Rapport de la Cour des comptes : Pour une gestion exemplaire des entreprises publiques au Niger

Dans de nombreux pays en développement, la gouvernance au sein de l’État, des collectivités territoriales et les établissements publics laisse souvent à désirer. Et la situation du Niger est loin d’être réjouissante dans ce domaine, même si l’arrivée du président Mohamed Bazoum à la magistrature suprême du pays a permis d’enregistrer une relative amélioration.

Toutefois, la gouvernance dans certaines entreprises publiques a encore du plomb dans l’aile. Autrement dit, elle demeure dans une situation très critique ; comme en témoigne le dernier rapport de la Cours des comptes qui a relevé la persistance de nombreuses anomalies dans la gestion de nombreuses entités étatiques, entre autres (téléchargement et la lecture recommandés via ce lien http://www.courdescomptes.ne/index.php/publications/rapports-2/send/3-rapport-general-public/121-rapport-general-public-2021).

Si cette situation n’est guère surprenante, à cause, entre autres, du niveau élevé de corruption dans le pays et du fort sentiment d’impunité qui favorise la léthargie, le laisser-faire et le laisser-aller finissant par se traduire par une piètre performance des entreprises publiques sur la scène nationale, voire régionale, elle rappelle en revanche l’impérieuse nécessité de respecter strictement les textes en vigueur dans ces domaines. Ce, pour deux raisons essentielles. D’abord, la gouvernance et la gestion des fonds publics qui reposent essentiellement sur les principes de redevabilité, d’intégrité et de transparence, permettent à une entité d’accomplir correctement et efficacement ses missions, souvent d’intérêt général, et de se développer.

Ensuite, la perception des avantages indus par les dirigeants d’une entité, au-delà d’être immorale et indécente, peut favoriser l’affaiblissement, voire précipiter la faillite de celle-ci.

Des réformes et promesses électorales difficiles, voire impossibles à tenir ?

Lors de son investiture, le 2 avril 2021, le président Mohamed Bazoum a affiché sa détermination à rompre avec certaines pratiques passéistes et peu recommandables. Quelques jours après sa prise de fonctions, les faits lui avaient donné raison : du nombre de ministres relativement réduit au protocole « sobre » lors de son premier voyage à l’étranger, en passant par la suppression de certains postes jugés « non essentiels », le président avait commencé à imprimer sa marque, suscitant au passage l’admiration de nombreux nigériens et nigériennes. Ce qui est sans doute de bonne augure pour la poursuite des réformes à mener pour continuer à transformer le pays. La réforme qui nous intéresse aujourd’hui est celle relative à l’opacité et la mauvaise gestion, évoquées ci-dessus, qui caractérisent la gestion de certaines entreprises publiques et qui restent très ancrées. Selon la sagesse populaire, ce qui est ancré est souvent difficile à combattre. De surcroit dans un pays où la politisation de l’administration a atteint des sommets et certaines institutions, censées veiller au respect strict des textes en vigueur, restent encore faibles. Nonobstant, si l’on s’en tient aux promesses du candidat Bazoum, l’espoir reste permis. Autrement dit, les jours des mauvaises pratiques semblent se compter.

En effet, durant la campagne électorale, il s’est engagé à réformer la gouvernance des entreprises publiques, en mettant l’accent particulièrement sur l’efficacité de celles-ci grâce à un certain nombre de mesures contenues dans son « Programme Renaissance III » qu’il entend mettre en œuvre une fois au pouvoir. Il s’agit de :

  • Modifier la loi sur les entreprises publiques pour prendre en compte les catégories non prévues, mieux affirmer la mission de développement du pays et renforcer la redevabilité et le mécanisme de contrôle ;
  • Revoir le mode de désignation des membres des Conseils d’Administration des entreprises publiques conformément aux objectifs qui leur sont assignés ;
  • Mettre en place un système de contrat de performance des entreprises publiques auquel est indexée une partie de la rémunération de leurs dirigeants ;
  • Créer un événement autour du Président de la République pour encourager les entreprises performantes et envisager des mesures de correction pour celles qui enregistrent une contre-performance.

