CP Mme Boubacar Adiza Adamou, chef de la Division de la Protection des Mineurs et des Femmes à la Direction de la sécurité publique (DPMF/DSP) © NigerInter.com

« À Niamey, la prostitution est érigée en un véritable système», dixit CP Mme Boubacar Adiza Adamou

Mme Boubacar Adiza Adamou est chef de la Division de la Protection des Mineurs et des Femmes à la Direction de la sécurité publique (DPMF/DSP). Commissaire de Police, Madame Boubacar Adiza Adamou est titulaire d’une maîtrise en Droit privé et d’un master II en Sciences Politiques « sécurité intérieure » de l’Université Jean Moulin III-Lyon (France). Dans cet entretien très informatif, elle nous fait découvrir avec professionnalisme la réalité de la prostitution des mineures à Niamey comme à l’intérieur du pays. Entretien.

 

Niger Inter Magazine : La prostitution des mineures défraie la chronique notamment avec le Conseil des ministres qui a décidé que les ministères de la Promotion de la femme et celui en charge de l’Intérieur prennent en charge ce problème. Quelle est l’ampleur de ce phénomène à Niamey et à l’intérieur du pays ?

Mme Boubacar Adiza Adamou : Le Niger est un pays ouvert  du fait de sa situation géographique au sein de l’Afrique. Niamey, sa capitale, a connu une croissance rapide de sa population et de son terroir ces dernières années avec des hôtels, des auberges, des cases de passages, des bars où se tiennent des soirées nocturnes. Néanmoins Niamey cache mal un fléau grandissant à savoir la prostitution qui est érigée en  un véritable système. Une balade en ville vous éclaire sur ce phénomène. Entre autres sites, nous pouvons vous citer : la Maison des jeunes Djado Sékou, les guettos de Gamkalley, Garabouli, château I, Rond-point ENA, Village chinois, Premier échangeur, ORTN, Koira Tégui, Lacroussou, Rond-point Balafon, Niamey 2000 … en passant par les bars, auberges et hôtels où les professionnels du sexe (adultes et mineures) ont élu domicile, s’exposant dans des tenues on ne peut plus indécentes et licencieuses.   Que ce soit homme, jeune, vieux, lesbienne, gay, chacun s’y retrouve selon sa bourse.

En fin 2016 et début 2017, la DPMF/DSP avec l’appui de l’UNICEF a organisé 09 opérations sur ces sites identifiés.  Sur 431 filles raflées, 192 étaient des mineures (9, 04 % ont entre 10-15 ans, 35,49% ont entre 15-18 ans et 55,45 % ont plus de 18 ans dont les 70% sont de nationalités étrangères). Les filles mineures questionnées ont levé toute ambiguïté. La majorité de ces filles sont rentrées dans le circuit de la prostitution pour subvenir à leurs besoins, certaines parce qu’elles ont été déçues dans leur vie (victimes de mariage forcé ou précoce, violées, mères célibataires rejetées par la famille, pauvreté …), d’autres par simple plaisir, entrainées par des amies (par incivilité, chantage ou par le canal d’un proxénète).  57,77% sont issues des parents divorcés, 6,26% ont des mères célibataires,  24, 59 %  sont des orphelines de père ou de la mère, 5,80% sont Orphelines de deux parents. 40,37% sont déscolarisées depuis l’école primaire, 32 ,71% ont un niveau primaire ; 3,48% ont un niveau supérieur et les 23 ,43% sont non scolarisées.

Sensibilisation des prostitués à Dan Barto

Cet état de fait diffère selon qu’on soit à l’Intérieur du pays où ces activités sont exercées dans des quartiers réputés.  Par exemple dans la région de   Zinder, à Dan Barto plus précisément à Maimuggia, village frontalier du Niger avec le Nigeria (un véritable quartier de prostituées, de trafiquants de drogues ou dealers …) où parfois des fêtes de « gays » sont organisées auxquelles des dignitaires du Nigéria, quelques hommes d’affaires, des filles de différentes régions se donnent rendez-vous pour quelques moments de « passe ». Le Village de Firgi (Maradi) a presque le même statut que celui de Dan Barto où la plupart des professionnelles du sexe sont des filles victimes de mariage forcé, divorcées des grands riches, donc habituées à un niveau de vie très élevé, filles mères abandonnées par leurs parents… Dans tous ces deux villages, la plupart des professionnelles du sexe sont accompagnées par des enfants soit issus de leurs précédents mariages, soit des orphelins de père ou des enfants conçus pendant l’exercice de leurs professions dont les pères sont connus ou pas. Aussi, à Maradi Ville au quartier Karakara dont les ghettos sont tenus par quelques hommes moyennant paiement d’une somme forfaitaire et ces mêmes hommes qui assurent la protection  de ces filles ne sont pas inquiétés conformément aux dispositions du code pénal relatives au proxénétisme et excitation à la débauche . Voilà en quelques mots, le profil de la prostitution au Niger.

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Niger Inter Magazine : Que dit la loi sur ce délit ?

