Programme « une région, une industrie » :Vers une véritable politique industrielle au Niger !

 

 

 

Jadis vitrine industrielle dans les années postindépendance dans la sous-région, le Niger a connu dans les années 80-90, une désindustrialisation – hors secteur minier-massive. Un phénomène qui serait en grande partie imputable aux politiques inadaptées menées à l’époque dans le pays et ayant largement favorisé l’entrée du pays dans un cercle vertigineux de désindustrialisation. Résultat, on a assisté depuis à une forte baisse de l’emploi dans le secteur de l’industrie-hors secteur minier et la fragilisation de l’économie nationale et des territoires concernés.

Chose encore plus préoccupante, la désindustrialisation a favorisé la perte du savoir-faire industriel et surtout accentuer la dépendance aux produits importés. Et à la faveur de la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, le Niger, dont les importations des céréales ont représenté près de 27% du total des importations en 2020 selon la BCEAO, continue de subir de plein fouet la hausse vertigineuse des prix des biens essentiels en général, et ceux des denrées alimentaires en particulier. Cette situation, qui témoigne de l’ampleur du phénomène de désindustrialisation, a commencé à susciter une prise de conscience générale de l’importance de l’activité industrielle dans les stratégies de développement et de puissance des Etats comme le nôtre.

Regain d’intérêt pour la politique industrielle

Sous le double effet de la mondialisation et du renouveau libéral, la politique industrielle a connu un déclin dans bon nombre des pays du monde dans la décennie 1980. Depuis quelques années, cependant, celle-ci tend à être réhabilitée au vu des effets négatifs engendrés par le retrait de l’Etat. A l’image de nombreux pays en développement, le Niger s’inscrit dans cette dynamique.

En guise de rappel, la politique industrielle se définit par « un ensemble de mesures interventionnistes s’inscrivant dans la politique menée par les pouvoirs publics d’un pays afin de développer des activités économiques internes et de promouvoir un changement structurel. Elle intervient en situation de crise économique afin, essentiellement, de relancer l’industrie, et peut se présenter sous forme de fonds d’investissement, de subventions ou encore de crédits d’impôt. Pour parvenir à ses objectifs, une politique industrielle doit s’orienter vers des activités productrices d’avenir, à même de créer des emplois au niveau national. Elle soutient ainsi l’innovation ainsi que la recherche de développement, et met tout en œuvre afin de conserver les entreprises sur son territoire » (https://www.la-fabrique.fr/fr/thematique/politiques-industrielles/).

Si une politique industrielle vise en premier lieu à dynamiser et booster l’innovation afin de conserver les entreprises sur son territoire, elle ne se limite pas uniquement à cet objectif. En effet, une intervention publique se présente comme légitime en cas de déclin industriel, ayant un impact sur l’équilibre économique et commercial. L’objectif de la politique industrielle est alors d’assurer la promotion de ces secteurs et de mettre en place différentes orientations, comme i) la reconstruction et la modernisation ii) le redéploiement industriel et la nationalisation iii) les privatisations et mesures d’aide aux entreprises iv) le renouveau des actions ciblées en faveur de l’innovation.

Au Niger, afin que la politique industrielle soit efficace, les autorités du pays doivent mettre davantage l’accent sur les quatre niveaux suivants :

  • L’environnement de l’industrie à travers : i) une politique de change : compte tenu de l’appartenance du pays à l’UEMOA compliquant souvent la donne, le gouvernement peut faire preuve de « leadership » et continuer à être force de proposition pour faire avancer rapidement les réformes allant dans ce sens ii) une politique des revenus iii) fiscalité, crédit, législation commerciale, infrastructures, etc. À ce niveau, il s’agit moins de politique industrielle que de gestion économique générale. Il faudra également créer les conditions de la libre concurrence tout en favorisant l’initiative privée ;
  • L’action sur les comportements en matière d’investissement, de localisation, d’emploi, d’exportation… À cet égard, l’Etat prend des mesures incitatives : primes et subventions, dégrèvements fiscaux sont accordés sous conditions (exemple : crédit d’impôt pour investissement productif) et surtout améliorer la gestion des affaires publiques pour restaurer la confiance entre les élus, gouvernants et les citoyens afin de rendre les deuxièmes plus enclins à investir leurs épargnes ;
  • Les politiques sectorielles visant soit à soutenir et à restructurer les industries «anciennes » en difficulté, soit à promouvoir des industries nouvelles (informatique, agro-industrie, solaire…). Dans ce cas, les aides ne sont plus conditionnelles ; elles peuvent consister en subventions, commandes publiques, aide à la recherche-développement, etc. ;
  • Les grands projets, les grands programmes industriels à travers, par exemple, l’association du secteur public et du capital privé pour la réalisation d’objectifs d’envergure. Sont en jeu à ce niveau autant l’industrie que l’indépendance nationale.

