Rentrée judiciaire 2022-2023 : Un stimulus au devoir d’ingratitude du juge ?

Le jeudi 10 novembre 2022, s’est déroulée la cérémonie solennelle de la rentrée judiciaire 2022-2023 et la rencontre annuelle des Magistrats au Centre de Conférences Mahatma Gandhi de Niamey. Placée sous le thème » le rôle de la justice dans la construction de l’état de droit », cette réunion présidée par le magistrat suprême, le Président de la République Mohamed Bazoum a eu lieu également en présence du Premier Ministre, Chef du Gouvernement, SEM Ouhoumoudou Mahamadou, des Présidents des Institutions de la République, des Présidents des Hautes Juridictions, des membres du Gouvernement, des Députés Nationaux, des représentants du Corps Diplomatique et des Organisations Internationales accrédités au Niger. Dans son message, le chef de l’Etat a mis en avant les efforts de son gouvernement pour ‘’ une justice de qualité, plus efficace, plus équitable et plus accessible au citoyen’’ tout en interpelant les magistrats à jouer leur partition pour l’édification d’un Etat de droit gage de développement socioéconomique du pays.

« Le juge n’est pas au service du pouvoir qui l’a nommé, il est au service de la justice ». Ces propos du président Bazoum à l’endroit des magistrats, à l’occasion de la rentrée judiciaire rappellent bien la notion de devoir d’ingratitude telle que formulée par Robert Badinter en réponse à François Mitterrand le 4 Mars 1986.  « M. François Mitterrand, mon ami, merci de me nommer président du Conseil constitutionnel, mais sachez dès cet instant, envers vous, j’ai un devoir d’ingratitude », a déclaré le juge Badinter.

Nous ne le dirons jamais assez : la vitalité d’une démocratie se mesure à travers la qualité des institutions que l’Etat s’est donnée. Une démocratie est forte, c’est-à-dire au service du citoyen, lorsque les institutions le sont effectivement. Nulle place pour la complaisance, pour les arrangements, pour les demi-mesures.

Les citoyens ne comptent que sur la justice, le dernier rempart, dit-on, pour voir les écuries d’Augias nettoyées. Ces 30 dernières années, sous l’ère dite démocratique, de scandales en scandales, il faudrait admettre que la dilapidation des biens publics et la corruption sont devenues un fléau endémique dans notre pays où quelques-uns peuvent détourner allègrement des millions et même des milliards et passer entre les mailles du filet.

Pour en finir avec l’impunité…

Dans la lutte contre la corruption, le rôle du juge est essentiel. C’est pourquoi les magistrats doivent être mis dans les conditions pour être à l’abri des pratiques corruptives qui gangrènent le milieu judiciaire. « Je me suis également engagé à lutter résolument contre la corruption en milieu judiciaire », a déclaré le président Bazoum.  Le Chef de l’Etat a pris des engagements dans ce sens. Et le gouvernement est en train de les traduire en actes. Le représentant du Syndicat des magistrats du Niger (SAMAN) a d’ailleurs bien rappelé que sous le magistère du président Bazoum, le budget du ministère de la justice passe de 10 milliards à 19 milliards. Ce qui en dit long sur la volonté du premier magistrat d’inverser la tendance.

Très tôt, juste après son installation aux commandes de l’Etat, nous nous sommes interrogés dans un commentaire ‘’ Lutte contre la corruption : les précautions du président Bazoum’’ : « Le Président Mohamed Bazoum saura-t-il satisfaire la demande de justice des Nigériens notamment dans la lutte contre la corruption et les infractions assimilées ? L’opération dite « basanibasabo » qu’on lui attribue ira-t-elle jusqu’au bout ou s’arrêtera-t-elle à mi-chemin ? Le chef de l’Etat est-il disposé à frapper, y compris dans son propre camp, ses alliés et ses camarades du parti comme il l’a martelé à l’occasion de son discours d’investiture ?

C’est justement à cette occasion qu’il a déclaré : « C’est pourquoi, je voudrais dire clairement ici que quiconque a une responsabilité dans l’administration publique répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes. Son parti politique, sa « base », sa famille, sa communauté ne lui seront d’aucun secours au cas où son comportement devrait commander une mesure coercitive à son encontre. Pour cela, j’exigerai de tous les responsables aux différents échelons de l’administration que les cadres soient promus sur la base de leur compétence technique et de leur moralité », a averti le président de la République.