Mme Boubacar Adiza Adamou : La prostitution en tant que telle  n’est pas une infraction au Niger.  Le code pénal, en ses articles 291 et suivants, a prévu des sanctions contre celui qui tire profit et bénéfice de cette prostitution ou qui aide, assiste ou protège sciemment la prostitution d’autrui ou le racolage en vue de la prostitution. Une aggravation des peines est prévue à l’article 292  lorsque la personne utilisée est mineure et même lorsque le délit est commis hors du territoire, ou à leur arrivée ou dans un délai très rapproché de leur arrivée sur le territoire de la République. On parle  du proxénétisme et d’excitation à la débauche. Les textes internationaux comme la CDE (convention des droits de l’enfant) et la Charte africaine du bien-être et du peuple interdisent  la prostitution des enfants.

Niger Inter Magazine : un autre terreau qui favorise  la prostitution des mineures c’est bien l’érection des auberges qui ne sont rien d’autres que des «  maisons closes ». Quels sont les moyens que vous offre la loi pour sévir contre ces prétendus hôtels d’un genre nouveau ?

Mme Boubacar Adiza Adamou : Le code pénal est clair  là-dessus. Il  stipule à son article 294 : «  sera puni des peines prévues à l’article 292 tout individu qui détient directement ou par personne interposée, qui gère, dirige ou fait  fonctionner un établissement de prostitution ou qui tolère habituellement la présence d’une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution à l’intérieur d’un hôtel, maison meublée, pension, débit de boisson… » Nous n’avons pas un problème de texte, mais un problème d’application. Posons-nous la question de savoir à qui appartiennent ces commerces. Quelle est l’identité des détenteurs   de ces immeubles ? Quel contrôle faisons-nous ? Qu’en est-il de la Police, administration qui nous oblige à vérifier l’utilisation faite de ces commerces ?  Disposons-nous assez de moyens pour l’identification  de ces auberges et maisons closes ? Pourquoi plus de moyens investis dans les situations d’urgence que dans les situations à risque ? Quelle est la part de responsabilité des populations qui restent silencieuses dans ces situations ? Tant de questions auxquelles je ne peux  pas vous répondre.

Niger Inter Magazine : Vos services procèdent de temps en temps par des opérations de rafle. Que faites-vous des mineures capturées sur le terrain notamment les élèves ?

Mme Boubacar Adiza Adamou : Nous ne faisons  pas de distinction entre élèves et non élèves. Nous raflons toutes personnes se trouvant sur les lieux visités. Une fois de retour à la base, nous faisons le tri pour séparer les majeures des mineures. Une fois les mineures identifiées, nous  faisons la recherche des parents.  Ces derniers sont invités à se présenter au commissariat. Dans nos locaux, nous les informons de la situation de leurs filles et nous les sensibilisons   à prendre leurs responsabilités. Mais, il arrive souvent que les parents déclinent totalement leurs responsabilités, en ce moment nous mettons ces filles à la disposition de l’ANTD (Association nigérienne pour le traitement de la délinquance juvénile), une association qui lutte contre la délinquance Juvénile particulièrement la prostitution des jeunes filles (enquête sociale / diurne et nocturne, suivi et réinsertion, retour en famille des enfants en difficulté…). Cette association a des antennes dans la sous-région notamment au Bénin, au Burkina-Faso et dispose d’un centre d’accueil à Niamey, logé au quartier Francophonie.

Niger Inter Magazine : On parle également de plus en plus du développement d’un réseau de proxénètes à Niamey qui gâchent également la vie des petites filles. Avez-vous déjà mis la main sur certains de ces indélicats et comment justement, selon vous, réprimer ces gens sournois et puissants, dit-on.

Mme Boubacar Adiza Adamou : Evidemment nous  avons eu à interpeller des nationaux comme des étrangers. Leur pouvoir, leur puissance ne peuvent pas entraver les actes de police judiciaire de la Division ou de la Police nationale. Nous disposons d’une base juridique pour agir, donc, une fois le proxénète ou la proxénète est identifié, il /elle est interpellé, après enquête et mis à la disposition de la Justice.

Niger Inter Magazine : quelles sont les difficultés auxquelles fait face votre division pour accomplir ses missions

Mme Boubacar Adiza Adamou : La DPMF/DSP est un service de consommation. La protection demande plus de ressources financières, des infrastructures adéquates pour le respect du principe de la confidentialité du traitement des cas,  du personnel qualifié, très disponible et passionné de faire carrière.

Niger Inter Magazine : selon vous, quelles sont les solutions appropriées pour mettre les petites filles à l’abri de ce phénomène qu’est la prostitution ?

Mme Boubacar Adiza Adamou : Les solutions sont multidisciplinaires. Il faut attaquer  d’abord le problème à la source. A mon avis il faudrait qu’on règle la question sur le plan socio-économique. L’éducation des enfants est une responsabilité partagée. Il faudrait également que nos jeunes filles et garçons soient occupés soit par la scolarisation soit  par d’autres activités.  Il faudrait  aussi contrôler  les séries télévisées, l’accessibilité à  l’Internet, les fréquentations des enfants. Bref, il faut  plus de rigueur dans l’application de la loi.  Il faut une règlementation stricte de la prostitution. Il faut mettre aussi  l’accent sur la sensibilisation.

Propos recueillis par Elh. M. Souleymane et Abdoul Aziz Moussa