L’arrivée de S.E Bazoum Mohamed à la magistrature suprême, peut-elle changer la donne au Niger ?

Conscient du rôle stratégique que peut jouer le secteur industriel dans le développement économique et social du Niger, le candidat Bazoum Mohamed avait promis dans son « Programme Renaissance III » de mettre en œuvre une politique industrielle nationale qui « se focalisera dans un premier temps sur les secteurs industriel, agricole et des services ayant un impact immédiat sur la croissance économique nationale. Ainsi dans le court terme, l’accent sera mis sur l’agro-industrie (les légumes, la transformation du lait, la viande, les cuirs et peaux), les industries d’assemblage et de montage et quelques industries légères. En outre, plusieurs actions spécifiques ayant des retombées significatives sur l’économie nationale seront menées. Dans cette perspective, le Candidat s’engage à mettre en place :

– Une unité de montage d’ordinateurs et d’appareils informatiques (PM) ;

– Une unité de production de verres et vitres à partir du sable du Niger (PM) ;

– Un complexe d’abattoir moderne combinée à une industrie de la viande et charcuterie (PM) ;

– Une industrie légère de pétrochimie par la transformation du gaz d’Agadem en électricité et engrais ;

– La réhabilitation de deux usines de production d’aliments-bétail et volaille ;

– La mise en valeur de grandes zones de production et de transformation de riz dans la zone de Tillabéry et Gaya ;

– La création d’usines de production de sucre ;

– La création d’une école de BTP, d’hôtellerie et de restauration pour accompagner l’évolution du secteur ;

– La mise en place d’un cluster des métiers autour du BPT ;

– La mise en place d’un cluster de santé (unité pharmaceutique, laboratoire de diagnostic, clinique moderne) ;

– La mise en place d’une unité de production chimique portant sur les détergents, le savon et la peinture ;

– La création de petites unités de transformation des produits de récupération (pneus, déchets animaux, déchets plastiques) ;

– La création d’une unité de production de poteaux et panneaux solaire ;

– La création de nouvelles zones industrielles à Niamey et Tillabéry ;

– La création et l’opérationnalisation d’une zone franche industrielle d’exportation ».

Des promesses aux actes ?

Le lancement imminent du Programme « Une Région, Une Industrie », devant permettre l’exploitation de l’énorme potentiel économique du pays, s’annonce comme une révolution majeure dans ce dernier. Il n’est un mystère pour personne que le Niger reste très dépendant des importations pour répondre à une part très importante de sa demande interne en produits essentiels faute d’avoir un tissu industriel développé. Et le fait de dépendre fortement des produits étrangers expose, comme mentionné ci-dessus, malheureusement notre pays et nos concitoyens à la conjoncture internationale qui est, à titre de rappel, peu favorable actuellement depuis l’avènement du Covid en mars 2020 et maintenant avec la guerre en Ukraine. Le Niger continue d’en pâtir en subissant de plein fouet une inflation importée altérant au passage fortement le pouvoir d’achat de nos compatriotes et accentuant le risque d’insécurité alimentaire pour une part non négligeable d’entre-deux.

Si les mesures d’ordre fiscales visant à limiter la hausse des prix des certains produits importés, de vente de céréales à prix modérés ou de leur distribution gratuite mises en œuvre par le gouvernement permettent d’atténuer cette situation à court terme, il n’en demeure pas moins qu’il devient un impératif pour les autorités de prendre des mesures plus ambitieuses et s’inscrivant dans le moyen et long terme pour limiter l’exposition du pays. Au-delà de répondre à cet impératif et matérialiser la tenue d’une promesse électorale importante, la mise en œuvre efficace et efficiente du Programme « Une région, Une industrie » devrait contribuer à réduire à terme la dépendance du pays aux produits étrangers, avoir un impact économique et social positif important en termes d’emplois pour les jeunes notamment et à travers une meilleure exploitation des potentialités importantes que regorge chaque région.

Quid de la question des moyens et de la compétitivité ?

Si le volontarisme affiché par le Président de la République est à saluer, il n’en demeure pas mois que de nombreux obstacles au développement industriel au Niger demeurent. Et ils sont essentiellement de deux ordres : la question des moyens alloués et celle de la compétitivité du pays.

