Inoussa Saouna est acteur de la société civile et analyste politique. Dans cette interview accordée à Niger Inter Hebdo, il analyse les causes ayant conduit à l’interruption du processus démocratique avec l’avènement du CNSP au pouvoir. Il s’est appesanti aussi sur « l’attitude pitoyable et irresponsable de la CEDEAO » qui a édicté des sanctions contre le Niger suite aux évènements du 26 Juillet dernier, avant de saluer l’initiative que promeut la Dynamique Citoyenne pour obtenir la levée desdites sanctions.
Inoussa Saouna s’est également prononcé sur les manœuvres entreprises par une nébuleuse politico-sociale qui s’acharne inutilement contre l’ancien président de la République Issoufou Mahamadou.
A l’endroit des animateurs de ce mouvement, « j’ai la faiblesse de croire que leur motivation réelle pourrait être guidée par une idéologie de ressentiment et de stigmatisation », a-t-il déclaré.
Niger Inter Hebdo : Au Niger, l’ordre constitutionnel est interrompu depuis les événements du 26 juillet dernier. Quelle lecture faites-vous de la situation ayant conduit à cet évènement du Niger ?
Inoussa Saouna :Trois mois après le coup d’État du 26 juillet 2023, il est nécessaire de prendre du recul et d’analyser froidement les causes de cette interruption démocratique ainsi que la gestion de la situation actuelle au Niger. L’interruption de la démocratie dans notre pays a été une surprise, compte tenu du succès de notre processus démocratique.
En 2021, l’ancien Président Issoufou Mahamadou avait quitté le pouvoir de manière élégante, permettant au Niger de vivre sa première alternance démocratique depuis l’indépendance, ce qui avait été salué sur la scène internationale. Cependant, les causes de la situation actuelle pourraient être liées à la gestion interne du pouvoir au cours des deux dernières années par l’ancien Président Bazoum et son clan.
En dépit des menaces sécuritaires persistantes, Bazoum avait hérité d’un bilan économique et social relativement solide. De plus, il avait en sa possession un parti politique puissant et une alliance politique large et confortable, des atouts considérables que peu de régimes précédents avaient bénéficié dans le pays.
Malgré ces bases solides, des interrogations subsistent quant à la gestion interne du pouvoir. En tant qu’observateur de la scène politique nationale, j’estime que des choix politiques ou des décisions internes pourraient avoir contribué à créer des tensions et des mécontentements au sein de l’alliance au pouvoir, notamment au sein du principal parti au pouvoir. Des critiques ont émergé au sein de l’alliance et du parti qui se voit mépriser par des parvenus politiques.
La surprise face à cette interruption démocratique s’accompagne également d’une réflexion sur la manière dont certaines personnes soutiennent l’ancien Président Bazoum. On agit à la situation post-coup. Par leurs agissements infantiles, ils sont en train de diviser le PNDS. Le Président Issoufou Mahamadou en refusant toute option militaire contre le Niger a été mis au pilori par ces aventuriers.
Je vous fais ce constat historique. Depuis 1974, chaque coup d’État militaire au Niger a trouvé son opportunité dans les crises internes au sein du pouvoir en place.
Alors que les crises externes peuvent être gérées, celles provenant de l’intérieur ont souvent conduit à l’effondrement du système en place. Malheureusement, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) n’a pas échappé à cette réalité.
Lors du dernier congrès du PNDS, Issoufou a lancé une prémonition en déclarant : « On a toujours été vainqueur par la faute de l’adversaire et on a toujours été vaincu par sa propre faute, la pire des fautes c’est la division. » Cette prophétie n’a malheureusement pas trouvé écho dans le système mis en place par le Président Bazoum Mohamed et ses collaborateurs qui, selon certains, manquaient d’expérience politique et se sont révélés insensibles aux signes de division interne. Contrairement à Bazoum, l’ancien président Issoufou a pu consolider son alliance et renforcer le PNDS, ce qui a d’ailleurs permis de faire élire Bazoum malgré un contexte politique très hostile. En deux ans, Bazoum a effondré ce capital du parti et des partis alliés. Constatez qu’aucun parti membre de l’alliance n’a voulu se battre après sa chute. Visiblement, malgré qu’il soit un des proches d’Issoufou Mahamadou durant 30 ans, Bazoum n’a rien appris ou a voulu ignorer tout de la méthode de ce dernier pour stabiliser son pouvoir.
