Retrait du Niger de la CEDEAO : Sortie de l’imbroglio ?

C’est tombé comme un coup de massue, le retrait du Niger de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en même temps que deux autres pays du Sahel, à savoir le Burkina Faso et le Mali. L’annonce a été faite dans un communiqué expéditif à l’allure militaire, le dimanche 28 janvier 2024 et en simultané, dans les trois capitales de ces pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) que sont Bamako, Ouagadougou et Niamey. Le Dimanche 28 janvier 2024 est un jour historique pour les populations de ces pays du Sahel qui évoluent tous les trois sous un régime de transition militaire consécutive aux coups d’État. Les auteurs de cette lourde décision, à savoir les Chefs d’État du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont voulu que cette annonce fasse de l’effet. Pour ce faire, c’est en bloc que le fragment de la CEDEAO s’est détaché. Les trois pays membres de l’AES viennent ainsi de quitter l’organisation régionale.

Il faut dire que ce retrait est surtout nigérien, car le retentissement est surtout plus audible du côté du Niger où il intervient au lendemain d’un chambardement d’échanges diplomatiques inédit.

En effet, dans le cadre des négociations de sortie de crise au Niger, une délégation de la CEDEAO était attendue à Niamey le 10 janvier dernier pour entamer des pourparlers, notamment pour fixer la durée de la transition et aussi pour obtenir la libération du Président déchu, Bazoum Mohamed.

Cette première rencontre n’aura jamais lieu. Elle a été reportée pour donner au Niger le temps de la tenue du forum national qui devait retenir entre autres, le délai de la transition. Il s’agit là de la version de la CEDEAO. Pour le gouvernement nigérien, la délégation de la CEDEAO attendue le 10 janvier a plutôt été différée au 12 janvier dernier pour permettre aux émissaires de faire un trajet dans le bon ordre. Finalement, c’est le 25 janvier que Niamey attendait l’arrivée des ministres des affaires étrangères du Bénin, Olushegun Adjadi Bakari, de Timothy Musa kabba de Sierra-Leone, Robert Dussey du Togo, les trois pays désignés par le CEDEAO en charge des négociations avec la transition militaire du Niger.

La délégation devait aussi compter Omar Touray, le président de la Commission de la CEDEAO et l’ancien Chef de l’Etat du Nigeria, Abdul Salami Abubakar. Ce jour-là, 25 janvier 2024, seul le ministre togolais des affaires étrangères a fait le déplacement de Niamey. Et en lieu et place des négociations, les deux parties vont se livrer à un chassé-croisé d’explications et de dénonciations. Pour la partie nigérienne, il s’agit d’une preuve supplémentaire de « la mauvaise foi » de la CEDEAO. Et de soupçonner qu’il y a des puissances étrangères qui tirent les ficelles, ce qui explique que la délégation de la CEDEAO n’a pas fait le déplacement parce que depuis le départ, elle n’est pas favorable à la levée des sanctions qui frappent le Niger.

Du côté de la CEDEAO, des sources argumentaient que le Niger n’a pas délivré d’autorisation de survol à l’avion en partance d’Abuja au Nigeria et qui devait transporter les ministres des affaires étrangères du Bénin et de la Sierra-Leone ainsi que le président de la Commission de la CEDEAO et l’ancien Chef de l’État Abdul Salami, et l’avion du ministre togolais qui devait quitter à partir de Lomé.

Faux, rétorque le Premier ministre nigérien, Ali Lamine Zeine qui, dans un point de presse qu’il a animé le même jour, a brandi les copies des autorisations de survol délivrées à l’avion en provenance du Nigeria et celui qui a acheminé le ministre togolais des affaires étrangères, Robert Dussey. Et depuis Abuja, la CEDEAO va publier un communiqué qui explique que la délégation n’a pu quitter en raison d’une « panne technique de l’aéronef ». Et soupçonner à son tour, le gouvernement nigérien de duplicité pour avoir fait passer sous silence cette note d’information.

