Du 18 au 22 novembre dernier, six journalistes nigériens de la presse écrite, audiovisuelle et en ligne ont séjourné en France sur invitation du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères autour d’un programme axé sur la sécurité, la coopération et le développement.
Tour à tour ce groupe de journalistes a eu des échanges à l’Agence Française de Développement (AFD), au Ministère des armées, à l’Assemblée nationale, au journal Le Monde, Jeune Afrique, RFI, France 24 et Premières lignes TV, au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, au Sommet Afrique France, au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à Orano au site de Bessines et au Ministère de l’économie et des finances.
L’objectif de cette mission était de permettre aux journalistes d’échanger directement avec les officiels français sur des questions clefs concernant la coopération franco-nigérienne. Il s’agit également de renforcer les capacités de ces journalistes en leur permettant d’échanger et partager les bonnes pratiques avec leurs confrères français à travers des discussions directes.
Très informés sur les préoccupations de l’opinion publique nigérienne, les journalistes invités ont littéralement été des portes paroles de leurs concitoyens. Les préoccupations des Nigériens exprimées ça et là à travers les réseaux sociaux et les médias ont dominé les débats, sans tabous, entre les journalistes visiteurs et leurs interlocuteurs.
La question des bases militaires, la présence de Barkhane, le franc CFA, l’uranium du Niger et Orano, l’immigration, la coopération française au Niger ont été passés au peigne fin avec des questions les unes plus désobligeantes que les autres. L’approche méthodologique des confrères étant surtout de faire entendre aux officiels français les récriminations des Nigériens sur leur présence au Niger.
C’est à cet exercice qu’étaient soumis, durant une semaine, nos interlocuteurs français qui devaient souffrir d’entendre ce que les Nigériens pensent des faits et gestes de la France au Niger à travers les leaders d’opinions que sont les journalistes invités à ce programme.
En dehors des questions qui fâchent, il y a également des échanges ou partagent des connaissances et d’informations utiles pour ces invités très critiques. C’est notamment les rencontres avec des spécialistes et techniciens qui font peu de cas de la langue de bois dans leurs discours. Au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), par exemple, les journalistes étaient plutôt sensibilisés et informés sur les enjeux et besoins locaux en matière de recherche agronomique. L’on retient par que le déficit de coopération régionale tire vers le bas le développement agricole de notre sous-région. L’on apprend également que le Sénégal est aujourd’hui à un niveau européen en matière de recherche et de diffusion dans le domaine agricole. L’on est informé que l’usage des pesticides est à la base de la perte de 70% d’insectes et des oiseaux dans certains pays européens ! L’on apprend également qu’aujourd’hui en matière d’aide dans le domaine agricole, la bonne pratique c’est aussi aider directement les producteurs sans intermédiaires.
Au site de Bessines d’Orano, malgré la polémique sur le profit inégal et les conséquences sur les plans sanitaire et environnemental, l’on a observé que Orano développe une expertise pour l’aménagement des anciens sites miniers. Le site minier de Bessines constitue un exemple patent d’un site minier devenu une ville qui est aujourd’hui un pôle d’excellence technologique. Les journalistes ont visité deux anciens sites d’uranium réhabilités à Bessines. C’est dire que Orano a réussi la reconversion de ses ex miniers dans d’autres domaines d’activités, elle a créé un musée d’uranium (Musée UREKA), elle dispose d’un centre d’innovation métallurgique et elle développe l’expertise dans le domaine médical à travers OranoMed qui développe des thérapies très avancées pour lutter contre le cancer.
A la question de savoir qu’en est-il pour le Niger en ce qui concerne les anciens sites miniers comme celui de la Cominak à savoir s’ils auront le même aménagement par les soins d’Orano ou qu’en est-il des conséquences sanitaires sur les populations et l’environnement ? A ces questions, selon les experts d’Orano, c’est un principe que l’après mine a toujours été pris en compte comme une responsabilité sociétale. En effet, pour le cas d’Akouta, 10% de la production d’uranium a été épargné pour servir au réaménagement de l’ancien site. Ces 10% c’est de l’uranium mis de côté qui doit être vendu pour la prise en charge du réaménagement. A en croire les experts d’Orano, il est permis de rêver de voir la ville d’Akouta réhabilitée avec des infrastructures de pointe. Il incombe aux décideurs et à la société civile de veiller pour que ces fonds puissent être utilement utilisés au grand profit des populations.
A la vérité, c’étaient des rencontres utiles où des discussions sans complaisance ont permis aux journalistes de poser toutes les questions qui leur tenaient à cœur reflétant ainsi les points de vue des Nigériens, sans voix, sur la marche de leur pays et l’attitude de la France.
Sur le Franc CFA par exemple les positions étaient très mitigées. A vrai dire nos interlocuteurs du Trésor français n’ont pas convaincu tant le problème est complexe. Et à travers leur explication de la gestion du FCFA entre le Trésor français et la BCEAO, l’on comprend aisément que notre banque centrale dépose 50% de notre argent (compte de réserve) au trésor français alors que nos pays ont besoin de l’argent pour développer ou construire des infrastructures. Par ricochet, on se rend compte à l’évidence que la ‘’ristourne’’ de 0,75% inhérente à ce dépôt de la BCEAO ne profite qu’aux fonctionnaires de cette institution qui s’offrent 15 mois de salaires, pour paraphraser un confrère lors des discussions. Un autre aspect qui a été mis en évidence à travers le débat sur le FCFA, c’est une sorte de veto de la France qui ne dit pas son nom à travers les statuts de la BCEAO. L’on retient fondamentalement que si les infrastructures constituent un obstacle à l’intégration régionale, comme l’a si bien dit un de nos interlocuteurs français, il est évident que nos décideurs doivent assumer leur souveraineté au sein de la BCEAO pour doter nos pays des infrastructures adéquates comme le vieux projet du rail en Afrique de l’Ouest. Il ressort également des échanges que l’échéance de 2020 pour la monnaie commune de la CEDEAO à savoir l’Eco a des maigres chances de se réaliser.
Ce programme de visite des journalistes en France a été très passionnant. Il a permis aux journalistes de poser des questions sur les préoccupations de leurs concitoyens, de jauger leurs connaissances et niveau d’informations sur les questions brûlantes de l’actualité. Autant nous avons une opinion publique très contraignante, autant sur certaines questions l’opinion française est également très critique sur le gouvernement français, aimaient bien nous rappeler nos interlocuteurs. Par exemple la présence de Barkhane et la perte en vies humaines est une question très sensible en France, apprend-on. Qui plus est, malgré les efforts budgétaires du gouvernement français, l’opinion publique française ne comprend pas le sentiment anti français qui se développe de plus en plus au Sahel. Nos interlocuteurs français s’offusquent, par exemple, d’apprendre l’opinion selon laquelle pour une certaine opinion, Barkhane serait de mèche avec les terroristes.
Le respect du format des débats à savoir la contradiction, force l’admiration sur toute la ligne au cours des différentes rencontres. La tolérance, le respect de l’altérité constituent à n’en point douter les exigences d’une rencontre dialogique des cultures et des civilisations. C’est à notre humble un mérite de se soumettre à un tel exercice. Très belle leçon de bonne gouvernance car sous nos cieux la critique et la contradiction ne sont pas souvent tolérées.
Elh. M. Souleymane