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Raz-le-bol des anciens passeurs de migrants : À quand la reconversion de plus de 5000 personnes abandonnées à leur sort ?

 

 

Depuis l’application de la loi interdisant le trafic illicite des migrants en 2015, près de 6000 anciens passeurs sont laissés à leur triste sort. En guise de solution à cet état de choses, ‹‹ un plan de reconversion ›› a été élaboré par les  autorités nigériennes  avec l’appui de l’Union Européenne, permettant d’octroyer la somme de 1.500 000 FCFA aux bénéficiaires pour une activité génératrice de revenus (AGR). Après plusieurs années, seulement 10% d’anciens passeurs ont pu toucher cette manne financière. Qu’en est-il des autres passeurs ? À quand la reconversion effective des 5520 passeurs  spoliées aujourd’hui ?

C’est un truisme de dire que les revenus liés à la migration clandestine dans la région d’Agadez représentaient une part importante dans l’économie locale.

Ainsi, l’entrée en vigueur de la loi N°2015-036 criminalisant le trafic Illicite des migrants clandestins, a sonné le glas à une activité longtemps juteuse, impliquant jeunes, femmes et hommes dans la région.

Selon Iro Sani de l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme (ANDDH) à Agadez, hormis le transport des migrants,  les activités migratoires concernaient également la restauration, les changeurs de billets et bien d’autres. C’est pourquoi, son arrêt brusque n’est pas sans conséquence sur les activités économiques de la région d’Agadez.

Colère des anciens prestataires de la migration

Ils sont nombreux ces anciens prestataires de la migration clandestine, communément appelés  anciens passeurs de migrants, très remontés contre leur situation actuelle qui rime aussi  avec une misère ambiante indescriptible.

Monsieur Adamou Ramou, à l’instar d’autres anciens passeurs abandonnés aujourd’hui à leur triste sort, ne savent plus à quel saint se vouer. Père de famille de sept enfants, il a laissé des plumes durant cette période difficile où il a même perdu sa femme. ‹‹ On a accepté d’arrêter ce que nous faisions comme travail, mais on a rien eu en contrepartie comme aide financière. J’ai mon dossier à la mairie d’Agadez et déjà plus de 5 ans passées rien ››, raconte t-il très irrité.

Même calvaire de la part de Ibrahim Abdou Mossi qui a tout perdu. ‹‹ Moi j’ai été en prison à cause de cette activité migratoire et aujourd’hui on est là rien faire, alors que l’Union Européenne a déjà versé l’argent ››.

Et Iro Sani, de l’ANDDH de reprendre que ‹‹ les autorités les ont promis 1.500 000 FCFA, mais malheureusement on leur achète soit des tricycles qui ne dépassent pas à l’époque 900 000 FCFA, d’autres trois motos en raison de 300 000f au lieu de 1.500 000 FCFA et il n’y a que près de 900 personnes qui ont reçu cet argent parmi les anciens passeurs ››.

Le comble, il se susurre même que la majorité de ceux qui ont déjà perçu l’argent, n’est même pas des anciens passeurs. ‹‹ C’est de la magouille ››, répliqua Iro Sani de l’ANDDH à Agadez.

À dire vrai, le danger c’est de mettre ces anciens passeurs dans une situation dos au mur qui pourrait les contraindre à se raviser et à emprunter de nouveau la voie vers le trafic de migrants, ce qui pourrait s’avérer très périlleux à bien d’égards. Certes la majorité a cessé, toutefois ‹‹ certains dans la clandestinité continuent ce business  et chaque fois, il y a des morts dans le désert de Sahara entre Agadez-Libye, entre Agadez-Algérie et entre Algérie-Maroc aussi ››, fait savoir le défenseur des droits humains à Agadez, très impliqué dans le dossier, en faveur d’un dénouement heureux pour les ayant droits, avançant que ‹‹ pour quelqu’un qui gagne 5 à 10 millions par semaine, 1.500 000f n’est pas grand chose, surtout pour ceux qui ont 2 ou 3 femmes et des enfants en plus ››.

Une reconversion difficile

Selon Amadou Oumarou, Secrétaire Général des ex-prestataires de la migration, la reconversion des anciens passeurs de migrants vers une activité génératrice de revenus (AGR) s’inscrit dans le cadre du fonds fiduciaire d’urgence que le Niger a signé avec l’Union Européenne (UE), avec comme  engagement d’aider financièrement à créer une source de revenus autre que les activités migratoires.

Au stade actuel, affirme t-il, ‹‹ ils sont environ 5565 personnes des 13 communes de la région d’Agadez concernées par le plan de la reconversion à Agadez, parmi lesquels se trouvent des passeurs, des vendeurs bidons, des chauffeurs et  ceux qui sont dans la restauration ››.

Après une première et  une deuxième phase où 980 sont reconvertis vers des activités génératrices de revenus (AGR), M. Amadou Oumarou fait savoir qu’à l’heure actuelle, 65 personnes dont les dossiers sont déjà traités attendent le financement pour commencer une AGR, tout en ajoutant qu’actuellement ‹‹ c’est 5520 personnes qui sont en attente ››. Une si longue attente donc,  dirait-on et qui laisse perplexe la majorité des anciens passeurs.

D’après plusieurs sources, l’UE aurait bel et bien octroyé les fonds, pendant ce temps, c’est  les bénéficiaires qui sont spoliés.

La question qui mérite d’être posée alors est de savoir où se trouvent les fonds promis aux anciens prestataires de la migration? À quoi rime ce silence assourdissant des autorités locales d’Agadez ?

Sur la question, le Maire de la commune urbaine d’Agadez, Monsieur Touraoua Abdourahamane a répondu que ‹‹ les dossiers des anciens passeurs sont au niveau du Conseil Régional, c’est eux qui les gèrent. A chaque occasion nous témoignons de l’implication du président du CR pour demander aux partenaires de voir cette situation pour tenir la promesse de l’insertion des anciens passeurs arrachés d’un métier qui nourrit des familles ››.

Contacté par nos soins, le Président du conseil régional (PCR) d’Agadez n’a pas daigné répondre à nos questions.

Au demeurant, la  situation très difficile dans laquelle végètent bon nombre d’anciens prestataires de la migration pourrait s’avérer un acte  d’injustice à leur endroit. Le gouvernement est  donc interpellé à s’engager davantage dans cette fameuse affaire de reconversion d’anciens passeurs de migrants pour que les 5520 personnes abandonnées et sans emploi aujourd’hui, puissent enfin pousser un ouf de soulagement.

Koami Agbetiafa

Niger Inter hebdo N°79 du 13 Septembre 2022