L’un dans l’autre, la situation est restée à la case-départ depuis la prise de pouvoir par le CNSP. La seule petite avancée a été la libération du fils du Président déchu, obtenue par les efforts parallèles de la diplomatie togolaise. Pour le reste, le régime des sanctions sévères infligées au Niger et dont la population attendait la levée au cours de cette rencontre ou tout au moins un allègement est plutôt resté en l’état. La question du délai de la transition reste aussi une grande inconnue, tout comme le sort de l’ancien Président Bazoum Mohamed. Et c’est dans la suite de cette controverse diplomatique du 25 janvier que le monde apprend dans l’après-midi de cette journée historique du 28 janvier dernier, la sortie du Niger de la CEDEAO. Comme un casting bien préparé : le choix du chiffre 28. Le retrait du Niger le 28 janvier 2024, la création de la CEDEAO le 28 mai 1975.

CEDEAO et Lamine Zeine, dos à dos

Qui a raison et qui a tort ? La CEDEAO voulait-elle vraiment insuffler un dialogue avec le Niger en vue de la levée des lourdes sanctions qui frappent le pays ? Le gouvernement nigérien était-il véritablement favorable à des négociations pour la détermination d’un délai de la transition aux termes de laquelle il devait céder le pouvoir aux civils ? Personne n’est en mesure de répondre valablement à ces questions.

Mais ce qui est sûr, c’est que dans les deux camps, la partie CEDEAO comme du côté du gouvernement nigérien, chacun traîne des termites qui grignotent profondément le fragile processus de discussions. La France a une implication devenue évidente dans l’agenda de la CEDEAO, cette même France qui n’a jamais pardonné aux autorités militaires, l’expulsion de sa base militaire et de son ambassadeur, Sylvain Itté. Depuis cette rupture diplomatique, la France a mené une campagne intense au niveau international pour obtenir des voies d’intervention en vue de rétablir dans ses fonctions, le Président renversé Bazoum Mohamed. Une action militaire aurait même été envisagée sous le couvert de la CEDEAO et avec l’appui technique de la France. Les intrigues de la France aux côtés de la CEDEAO ont beaucoup obstrué les issues pour des discussions franches entre le Niger et la CEDEAO. Les Etats-Unis jusque-là plutôt conciliants ont durci le ton à l’égard de la transition, surtout depuis que le Niger a révisé sa politique dans le cadre de tout établissement d’une base militaire étrangère dans le pays, révision qui pouvait déboucher sur l’expulsion de la base américaine des drones, située à Agadez, dans le nord Niger. Cette serait une de plus importante que dispose les Etats-Unis sur le continent africain. De passage en Côte d’ivoire récemment, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a eu des allusions plutôt hostiles à l’égard des autorités militaires nigériennes. Autant dire que le ver est dans le fruit.

Du côté du Niger, la situation n’est pas meilleure. Le jeu est aussi trouble, et on peut le dire. Quelques jours avant la rencontre prévue du 25 janvier, le Front patriotique pour la souveraineté, une faction de la société civile ultra radicale qui milite pour l’abandon des négociations, le retrait du Niger de la CEDEAO et l’adoption d’une nouvelle monnaie au sein de l’espace AES, appela ses militants pour des actions d’agitations permanentes, les 24 et 25 janvier au niveau de certains carrefours de la capitale Niamey où devait passer la délégation de la CEDEAO. L’objectif de ces manifestations, avaient indiqué les activistes, au cours d’un point de presse, est de « dire à la délégation de la CEDEAO qu’elle n’est pas la bienvenue au  Niger, que ce n’est pas à la CEDEAO de fixer au Niger la durée de la transition et enfin pour dire que le Niger va quitter ladite organisation ».

Et le Niger a quitté la CEDEAO, apportant de l’eau au moulin de ceux qui disent que le CNSP a « commandé les manifs de rue du front patriotique. Que le CNSP n’était pas partant aussi pour des négociations de sortie de crise ». Le ver était dans le fruit du côté de la CEDEAO. Le gouvernement du Premier ministre Lamine Zeine était aussi parasité par des structures hostiles à la fin de la transition. Fin de l’imbroglio peut-être, car avec le retrait sans délai de la CEDEAO, comme indiqué dans le communiqué du 28 janvier dernier, il n’y a plus aucune explication entre l’organisation régionale et le Niger. Et au finish, c’est la population qui doit continuer à serrer la ceinture, puisque la fin des sanctions n’est pas pour demain.

Ibrahim Elhadji dit Hima