Niger Inter Hebdo :Trois mois après la prise du pouvoir par le CNSP, le Niger et son peuple souffrent des sanctions prises à leur encontre par la communauté internationale, notamment la CEDEAO et l’UEMOA. A votre connaissance, est-ce qu’il y a des démarches en cours pour obtenir la levée de ces sanctions ?
Inoussa Saouna : Dans mes déclarations antérieures, j’ai souligné l’attitude pitoyable et irresponsable de la CEDEAO, avec le soutien exclusif de la France, envers le Niger. Leurs réactions démesurées et irréfléchies continuent de punir une population innocente. Le Nigeria et le Bénin ont atteint des sommets d’immoralité en coupant respectivement l’électricité et l’approvisionnement en nourriture et médicaments. Rien ne peut justifier une telle réaction entre des peuples voisins.
La CEDEAO sort affaiblie de sa confrontation avec le Niger, voire humiliée, étant isolée sur le plan international en raison d’une lecture plus lucide et pacifique de la situation au Sahel.
Aujourd’hui, il est impératif de passer à l’action. Dans de telles situations, les manifestations de rue, prônées par certains populistes, ne peuvent conduire à la levée des sanctions. Il est nécessaire de mettre en place un mécanisme diplomatique discret et efficace, ainsi qu’un plaidoyer auprès des institutions concernées. Ce plaidoyer devrait être dirigé par des acteurs crédibles. Je salue donc l’initiative de la Dynamique Citoyenne, qui travaille efficacement pour la levée des sanctions sans recourir à la confrontation dans les rues. Il est également important d’encourager le lobbying d’un groupe de femmes nigériennes qui œuvre discrètement pour obtenir la levée de ces sanctions qui durent depuis trop longtemps.
Il est essentiel d’impliquer les hautes personnalités du pays dans cette démarche. Le travail en coulisses entrepris par l’ancien Président Issoufou Mahamadou pour éviter une intervention militaire et maintenir les liens avec les États-Unis doit être poursuivi. Dans cette mission, il devrait être soutenu par d’autres anciens responsables. La priorité doit rester le Niger, avant tout.
Niger Inter Hebdo : Le choix du Togo fait par le CNSP pour être médiateur dans la crise actuelle au Niger participe-t-il de cette démarche ? En quoi le choix de ce pays peut rassurer les nigériens?
Inoussa Saouna : Le Togo, fidèle à sa tradition de neutralité, demeure un acteur essentiel dans la promotion de la paix et du règlement pacifique des crises en Afrique. Cette tradition remonte à l’époque du regretté Gnassingbé Eyadema, où Lomé a souvent servi de cadre de rencontres entre belligérants en quête de solutions.
Dans le contexte de la crise actuelle entre le Niger et la CEDEAO, le Togo a adopté une attitude responsable et constructive. Le choix des responsables politiques et diplomatiques de ce pays frère pour faire une médiation témoignent de leur engagement en faveur de la pacification et du dialogue.
Le Togo s’est positionné en faveur de l’apaisement, choisissant la voie de la paix, plutôt que celle de la confrontation.
Cette démarche reflète la volonté du Togo de jouer un rôle de facilitateur dans les moments de tension, soulignant son attachement aux principes de paix et de coopération régionale. L’attitude responsable du Togo contribue à maintenir un équilibre dans la région et à promouvoir des solutions pacifiques aux différends entre les nations africaines.
