Continuer à faire preuve de résilience : telle est l’expression que l’on évoque souvent et à raison pour caractériser le Niger. Et pour cause. Malgré le fait que le pays traverse une période critique de son histoire récente – le contexte économique national est marqué par la gestion de la situation sécuritaire, les effets de la guerre en Ukraine, la persistance des chocs climatiques et les impacts de la Covid-19 -, il continue de rester « debout ». Vouloir préserver cet « acquis » en plus de continuer à améliorer significativement les conditions de vie de nos concitoyens, conformément aux engagements pris par le président Bazoum voilà presque un an et demi, requiert des efforts financiers considérables qu’il convient de financer. Conscient de cela, le gouvernement continue de ne ménager aucun effort pour mieux répondre à cet impératif à travers la mobilisation de plus en plus importante des resources et un accroissement des dépenses de l’Etat ces dernières années.
Pour l’année 2023, cette dynamique devra aussi se poursuivre avec la hausse notamment du budget général de l’Etat. Ce dernier devrait s’établir à 3 245,44 milliards de FCFA contre 2 908,5 milliards de FCFA en 2022, soit une augmentation de 11,58% qui serait « imputable à celle des ressources internes pour 8,73% et des ressources externes pour 14,09% ». Au-delà d’être justifiée au regard de l’explosion des besoins que connait le pays, cette augmentation, qui reste par ailleurs l’une des plus importantes de ces dernières années, témoigne de la détermination du gouvernement à apporter des réponses concrètes et fortes à ces besoins ainsi qu’aux différents défis auxquels le pays est actuellement confronté.
Mais avant d’évoquer le fond du projet de loi de finances (PLF) 2023, il convient de rappeler ce que le budget de l’Etat, qui le prépare ainsi que les principaux principes auxquels il doit obéir.
Comprendre le budget général de l’Etat
Chaque année, le projet de loi de finances initiale propose l’ensemble des recettes et dépenses de l’État pour l’année suivante. Il détermine ainsi le budget, c’est à dire la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges selon un équilibre économique et financier déterminé.
Le budget de l’État correspond aussi à l’ensemble de ses ressources et de ses dépenses. L’essentiel des ressources provient des impôts et des taxes payées par les citoyens et les entreprises et les dons des partenaires techniques et financiers. Les dépenses correspondent à l’argent que l’État utilise pour financer l’action publique : police, justice, recherche, éducation, santé… Depuis plusieurs années, les dépenses sont plus élevées que les ressources ; il est en déficit. Pour financer son déficit qui se creuse un peu plus chaque année, l’État est contraint d’emprunter et donc de s’endetter et solliciter l’aide internationale.
Les grands principes du droit budgétaire
Les grands principes du budget de l’Etat sont des règles (élaborées au XIXe siècle) relatives à la présentation et à l’exécution du budget. Ils doivent garantir une gestion claire et rigoureuse des finances de l’Etat. Ils sont au nombre de cinq (5) : unité, annualité, universalité, spécialité et sincérité et dont les significations sont les suivantes :
- Le principe de l’unité signifie que le budget doit retracer dans un compte unique toutes les recettes et toutes les dépenses de l’Etat. Il supprime la distinction qui prévalait, dans le modèle classique du XIXe siècle, entre les opérations ordinaires (dépenses de fonctionnement) et les opérations extraordinaires (dépenses d’investissement, dépenses imprévisibles) : elles doivent apparaitre dans un seul compte. Ce principe est assorti d’exceptions puisque les opérations de certains services de l’Etat ne sont pas tracées dans le budget général mais dans des budgets annexes ou des comptes spéciaux.
- Le principe de l’annualité du budget impose que le budget est voté pour un an. Les autorisations de recettes et de dépenses votées par le Parlement, dans le cadre de la loi de finances de l’année, ne sont valables que pour une année (la durée de l’exercice). L’exécution du budget (perception des recettes et paiement des dépenses) doit se dérouler au cours de l’année pour laquelle le budget a été voté. Ce principe vise à assurer un contrôle régulier des finances de l’Etat par le Parlement. Cependant, il est assorti d’exceptions parce qu’une application stricte nuirait à la souplesse nécessaire aux activités de l’Etat et à une gestion pluriannuelle des finances publiques. Le budget doit donc tenir compte des programmes prévus pour plusieurs années.