Pour la première, la réalisation de tels programmes nécessitera indubitablement des moyens colossaux. La question qui nous taraude aujourd’hui à l’esprit est de savoir de quelles marges de manœuvre dispose le gouvernement quand on sait que la problématique de financement reste présente et constitue clairement pour lui un défi. De surcroit lorsque le pays peine à mobiliser les ressources internes pour faire face aux besoins courants.

Néanmoins, des solutions existent et nous en retenons à cet effet deux. D’abord, d’origine externe. En effet, pour accroitre davantage la mobilisation des ressources extérieures, il faudra impérativement poursuivre la consolidation des institutions démocratiques et les réformes structurelles permettant au pays d’améliorer sa crédibilité aux yeux de ses partenaires, particulièrement les investisseurs étrangers. Ce qui devrait permettre de gagner leur confiance et bénéficier de meilleures conditions de prêts. Ensuite, d’origine interne et qui passerait par l’exploration de deux pistes, sans doute non exhaustives, pour mobiliser les capitaux au niveau national :i) mettre l’accent sur la création de la richesse par le travail. De manière concrète, il faudra inciter les Nigériens (nes) à travailler davantage et efficacement (assiduité, ponctualité, performance, etc.) pour permettre un sursaut économique et favoriser la création de richesse ii) le fait de mettre un peu plus l’accent sur la gestion rigoureuse des affaires publiques peut contribuer à améliorer l’efficacité de la dépense publique et rétablir la confiance entre les élus et les citoyens, et inciter ces derniers à être plus enclins à participer activement et massivement à travers leurs épargnes à la construction du pays. Au-delà d’être un symbole, leur participation au financement des projets structurants et d’intérêt général devrait favoriser une meilleure cohésion sociale et l’exemple éthiopien semble intéressant à ce niveau.

Pour la seconde, elle est relative aux réformes structurelles qu’il convient de continuer à mettre en œuvre pour accroître la compétitivité de l’économie nationale. De surcroit lorsque l’on partage une longue avec le Nigeria, première puissance économique du continent, qui « inonde » le marché domestique des produits divers.

A titre de rappel, la frontière commune avec une puissance économique régionale peut être à la fois une source d’opportunités ou représenter une menace. Pour le cas du Niger, c’est plutôt la seconde qui prend aujourd’hui le dessus. En effet, lorsque l’on partage plus de 1600km de frontière, dont une bonne partie de celle-ci reste poreuse et donc propice au développement de tout genre de trafics, c’est le plus puissant des deux pays qui aurait tendance à l’exploiter à son avantage. Et c’est malheureusement ce à quoi on assiste impuissant. Le Chef de l’Etat en a bien conscience, comme il l’a récemment évoqué lors d’une interview avec des journalistes (interview à retrouver ici https://www.facebook.com/Presidence.du.Niger/videos/nous-nous-serons-toujours-partisans-du-d%C3%A9passement-du-fcfaet-si-daventure-un-jou/3196489747272487/). D’où la question de savoir comment le gouvernement envisage-t-il d’y répondre efficacement ? Quand on sait pertinemment que les réformes tant promises peinent à se mettre en œuvre ou bien timidement ?En attendant d’avoir des réponses à ces questions, une certitude demeure : pour être apte à faire face à la concurrence des pays étrangers ainsi que de leurs produits, le Niger doit effectuer des choix audacieux en matière d’innovation, de technologie, de formation de mains d’œuvre, de gestion, de qualité des produits, etc., pour espérer gagner en performance.

En définitive, pour faire du Programme « Une région, une industrie » une réussite, le gouvernement doit tirer tous les enseignements ayant conduit au déclin industriel du pays évoqué ci-haut, poursuivre les réformes visant à transformer celui-ci afin de le rendre davantage attrayant auprès des investisseurs nationaux et étrangers, et compétitif et enfin à travers des investissements importants et intelligents dans les infrastructures et le capital humain. Ainsi on favoriserait la création d’un environnement favorable au développement industriel, et par ricochet l’accroissement des performances pour gagner des parts de marché sur le marché domestique (compétitivité interne) et sur les marchés extérieurs (compétitivité extérieure)et, entre autres, lutter efficacement contre le désœuvrement des jeunes à travers la création de nombreux emplois dans le pays.

ADAMOU LOUCHE IBRAHIM

Economiste

@ibrahimlouche

Niger Inter Hebdo N°68 du Mardi 21 juin 2022