Dialogue politique au Niger : A quand la décrispation entre les forces politiques ?

Qui a intérêt que les leaders politiques nigériens se regardent en chiens de faïence ? Plus d’un citoyen se posent cette question au regard de la posture non dialogique de la classe politique nigérienne. En Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, malgré les contradictions politiques évidentes, la classe politique a accepté, çà et là, de mettre en avant les intérêts du pays. Si en Côte d’Ivoire, les 3000 morts de la guerre civile, la prison de la Cour pénale internationale (CPI) à la Haye pour Laurent Gbagbo et son disciple Charles Blé Goudé, l’assassinat de Thomas Sankara et les autres crimes du régime de Blaise Compaoré au Burkina Faso n’ont pas empêché aux hommes politiques de se retrouver ; pourquoi au Niger, les leaders politiques préfèrent se regarder en chiens de faïence ? A Niger Inter Hebdo, nous pensons qu’au regard de la situation sécuritaire très critique, le dialogue politique s’avère être une impérieuse nécessité.

Qu’est-ce que le dialogue politique ? Quelles sont les conditions d’un possible dialogue politique au Niger ? Pourquoi Pouvoir et Opposition au Niger doivent-ils privilégier une approche dialogique à leur différend politique pour une éventuelle réconciliation nationale ? En s’appuyant sur quelques sagesses et praxis du dialogue, cette modeste contribution au débat actuel en cours dans notre pays vise à rappeler quelques principes élémentaires du dialogue.

 Le Niger qui dispose déjà d’un cadre de dialogue politique (le Conseil National de Dialogue Politique – CNDP) se trouve très en avance sur beaucoup de pays dans ce domaine. Quand on sait que le processus électoral nigérien est inclusif et que les points de litige relèvent du détail, donc constituent une contradiction secondaire, il suffit d’une volonté politique à travers un dialogue sincère pour se comprendre et avancer. Il importe de souligner que la mise en place de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) permanente et l’élaboration du fichier électoral biométrique sont l’émanation de la volonté des forces politiques en présence (Pouvoir, Opposition, Société civile et observateurs des élections de 2016).

On se rend compte à l’évidence que le déficit de volonté politique et la prédisposition de la classe politique nigérienne au dialogue expliquent en substance la crise post-électorale dans laquelle le pays était plongé.

Pourtant, avec un peu de sens d’écoute, le Niger allait se tirer d’affaires. En effet, après avoir apprécié le ‘’score remarquable’’ réalisé par Mahamane Ousmane, le président Bazoum, fraichement élu, avait déclaré devant ses partisans et alliés au siège national du PNDS-Tarayya qu’il comptait sur Mahamane Ousmane ‘’pour créer un nouveau climat entre le Pouvoir et l’Opposition, mettre fin aux tensions inutiles et nous donner la main sur l’essentiel par ces temps de grands défis terroristes’’.

Cette main tendue ou appel au bon sens a également été réitéré le 02 avril 2021 par le président Mohamed Bazoum, à l’occasion de son discours d’investiture. « J’ai déjà, à deux reprises, loué la sagesse de mon adversaire du second tour, le Président Mahamane Ousmane. Je suis disposé à entretenir avec lui ainsi qu’avec les autres leaders des partis politiques de l’opposition le dialogue constructif qu’il faut pour favoriser un climat politique apaisé, propice aux intérêts de notre pays », a martelé de façon solennelle, le président Bazoum. Si, hier, le contentieux électoral n’était pas vidé, qu’est-ce qui explique le statu quo ou cette posture non dialogique entre la majorité et l’opposition pour mieux faire face à la crise sécuritaire ?

L’esprit du dialogue…

 Invité à Niamey par les chrétiens pour animer une conférence sur le dialogue interreligieux, le sage Amadou Hampathé Bâ avait déclaré : « Mon maître Tierno Bokar avait l’habitude de dire : ‘’il y a trois vérités : ma vérité, ta vérité, et la Vérité. Cette dernière se situe à égale distance des deux premières. Pour trouver la vérité dans un échange, il faut donc que chacun des deux partenaires s’avance vers l’autre, ou ‘’s’ouvre’’ à l’autre. Cette démarche exige, au moins momentanément, un oubli de soi et de son propre savoir. Une calebasse pleine ne peut pas recevoir d’eau fraiche… », Amadou Hampathé Bâ, Jésus vu par un musulman.