Les Nigériens ont bon espoir que le président Mohamed Bazoum et le gouvernement, sous la direction du Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou vont poursuivre la lutte contre la corruption, les détournements des deniers publics, la concussion et l’enrichissement illicite. Du reste, le Premier ministre a réitéré cet engagement du président de la République dans sa Déclaration de Politique Générale (DPG), adoptée le mercredi 26 mai 2021 par l’Assemblée nationale.

 On le sait depuis sa campagne électorale, le Président Bazoum a fait le pari d’asseoir une gouvernance vertueuse après un diagnostic sans complaisance de la façon jusque-là dont les affaires de l’Etat sont gérées. Et comme pour joindre l’acte à la parole, le Chef de l’Etat promet une tolérance zéro à tous ceux qui entendent s’amuser avec les deniers publics. Le pronostic du Président de la République Mohamed Bazoum pour inverser la tendance force l’admiration lorsqu’il dit dans son discours d’investiture : « Ma conviction intime est que notre pays a devant lui un bel avenir, pourvu que nous soyons en mesure d’apporter les bonnes réponses à ses défis. Pour cela, nous avons besoin prioritairement de faire deux choses : promouvoir une bonne gouvernance et repenser radicalement notre système éducatif… ».

 

Le juge, la pierre angulaire de la lutte contre la corruption

Dès l’entame de son discours de la rentrée judiciaire 2022-2023, le président Bazoum a déclaré que le programme sur la base duquel il est élu « fait une place de choix à la gouvernance juridique et judiciaire, qui en constitue la troisième dimension en matière de gouvernance après la gouvernance sécuritaire et la gouvernance politique ». Et c’est conscient du rôle central du juge, que le magistrat suprême a décliné ses attentes des magistrats. « Ce qui est dès lors attendu du juge, exigeant de lui qu’il soit impartial, notre constitution en son article 118, l’affirme de la façon suivante : « Dans l’exercice de leurs fonctions, les magistrats sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi ». Il s’agit en l’espèce d’affirmer l’indépendance du juge consacrant ainsi le primat de sa conscience », a martelé le président Bazoum.

Après avoir rappelé les grands principes qui définissent comme qui dirait, l’éthique et la déontologie du juge, le chef de l’Etat a dit en substance aux magistrats ce qui doit être : « Il y a une part d’effort personnel qui est requis et attendu de chacun d’entre vous pour que l’éthique de l’indépendance du pouvoir judiciaire revête tout son sens.  C’est à ce travail sur soi que je vous appelle afin que vous assumiez pleinement votre rôle de juge, celui d’appliquer la loi, telle qu’elle est, sans autre considération ». Ce qui sous-entend une motivation, un appel au magistrat à se faire violence pour dire le droit selon son intime conviction. C’est dire que le président de la République demande aux magistrats d’assumer pleinement leur part de responsabilité pour l’édification ‘’ d’une justice de qualité, plus efficace, plus équitable et plus accessible au citoyen’’.

Et mieux, le président Bazoum a clairement dit face aux magistrats, en haute et intelligible voix : « Le juge n’est pas au service du pouvoir qui l’a nommé, il est au service de la justice. Le juge doit toujours se servir de l’arsenal juridique pour faire régner la Justice. Et c’est dans la mesure où les juges auront réussi dans cette tâche que les Cours et Tribunaux seront respectés ». Ce qui en dit long sur la détermination du magistrat suprême de voir le juge assumer la dignité de la toge qu’il porte au nom du peuple souverain.

 A bien d’égards, ce discours du président Bazoum fait appel à une sorte de ‘’devoir d’ingratitude’’ de la part des magistrats dans l’exercice de leur fonction. Ce qui traduit une posture assez audacieuse du chef de l’Etat car désormais les juges sont liés en ce sens qu’ils seraient considérés comme entièrement responsables par l’opinion publique de la léthargie ou laxisme face aux dossiers importants de la République. Le magistrat suprême ne demande aux juges que d’assumer leur responsabilité : « J’en appelle au sens de responsabilité de chaque maillon de la chaîne judiciaire, principalement les chefs des juridictions dans leur rôle de contrôle hiérarchique, les services de contrôle et d’inspection, tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir dans le fonctionnement de notre système judiciaire, à s’investir davantage pour mettre fin à certaines pratiques qui n’honorent pas notre système judiciaire. »

A l’aide d’exemples précis, le magistrat suprême a identifié les mauvaises pratiques de nos magistrats qui constituent la raison du dysfonctionnement de la justice voire même ‘’le déni de justice’’, selon les termes du président de la République. Nous osons espérer que cela va aboutir à enclencher une dynamique à même d’inverser la tendance sur la toute ligne au sein de notre système judiciaire.

Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N°88 du mardi 15 Novembre 2022