Lors de son message à la nation, à la veille du 58ème anniversaire de la proclamation de la République du Niger en 2016, le président Mahamadou Issoufou avait annoncé un certain nombre de réformes visant à moderniser et rendre efficace l’administration du pays. Celle qui a plus retenu notre attention reste la mise en place effective du Compte Unique du Trésor (CUT).
Le CUT est « l’une des pratiques éprouvées dans l’amélioration des systèmes de paiement et de collecte de recettes, et dans l’exercice d’un meilleur contrôle des dépenses publiques en centralisant les soldes disponibles des comptes bancaires du gouvernement (Dener, Cem, 2013). En d’autres termes, c’est une « structure unifiée des comptes bancaires des administrations publiques, opérée par le Trésor, donnant une vue consolidée des liquidités disponibles et permettant leur fongibilité ».
Selon le chef de l’Etat, cette mesure, « dont le Niger est parmi les pays à l’avant-garde en la matière, vise à rationaliser la gestion de la trésorerie et contrôler l’utilisation des ressources publiques, qui sont éparpillées à travers plusieurs centaines de comptes. Elle contribuera également à donner une plus grande célérité dans le traitement des opérations financières de l’Etat ».
Dans un contexte marqué par : i) Dissémination des fonds publics à travers une multitude de comptes courants de fonctionnement et d’investissement ouverts dans divers établissements bancaires; ii) Recours excessif au financement monétaire ou à l’endettement, faute d’une connaissance complète de l’ensemble des ressources disponibles; iii) Difficultés à rendre compte de façon exacte et complète des opérations des administrations publiques ; iiii) la quête d’efficacité et l’accroissement de la transparence dans la gestion de deniers publiques ; etc., avec en ligne de mire une meilleure gouvernance, la mise en place du CUT s’avère indispensable. D’autant plus que les défis des finances publiques du début du 21ème siècle justifient la plus grande transparence vis-à-vis des citoyens et de leurs représentants.
Une gestion de la trésorerie conforme aux meilleurs standards internationaux
Nombreux sont les pays qui ont mis en place un dispositif de mutualisation appelé « centralisation » afin d’optimiser la gestion de la trésorerie publique. La centralisation des trésoreries publiques est une bonne pratique, recommandée par les partenaires techniques et financiers. Au Niger, la mise en œuvre du compte unique du trésor (CUT) obéit au « principe d’unité de caisse » et à la directive n°07/2009/CM/UEMOA portant Règlement Général sur la Comptabilité Publique au sein de l’UEMOA et dont l’article 58 stipule que « tous les fonds publics, y compris les ressources extérieures mobilisées au titre des projets, sont déposés dans un compte unique du Trésor Public ouvert dans les livres de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ». Elle vise à l’unification des comptes bancaires de l’État pour une gestion des fonds publics optimisée et une meilleure transparence de la comptabilité publique. L’adoption du CUT permettra donc au Niger de se conformer aux standards internationaux en matière de gestion de la trésorerie publique.
Le CUT confère un certain nombre d’avantages tels que :
- Avoir une vue d’ensemble et consolidées sur les ressources disponibles ;
- Honorer les obligations de paiement aux échéances prévues ;
- Éviter des fonds dormants ;
- Améliorer la tenue de la comptabilité publique ;
- Prévenir le manque de liquidités ;
- Garantir l’efficacité et la transparence dans la gestion des fonds publics ;
Et pour profiter pleinement des avantages ci-dessus, le pays doit se doter impérativement des infrastructures [informatiques] nécessaires et suffisantes pour assurer le bon fonctionnement des opérations. Autrement, on assisterait à des perturbations dans le fonctionnement de certaines administrations telles que les hôpitaux.
Début tumultueux pour le CUT
La mise en place du CUT montre bien que le Niger reste un pays réformable. Cependant, la volonté de reformer doit s’accompagner avec bonne méthode et pédagogie afin d’assurer une meilleure transition entre l’ancien et le nouveau système. Or, à lire certains journaux de la place, on a le sentiment que la transition n’a pas été douce. En effet, le ministère des Finances avait enjoint les sociétés d’Etats de clôturer leurs comptes dans les établissements bancaires et de transférer leurs soldes créditeurs au plus tard le 31 juillet 2017 au CUT. Chose difficile à obtenir, surtout quand on sait que les dysfonctionnements sont légion dans l’administration du pays. Résultat, de nombreux établissements publics ont ainsi été bloqués dans leurs activités en raison des nouvelles procédures. A Zinder, rapporte Actuniger.com : « les agents de l’Hôpital national ont dû recourir à des grèves pour faire pression sur les autorités en raison notamment du retard enregistré dans le paiement de leurs émoluments bloqués selon le ministère afin de tenir compte des nouvelles procédures ». Des perturbations que l’on pouvait épargner l’administration si une meilleure transition avait été opérée en amont. A cela s’ajoute le manque à gagner pour certaines banques commerciales de la place que la fermeture des comptes « publics » va générer. Rappelons que ces manques à gagner sont à relativiser puisque les bénéfices que le pays va tirer du CUT vont les compenser à termes, de manière directe ou indirecte. Il incombe, à présent, à ces établissements de mettre en place de nouvelles stratégies pour atténuer les effets de la clôture imminente des comptes de l’Etat.
Vers le renforcement et la modernisation des systèmes et moyens de paiement dans le pays
L’un des bénéfices non négligeables attendu de l‘instauration du CUT est la modernisation et le renforcement des moyens de paiement électroniques dans le pays. En effet, le CUT requerra la mise en œuvre des nouveaux systèmes de paiement SICA (compensation automatisée) et STAR (transferts et virements) permettant ainsi d’acheminer en temps quasi réel les fonds vers leurs bénéficiaires ; réduire les délais d’échange et de règlement ; payer, en temps réel, les dépenses et encaisser plus rapidement les recettes ; réduire les risques et coûts liés aux procédures de manipulation des valeurs et leur transport ; améliorer la célérité de la production de statistiques comptables et financières, y compris en Régions, à travers les Trésoriers Régionaux et Départementaux et créant les conditions d’une gestion plus efficiente des deniers publics. Ce qui, au passage, limiterait le recours au « cash » et donc réduire voire éliminer les risques qui y sont associés tels que l’insécurité et la corruption, principaux freins à notre émergence.
Comme quoi, « Point de banqueroute, point d’augmentation d’impôts, point d’emprunt… Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est réduire la dépense au-dessus de la recette. » (Extrait de la lettre de Turgot au roi Louis XVI le 24 aout 1774)
Adamou Louché Ibrahim
Analyste économique
@ibrahimlouche
(Niger Inter Magazine N°009)