Le dialogue n’est pas chose aisée en ce sens qu’il suppose une violence sur soi. Une certaine renonciation à quelque chose souvent à laquelle l’on tient tant. Le psychanalyste Jacques Lacan a dit : « Le dialogue parait en lui-même constituer une renonciation à l’agressivité ». En effet, opter pour le dialogue, c’est renoncé à la violence ou d’autres voies d’expression non rationnelles.

C’est, pour ainsi dire, communiquer. Et on le sait, le but de toute communication, c’est la compréhension mutuelle. Quand on parle, c’est pour se faire entendre et surtout se faire comprendre. On échange, on discute mais pour qu’il y ait discussion, il faut s’accorder sur quelque chose. Cet accord n’est possible que lorsque les interlocuteurs peuvent participer sans aucune contrainte extérieure.

Le dialogue pourrait être envisagé comme ‘’un face à face’’, un rendez-vous du donner et du recevoir, une confrontation pouvant déboucher sur une décision, un consensus ou un accord.

Cela suppose également que les participants soient de bonne foi et que leur propos ait de la véracité. D’où la nécessité d’une ‘’éthique de la discussion’’ pour une compréhension mutuelle fondée sur ‘’l’argument meilleur’’ et non le ‘’meilleur argument’’, pour paraphraser Jürgen Habermas. C’est dire que le dialogue n’est pas synonyme de syncrétisme ou d’unanimisme. Au plan politique, il s’agit que l’opposition se dilue. En démocratie, il faut une majorité qui gouverne et une opposition qui doit jouer son rôle de contre-pouvoir. Il est plutôt question à travers le dialogue politique de se retrouver, échanger et s’entendre sur la marche du pays.

Les préalables au dialogue

Dans le guide du facilitateur du dialogue entre partis politiques de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance, on peut lire ceci : « Le dialogue n’est pas une invention moderne. À travers l’histoire et dans la plupart des sociétés, le fait de rassembler des personnes pour les aider à surmonter leurs différences et à résoudre leurs problèmes a toujours été une mission prestigieuse, généralement confiée à des individus expérimentés, à des anciens ou à des personnes respectées pour la qualité de leur jugement et leur sagesse. Certains éléments de ‘’méthodologie du dialogue‘’ ont été et sont encore employés dans les sociétés traditionnelles et s’appuient sur des procédures et coutumes ancestrales (par exemple, les jirgas, les shuras et les conseils de village). Leur validité est d’ailleurs reconnue dans les processus de justice de transition, de gestion des conflits et de réconciliation (IDEA international, 2008b) ».

Ainsi, selon les situations de crise, on observe souvent des initiatives internes où les acteurs en présence peuvent accepter de se retrouver pour discuter des problèmes au nom de l’intérêt général. Tout comme on a recours également aux médiations qu’elles soient nationales ou internationales.

En termes de préalables ou disons précaution pour un dialogue, nous empruntons ici la règle de « l’éthique de la discussion » de Jürgen Habermas dont la théorie de « l’agir communicationnel » fait autorité pour les débats dans les sociétés démocratiques aujourd’hui. Cette règle se décompose donc en deux étapes :

« 1) Il faut prendre en compte les intérêts des personnes qui peuvent être affectées par la norme examinée ; 2) et tenir compte des jugements que lesdites personnes posent sur la norme.»

En d’autres termes, cela revient à dire le plus simplement du monde que les intérêts du peuple et l’opinion des citoyens doivent être les seules références, les seuls guides au dialogue politique puisque c’est de cela qu’il s’agit. C’est dire qu’il n’y a de sujet tabou dans le dialogue que ce que le peuple souverain considère comme tel. C’est pourquoi, nous osons espérer que le contexte actuel, caractérisé par une insécurité qui ne fait pas de quartier, est plus que jamais favorable au dialogue au Niger. Pourquoi hier la classe politique nigérienne parvenait toujours à trouver un consensus à travers le CNDP et qu’aujourd’hui, ce Conseil serait en panne ? D’aucuns se demandent pourquoi l’ancien président Issoufou Mahamadou ne s’engagerait-il pas pour le dialogue politique au Niger comme il vient de le faire au Burkina Faso ?