- Le principe de l’universalité impose que les montants des recettes et des dépenses doivent apparaitre dans le détail et que les recettes ne sont pas affectées à des dépenses précises. Ce principe comporte deux règles d’application : la règle budgétaire de non-contraction des recettes et de dépenses (dite aussi règle du produit brut) et la règle de non-affectation des recettes.
- Le principe de la spécialité signifie que les dépenses sont destinées à une fin spécifique et ne peuvent être utilisées à d’autres fins. Tout crédit ouvert dans la loi de finances doit être explicitement dédié à une dépense précise, à savoir un programme (ou une dotation). Ce principe est assorti d’exceptions et vise à donner une information précise au Parlement pour qu’il puisse contrôler le budget.
- La sincérité du budget dépend de la sincérité des prévisions sur l’évolution de la situation économique. Par exemple, si le gouvernement fonde son projet de budget sur une prévision trop optimiste du taux de croissance du PIB, il se peut que les recettes fiscales, dont le rendement dépend de la conjoncture économique, soient plus faibles que prévu dans la loi de finances parce que le taux de croissance du PIB effectif pendant l’année d’exécution du budget est plus faible que celui prévu. Dans ce cas, le gouvernement aura surestimé le montant de ses ressources dans la présentation de son budget. A ce propos, nous vous invitons au passage lire le PLF 2023 pour vous forger votre propre opinion (à télécharger et via ce lien http://www.finances.gouv.ne/index.php/lois-de-finances/category/152-loi-de-finances-2023)
Qui prépare le projet de loi de finances ?
De nombreux acteurs – le Gouvernement et les administrations (le Premier ministre, la direction du Budget, les ministères, les différents ministres et leurs cabinets, etc.) – interviennent à différentes étapes de la production du Projet de loi de finances (PLF), partagée en deux phases essentielles, l’une administrative, l’autre parlementaire. C’est la direction du Budget au ministère des finances qui orchestre ces phases d’élaboration.
Avec la présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi des finances au titre de l’année budgétaire 2023 le mercredi 5 octobre 2022, celui-ci entame ainsi la phase du Vote par le Parlement.
Maintenant que nous vous avons fourni les éléments vous permettant de mieux comprendre ce qu’un budget de l’Etat, focalisons-nous à présent sur les choix stratégiques du projet de lois de finances (PLF) 2023.
La transformation de l’économie et la poursuite des réformes de la gestion des finances publiques comme principaux choix stratégiques dans le PLF 2023
A l’instar des années précédentes, l’année 2023 devrait être marquée par la continuité en matière de la transformation de l’économie nigérienne et la conduite des réformes permettant de la rendre plus robuste. En effet, « s’agissant de la transformation économique, les efforts de l’Etat seront axés sur le développement d’un secteur privé dynamique. Pour ce faire, le Gouvernement engagera des réformes pour l’amélioration du climat des affaires et le renforcement du capital humain ainsi que la réduction des coûts des facteurs de production. En outre, les actions de promotion du développement du secteur financier seront confortées par la montée en puissance des différents fonds d’appui et d’accompagnement (FONAP et FDIF) des PME et des SFD. Dans ce domaine, la diversification économique étant le nœud de la croissance et de la création d’emplois modernes, stables et bien rémunérés, le Gouvernement entend consentir des moyens conséquents pour accompagner les stratégies et programmes dans ce secteur ». Loin d’être anecdotique, cette mesure devrait permettre d’améliorer davantage la compétitivité de l’économie nigérienne. Une nécessité quand on sait que dans l’art de la guerre économique, la compétitivité, qui traduit l’aptitude pour une entreprise, un secteur d’activité ou l’ensemble des acteurs économiques d’un pays à faire face à la concurrence, reste un objectif stratégique à atteindre. Pour y arriver, des investissements conséquents doivent être réalisés. Chose que le gouvernement semble prendre la mesure dans le projet de loi de finances 2023 puisque les dépenses d’investissements devraient s’établir à 1.885,63 milliards en 2023 contre 1.618,36 milliards en 2022 soit une hausse de 16,52%. Ces montant devraient être alloués à des « les investissements productifs et ceux des secteurs sociaux prioritaires ».
Par ailleurs, le PFL 2023 consacre des dotations importantes à quatre secteurs essentiels à savoir l’éducation, l’agriculture, la sécurité et l’énergie. Un choix évident au regard de l’importance que leur accorde le président Bazoum Mohamed pour juguler la menace terroriste, mettre fin à l’insécurité alimentaire…. Plus ces secteurs seront soutenus, mieux l’économie du Niger se portera puisqu’ils constituent, en effet, le socle d’une croissance économique durable pour un pays.
