être menée sur les terrains militaire, médiatique et communicationnel.
Dans ce contexte, la vocation médiatique du terrorisme et la lutte contre le terrorisme compliquent davantage le travail des médias. En termes plus clairs, comment un journaliste doit couvrir un événement planifié et exécuté pour semer la mort, la terreur et la psychose, sans jouer le jeu des terroristes ? Comment garantir le droit du public à l’information, sans affecter les dispositifs de la lutte antiterroriste ? C’est un grand défi professionnel et moral pour les journalistes, car on ne couvre pas un attentat terroriste comme un match de football. De toute évidence, la responsabilité sociale du journaliste est plus grande dans le premier cas.
Niger Inter : Comment, selon vous, concilier la liberté et la sécurité ?
ABDOURAHAMANE OUSMANE : Fondamentalement, la liberté n’est pas antinomique à la sécurité. Bien au contraire, elles sont interdépendantes, car elles sont des droits humains garantis par les instruments juridiques internationaux, régionaux et nationaux. Selon l’article 12 de la Constitution nigérienne, « chacun a droit à la liberté et à la sécurité dans les conditions définies par la loi. »
Dans la pratique, nous vivons actuellement une période de crise liée à la recrudescence du terrorisme au Sahel. La crise a la particularité d’augmenter les besoins en informations de tous les acteurs. Par exemple, suite à l’attaque d’Inatès le 10 décembre dernier, tout le monde veut savoir ce qui s’est passé, comment s’est arrivé après la 1ère attaque de juillet, qui sont les assaillants, quel est le bilan, est-ce que les forces armées étrangères sont intervenues etc.
Cette forte demande en informations met beaucoup de pression sur les journalistes, contraints désormais à travailler dans l’urgence et la précipitation. Certains manquements et même certains dérapages constatés dans la couverture médiatique des actions terroristes peuvent être mis sur le compte du contexte de crise. Au surplus, à l’ère numérique, les « rumeurs technologisées » circulent très vite. Si les journalistes ne font pas preuve de professionnalisme, de responsabilité, de rigueur et de vigilance, l’exercice de la liberté de la presse peut être préjudiciable à la sécurité nationale.
Mais, la crise a également la singularité de mettre la pression sur les institutions de l’Etat, en exigeant d’elles plus de réactivité pour faire face à la situation. Au nom de sa fonction régalienne de garantir la sécurité des personnes et des biens, l’Etat peut légalement prendre des mesures urgentes ou exceptionnelles. Certaines mesures peuvent restreindre les droits civils et politiques en général et la liberté de la presse en particulier. Par exemple, les mesures prises dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence au Niger limitent la liberté de circulation des citoyens ; mais elles sont légales car prévues par les textes en vigueur. Les problèmes surgissent quand l’impératif légitime de sécurité nationale est instrumentalisé pour remettre en cause les droits humains fondamentaux.
En définitive, même dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la liberté et la sécurité sont conciliables à condition que les modalités transactionnelles soient légales et légitimes. Personnellement, je pense que le bon dosage doit aussi intégrer la dimension éthique : le sens de responsabilité des acteurs étatiques et non étatiques doit être le trait d’union entre la liberté et la sécurité.
Niger Inter : Vous avez évoqué au cours de votre conférence des principes élaborés par des experts en droits humains pour concilier la liberté et la sécurité. Quels sont ces principes et leurs contenus ?
ABDOURAHAMANE OUSMANE : Effectivement, face à la propension de certains Etats, y compris dans les anciennes démocraties, à bafouer les droits humains au nom de la nécessité de préserver la sécurité nationale, plusieurs organisations internationales se sont intéressées à la question. Elles ont commis des experts, de diverses disciplines et nationalités, pour réfléchir sur les conditions limitatives ou dérogatoires acceptables. C’est ainsi que trois Principes ont été élaborés et adoptés.
Tout d’abord, on peut citer les Principes de Syracuse, adoptés en 1985 dans la ville italienne du même nom, qui préconisent de manière générale que « toute restriction aux droits contenus dans le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques doit être non discriminatoire, conforme à la loi, légitime et nécessaire ; elle doit être l’alternative raisonnablement disponible la moins limitative. »
Ensuite, les Principes de Johannesburg, adoptés en 1995 en Afrique du Sud, qui édictent vingt-cinq (25) principes suivant lesquels la liberté d’expression et d’information peut être restreinte, au nom des impératifs de la sécurité nationale. Enfin, en 2013, les Principes de Tshwane ont été adoptés toujours en Afrique du Sud, pour ériger cinquante (50) principes globaux sur la sécurité nationale et le droit à l’information. Plus précisément, les Principes de Tshwane formulent les normes relatives à la rétention et à la divulgation des informations pour des raisons de sécurité nationale ; ils chevillent également les règles sur la classification et la déclassification des informations ainsi que les aspects judiciaires de la sécurité nationale et du droit à l’information.
Il est important de préciser que tous ces Principes n’ont pas une valeur juridique contraignante. Par contre, ils ont une valeur normative et symbolique forte, dès lors qu’ils aient été adoptés comme des normes universelles par la Commission des Droits de l’ONU et utilisés comme instruments par plusieurs Rapporteurs Spéciaux de l’ONU, dans le cadre de leur travail de surveillance du respect des droits humains. Ces Principes doivent être une source d’inspiration et une référence pour les Etats désireux de respecter les droits humains fondamentaux et l’état de droit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, conformément à la stratégie mondiale antiterroriste adoptée en 2006 par l’ONU.
Propos recueillis par Elh. M. Souleymane