L’état des lieux du dialogue politique au Niger

A priori, on pourrait dire que la situation est plutôt délétère, crispante, hostile au dialogue politique au Niger malgré l’existence du Conseil National de Dialogue Politique évoqué plus haut. Le Pouvoir et l’Opposition se regardent en chiens de faïence.  Le contentieux électoral est vidé. Il y a des opposants en prison dont certains leaders des plus en vue. Le challenger du président Bazoum a pris acte du verdict de la Cour de justice de la CEDEAO qui l’a débouté. Il a même repris sa place de député à l’Assemblé nationale. Cette posture pourrait s’interpréter comme une évolution de la situation politique et sonnerait le glas de la crise poste électorale.

A notre humble avis, après avoir épuisé ses recours, Mahamane Ousmane doit logiquement tirer les conséquences en saisissant la main tendue du président Bazoum. Il doit même le féliciter à l’image d’un autre opposant, Hamma Hammadou pour ne pas le citer qui vient de le faire à travers une publication. « Maintenant, en républicain, j’en profite également pour féliciter le président Mohamed Bazoum », a écrit le Secrétaire général du parti Doubara.

Qui plus est, l’approche dialogique du président Bazoum est loin d’être une vue de l’esprit. On l’a vu, tour à tour, recevoir tous les acteurs et forces vives de la nation sans exclusive. Si l’Opposition faisait exception, cela s’expliquerait certainement par le fait que le contentieux électoral n’était pas épuisé. Mais aujourd’hui que la messe est dite, rien ne justifie le refus du dialogue par les leaders de l’Opposition.

Il faudrait reconnaitre à Mahamane Ousmane sa posture constante de républicain hors pair et celle de démocrate convaincu. C’est cette double posture qui a permis de préserver la paix et la quiétude sociale, en dépit des chants de sirène contraires dans son propre camp. Cela conforte le dynamisme de notre processus démocratique et c’est, comme qui dirait, le Niger qui gagne. Il est permis d’espérer qu’un dialogue politique ait lieu entre le Pouvoir et l’Opposition. On peut dire, il y a plus que jamais des conditions favorables : l’épilogue du contentieux électoral, la bonne conduite de l’Opposition dans toute sa diversité depuis l’investiture du président élu et la main toujours tendue du président Bazoum. A notre humble avis, une bonne volonté des acteurs politiques suffirait pour réactiver le Conseil National du Dialogue Politique (CNDP). Il y a vraiment péril en la demeure. Lorsque la sécurité nationale est menacée, certaines postures politiciennes n’ont pas lieu d’être. Le Niger fait face à un vrai challenge, il incombe à la classe politique nigérienne de s’entendre pour sauver ce qui peut l’être face à l’hydre terroriste.

Les conditions de possibilité du dialogue politique au Niger

Il y a lieu de souligner que le CNDP a fait ses preuves dans la résolution des antagonismes politiques au Niger. La situation actuelle surprend plus d’un observateur, notamment en ce qu’elle concerne les élections, puisqu’on pourrait même considérer que c’est une exception que cette fois-ci, la classe politique n’ait pas pu s’entendre sur la gestion du processus électoral. Il est vrai que sous Tandja avec le tazarce, le CNDP a également failli à sa mission, même si par ailleurs, le recours à la médiation internationale (la CEDEAO) avec Aboubacar Abdoussalami n’avait pas également arrangé les choses. La posture non dialogique des acteurs sous l’éphémère 6ème République a débouché sur une rupture démocratique avec la parenthèse du Général Salou Djibo.

Cette situation met en évidence que le dialogue, qu’il soit l’initiative nationale ou internationale, si les acteurs ne sont pas de bonne foi, s’ils sont animés par des attitudes « jusqu’auboutistes », le fiasco sera toujours au rendez-vous.