Après un an d’exercice du pouvoir, de nombreuses promesses peinent encore à être mises en œuvre et certaines mauvaises pratiques perdurent, comme en témoignent les révélations contenues dans le rapport de la Cour des comptes mentionné ci-dessus. Tout sauf une surprise puisque, selon Michel Urvoy, « les promesses, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui les écoutent. Un bon mot qui ferait passer les politiques pour des démagogues (…) – ce qu’ils sont parfois ! – mais qui occulte surtout la vraie difficulté à tenir parole : le mur des réalités ».

Pour ce dernier, le nouveau président continue de réaliser, comme il l’a avoué à maintes reprises, à quel point il est difficile à percer, voire à faire tomber. Une difficulté qui serait en partie imputable à l’état d’esprit dans le pays. En effet, divers obstacles se dressent sur le chemin de nouveau, l’empêchant au passage de mener à bien ou de manière optimale les réformes nécessaires au redressement du pays. On peut citer, entre autres, les désaccords internes à la majorité, le travail de sape des désinformateurs, l’insuffisance et la mauvaise allocation des ressources financières…. Cependant, l’espoir reste encore permis. De surcroit pour un pays dirigé par un Président de la République jouissant d’une popularité importante que l’on peut observer, même en l’absence de sondages, et relativement bien apprécié par ses compatriotes pour sa culture, ses valeurs, ses traits de personnalité, ses méthodes, sa vision de la société et autres critères qualitatifs. Il devient donc un impératif pour le Chef de l’Etat de tout mettre en œuvre pour préserver, voire renforcer la confiance que continuent de lui témoigner nos concitoyens.

Pour ce faire, il faudra rivaliser d’imaginations pour contourner les obstacles précédemment évoqués et veiller à l’application stricte de ses promesses électorales afin de contribuer à faire évoluer favorablement les choses.

Concernant les entreprises publiques, le Président de la République ainsi que le gouvernement doivent encore aller plus loin afin que les entreprises publiques deviennent plus compétitives, efficaces et transparentes.

Un impératif quand on sait que ces entreprises opèrent dans des secteurs essentiels, comme l’énergie, les services aux collectivités, les infrastructures….  Ils peuvent s’inspirer, par exemple, des recommandations suivantes formulées par l’OCDE (Cf.OCDE (2015), Principes de gouvernement d’entreprise du G20 et de l’OCDE, Éditions OCDE, Paris):

  • La réduction des ingérences politiques dans la gestion au jour le jour des entreprises ;
  • L’introduction d’un processus transparent de nomination des administrateurs, sur la base de leurs compétences et de leurs qualifications ;
  • Donner plus de pouvoirs aux conseils d’administration par une définition précise de leur mandat et le respect de leur indépendance ;
  • Un suivi systématique des performances du conseil d’administration à améliorer la transparence par un renforcement des dispositifs de contrôle interne ;
  • La réalisation d’audits externes indépendants s’appuyant sur les normes internationales ;
  • La production de rapports agrégés sur les performances des entreprises publiques ;

Pour finir, une suite doit absolument être donnée aux rapports de la Cour des comptes, et au-delà, ceux de la Halcia. Il y a urgence en effet ! Puisqu’au Niger, les entreprises publiques dominent l’économie.

Par conséquent, les maitres-mots doivent essentiellement être la bonne gouvernance et la gestion exemplaire ainsi que la recherche accrue de la performance, avec comme principal objectif de favoriser l’émergence de champions nationaux – les économistes parlent souvent, pour qualifier les champions nationaux, de grandes entreprises nationales compétitives à l’international, potentiellement capables de participer au développement de leur pays d’origine et qui bénéficient d’une forme de traitement favorable de la part du pouvoir politique – à même de devenir le moteur majeur du développement économique et social du Niger.

 

ADAMOU LOUCHE Ibrahim

Economiste

@ibrahimlouche

Niger Inter Hebdo N° 62 du 10 mai 2022