Saluons donc le Togo pour son engagement constant en faveur de la stabilité et de la réconciliation en Afrique, et encourageons d’autres nations à suivre cet exemple de diplomatie axée sur la paix.
Niger Inter Hebdo : Des initiatives se créent à l’interne à travers des structures organisées, telles que la Dynamique Citoyenne pour accompagner le CNSP et le Gouvernement à réussir une bonne transition. De quel type d’accompagnement s’agit-il, selon vous ?
Inoussa Saouna : Oui, effectivement, on a assisté à la création de nombreuses structures de soutien à la transition militaire depuis les événements du 26 juillet 2023. Vous constatez avec moi que certaines de ces structures pourraient être davantage des opportunistes cherchant des avantages personnels plutôt que des entités véritablement engagées dans la réflexion et l’action pour une transition réussie. Le scandale des sous de l’escadrille militaire est une illustration.
La Dynamique Citoyenne pour une Transition Réussie est une exception, se distinguant par son engagement en faveur d’une transition réussie au Niger. Cette plateforme citoyenne ouverte se donne pour objectif général de contribuer à la régulation du climat social, favorisant l’apaisement des cœurs et des esprits pour une transition réussie. La Dynamique Citoyenne privilégie la réflexion et la promotion de la cohésion nationale plutôt que la mobilisation de la rue.
Cette initiative travaille également à l’échelle nationale et régionale, mobilisant des acteurs divers de la nation pour contribuer aux orientations de la transition. Vous mentionnez spécifiquement la mobilisation de la diaspora et les efforts pour la levée des sanctions contre le Niger. En outre, la Dynamique Citoyenne s’engage dans des réflexions sur toutes les thématiques pertinentes pour la transition, participant ainsi activement aux orientations du CNSP.
Notre appel à contribuer au dialogue inclusif sur les orientations du CNSP en vue d’un retour pacifique à l’ordre constitutionnel souligne l’importance de l’engagement démocratique dans ces moments critiques de l’histoire nationale. La promotion du dialogue et de la réflexion stratégique semble être au cœur de la vision de la Dynamique Citoyenne pour contribuer positivement à la transition en cours au Niger.
Niger Inter Hebdo : Pendant ce temps, certains nigériens font feu de tout bois pour demander au CNSP l’arrestation de l’ancien président de la République Issoufou Mahamadou qu’ils accusent de tous les maux ? Qui sont ces personnes qui s’acharnent contre l’ancien président Issoufou ?
Inoussa Saouna : Il s’agit d’une nébuleuse politico-sociale, caractérisée par des discours marqués par la stigmatisation de certaines personnalités, en particulier l’ancien Président Issoufou Mahamadou. Les animateurs de ce mouvement semblent axer leur existence publique sur un acharnement contre Issoufou, faisant de lui, l’objet principal de leurs attaques. J’ai la faiblesse de croire que leur motivation réelle pourrait être guidée par une idéologie de ressentiment et de stigmatisation.
Il est intéressant de noter que certains de ces animateurs étaient auparavant des conseillers ou des chargés de mission durant les deux mandats d’Issoufou Mahamadou. Cependant, leur vision biaisée les empêche de reconnaître les réalisations de l’ancien Président, et ils semblent être obsédés par l’idée de le voir arrêté, sans motif.
Les événements du 26 juillet 2023 semblent avoir alimenté leur espoir de concrétiser ce projet, notamment en capitalisant sur une prétendue impopularité d’Issoufou.
L’échec de la dernière manifestation démontre une certaine myopie quant à la compréhension de la scène publique nigérienne. Leurs actions actuellement visent à diviser le CNSP, la junte militaire au pouvoir, mais ma conviction est qu’ils échoueront en raison de leur manque de crédibilité et de leur projet potentiellement menaçant pour l’unité nationale.
Réalisée par Oumar Issoufa