« En ce qui concerne les réformes de la gestion des finances publiques, elles porteront sur des mesures de mobilisation des ressources internes et externes et celles liées à la rationalisation des dépenses ». Une fois mise en œuvre de manière efficace et efficiente, cette mesure devrait contribuer à mobiliser davantage de ressources, assainir les finances publiques, accroitre la transparence dans la gestion et donner plus de marges budgétaires au gouvernement qu’il pourrait ainsi utiliser pour financer les investissements évoqués précédemment, construire les infrastructures dont le pays a besoin et concrétiser les projets structurants contenus dans le Programme de Renaissance Acte III du Président de la République.
La prise en compte des amendements pertinents de l’Opposition comme signe de maturité démocratique
Il est triste, voire déplorable de constater que les débats sur le budget tournent souvent autour de la forme et moins sur les questions de fond. Bien que importantes, celles-ci ont tendance à être traitées de manière expéditives, voire occultées, à tort ou à raison. Et en raison de la majorité absolue que dispose le gouvernement, il n’y a guère de suspense car l’essentiel des mesures contenues dans le projet de loi de finances, voire la totalité ont de forte chance d’être votées. Ce, sans tenir compte des amendements que peuvent soumettre les partis de l’Opposition. Cette situation serait en partie imputable à la méconnaissance, voire la faible maitrise des enjeux inhérents à une meilleure allocation et une exécution des dépenses de l’Etat ainsi que leurs impacts potentiels pour la population par les députés nationaux souvent issus de la Majorité. Il serait donc souhaitable que le gouvernement jette un œil bienveillant et attentif aux éventuelles propositions de l’Opposition. De surcroît quand on sait que parmi celles-ci, on pourrait retrouver des éléments pertinents et dont la mise en œuvre permettrait de résoudre bon nombre de problèmes auxquels le pays serait confronté.
Au-delà d’être symbolique, le fait d’inclure les propositions émanant de l’Opposition contribuerait non seulement à confirmer l’utilité de la place de celle-ci dans l’hémicycle, mais aussi à renforcer la démocratie dans le pays.
L’exécution budgétaire en hausse, même si l’on peut mieux faire
En guise de rappel, l’exécution du budget consiste à réaliser les opérations de recettes et de dépenses, à les percevoir ou à les payer. Elle obéit à un certain nombre de règles qui visent à garantir que celle-ci se réalisera au plus près de la volonté exprimée par le Parlement, tout en offrant aux gestionnaires une certaine souplesse.
Quelques années auparavant, elle constituait l’un des talons d’Achille du gouvernement, entravant ainsi de nombreuses réalisations pourtant nécessaires à l’amélioration des conditions de vie de la population. Ce problème semble connaître de plus en plus une issue favorable avec l’amélioration du taux d’exécution budgétaire pour la période 2017 – 2020. Toutefois, on a enregistré un fléchissement en 2021 : 74,54% contre 80,66% en 2020 pour les dépenses budgétaires et 77,85% contre 97,26% en 2020 pour les réalisations des ressources budgétaires (voir notre graphique).
Certes la loi de finances étant construite sur des hypothèses macroéconomiques et financières, la gestion budgétaire peut faire face à des imprévus au cours de l’exécution : divers aléas peuvent survenir en gestion sur les dépenses comme des catastrophes naturelles, des crises sanitaires, des besoins nouveaux imprévus etc. La direction du budget doit par conséquent anticiper, tout au long de l’année, ce que seront les dépenses en fin d’année, et proposer, le cas échéant, des mesures correctrices lorsque la prévision tend à s’écarter de la loi de finances initiale et du respect de la norme de dépenses. Il incombe donc à la direction du budget de suivre et piloter l’exécution des dépenses de l’État de façon transversale en veillant à la régularité de la gestion, à la soutenabilité des dépenses publiques et à la conformité de l’exécution au regard des engagements budgétaires pris devant le Parlement dans le cadre des lois de finances, particulièrement s’agissant du respect de la norme de dépenses pilotables de l’État. C’est de cette manière, entre autres, que l’on pourrait mieux satisfaire aux aspirations de plus en plus croissantes de la population, rendre le pays plus résiliant face aux chocs et le placer sur la trajectoire de l’émergence, qui reste un vœu très cher au Président de la République, S. E Mohamed.
ADAMOU LOUCHE Ibrahim
Economiste
@ibrahim
Niger Inter Hebdo N°84 du mardi 18 Octobre 2022