Toutefois, si le Pouvoir et l’Opposition sont disposés à dialoguer véritablement, il va falloir d’un côté, que l’opposition formule des doléances raisonnables ou réalistes dans le sens de favoriser le dialogue politique. De l’autre côté, il va falloir également, sans tarder, que la majorité au pouvoir, sous l’impulsion du Chef de l’Etat, mette en branle le Conseil National de Dialogue Politique pour s’attacher à l’examen des doléances de l’Opposition.

Autrement, le Pouvoir et l’Opposition doivent être également disposés à recourir à une médiation internationale. Il nous semble qu’il n’est pas un luxe pour le Niger d’explorer ces pistes pour la paix dans un contexte d’insécurité très complexe. Encore une fois, la classe politique doit se reprendre pour simplement donner au peuple nigérien dont chacun et tous se réclament, une chance à la paix et à la cohésion, indispensables pour son développement.

Toute attitude contraire à l’esprit du dialogue du Pouvoir ou de l’Opposition serait nuisible au Niger qui a trop souffert des batailles partisanes débouchant sur des remises en cause des acquis de notre peuple. Qui a intérêt que le Niger s’enlise face aux terroristes sans foi ni loi ? A qui profite les guéguerres politiciennes ?

A notre sens, il y a de quoi y tenir quand on sait que malgré les mécompréhensions entre politiciens, ce qui nous réunit au Niger est plus important que ce qui nous divise. C’est le moment de cette convergence. Le peuple nigérien y tient et il appelle à cela de tous ses vœux. Refuser cet appel, refuser ce devoir patriotique, c’est donné raison à Henri Lafrance, lorsqu’il dit : « Peu importe le dialogue ou le monologue, les gens ne comprennent et ne saisissent que ce qui fait leur affaire. »

La main tendue du président Bazoum…

 

Pour d’aucuns, c’était assez proactive comme posture de la part du président Bazoum qui, en dépit des joutes rétrogrades qui ont caractérisé la campagne électorale, a préféré mettre en avant l’intérêt général. « Si nos élections ont été bien organisées, la campagne électorale en revanche a été quant à elle entachée par l’usage d’arguments inédits dans notre pays, consistant pour certains à stigmatiser l’origine et le teint de la peau de certains de leurs adversaires. De tels arguments sont fort regrettables, car personne n’est responsable de son origine. Les hommes sont responsables seulement de ce qu’ils font. En attaquant un adversaire sur son appartenance ethnique, on forge des essences fictives et on érige des barrières entre elles. On crée des divisions disruptives alors que le projet républicain est de faire émerger des citoyens égaux en droit et en devoir », a déclaré le Chef de l’Etat dans son discours d’investiture.

C’est un mérite également pour le président Bazoum. Sa posture en dit long sur sa prise de conscience de son rôle du Président de la République. Cette fonction ne rime certainement pas avec l’esprit de revanche, de règlement de comptes et autres ressentiments inhérents à l’égo. C’est conscient de sa lourde responsabilité qu’il a martelé : « En ce qui me concerne, jouissant du privilège de représenter tous les Nigériens par l’unique volonté souveraine de notre peuple, mon devoir est de traiter les Nigériens en toute égalité. Je serai le Président élu pour tous les Nigériens. Je m’engage à agir de façon à les rassurer tous et à conforter l’unité et la fraternité qui doivent présider aux relations entre eux. Notre unité et notre solidarité seront toujours la garantie de notre immunité vis-à-vis de nos deux grands ennemis que sont le terrorisme et la pauvreté. »

Nous l’avons rappelé, c’est une constante, la main du président Bazoum reste toujours tendue. Depuis son investiture, il fait montre d’un style dialogique de gouvernance. Pour sauver notre pays en proie à mille et une épreuves dont le terrorisme et ses corollaires, aucun sacrifice n’est de trop. Pour le Niger, les leaders de l’Opposition doivent saisir la main tendue du président Bazoum. Le contexte sécuritaire impose ce dialogue, voire cette union sacrée.

Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N°72 du mardi 19 juillet 2022