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Mariage précoce des enfants : Des séquelles et préjudices toute une vie

Considérée par les Nations Unies comme une pratique enfreignant les droits des enfants, le mariage précoce des enfants, notamment de la jeune fille, reste encore une réalité dans nos sociétés. Au Niger où selon l’UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la Population), 76% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, l’urgence est d’agir pour limiter l’hémorragie et éviter chez la jeune fille, des séquelles qu’elle va traîner toute une vie.

Elles sont nombreuses ces jeunes filles mineures scolarisées ou déscolarisées qui sont données chaque année en mariage par leurs parents avant l’âge majeur, à savoir 18 ans. Certes, d’après le code civil nigérien, l’âge légal du mariage est de 15 ans pour la fille et 18 ans pour le garçon. Mais plusieurs acteurs des ONGs et associations œuvrant pour la défense des droits des enfants mènent des plaidoyers en faveur d’au moins 18 ans, comme âge majeur, pour marier une fille.

En théorie, ceux-ci s’appuient sur la CDE qui est la Convention relative aux droits des enfants, ratifiée par le Niger depuis septembre 1990 et qui définit un enfant comme « toute personne dont l’âge est en bas de 18 ans ». Selon M. Noba Kondjoa, coordonnateur d’un programme au Comité Nigérien de Lutte contre les Pratiques Traditionnelles Néfastes au Niger (CONIPRAT), la plaidoirie en faveur d’une révision du code civil nigérien, pour ramener l’âge légal à 18 ans pour les deux sexes, est un combat juste, car cela y va de la santé et du bien-être de la fille.

« Le plus souvent, c’est en milieu rural que les filles sont beaucoup plus exposées », raconte M. Youssouf Bachabi, infirmier d’État et actuellement trésorier au CONIPRAT. ‹‹ On fabrique de fausses informations sur la fille, l’indexant qu’elle connait un homme. C’est ainsi que les hommes procèdent pour ensuite leur proposer en mariage auprès des parents ››, s’est-il offusqué, avant de préciser qu’il s’agit généralement d’enfants immatures, des filles dont l’âge est compris entre 10 et 15 ans, qui sont données en mariage par les parents. Les conséquences sont connues, dit-il. Comme par exemple, ‹‹ une grossesse précoce qui va entraîner des perturbations sur le plan physiologique chez la victime et un délabrement vaginal avec les conséquences qui vont avec ››, explique M. Youssouf Bachabi.

Plusieurs cas rapportés

Bien des cas de mariage précoce et forcé d’enfants sont rapportés chaque, sans compter les séquelles de toute une vie, provoquées sur la victime. ‹‹ J’ai été victime d’un mariage précoce et forcé à l’âge de 15 ans environ. J’ai rencontré toutes les difficultés de ce bas monde pour gérer ma vie dans mon foyer et j’ai décidé de parler aujourd’hui pour que mes paroles servent de leçon afin qu’aucune fille ne subisse mon sort ››, témoigne Madame  Bambarigou Lompo de Guandari, dans la commune rurale de Makolondi, région de Tillabéri, encore nostalgique de ce choix à contrecœur, que ses parents lui ont imposé.

Pour sa part, Bahanla Ahadi, née à Tiboanti, également dans la commune rurale de Makolondi, déclare avoir été aussi victime de mariage forcé. Néanmoins, grâce à l’accompagnement du CONIPRAT et avec concours de la police, elle s’est remariée aujourd’hui avec un mari de son choix.

Il existe plusieurs autres cas ailleurs, surtout en milieu rural sur lesquels peu de personnes osent lever le voile dessus. Le hic, c’est les parents eux-mêmes qui sont les premiers instigateurs dans cette affaire, en donnant leurs filles encore mineures en mariage. Telle que témoigne aujourd’hui Madame Mari Lompo qui dit avoir joué un rôle principal dans le mariage forcé et précoce de la fille au fils de l’ami de mon mari. ‹‹ Aujourd’hui, je me sens responsable de toutes ses souffrances dans son foyer et je voudrais que mes paroles servent de leçon aux autres mères de notre communauté ››.

Causes et conséquences du phénomène

Selon Madame Salamatou Issoufou, membre de l’Association des Femmes Juristes du Niger (AFJN), les causes du mariage des enfants sont à rechercher dans la pauvreté des parents, les pesanteurs socio-culturelles, la religion musulmane ainsi que le suivisme des filles elles-mêmes qui veulent faire comme leurs amies. En réalité, faut-il le reconnaître, la pratique est tellement ancrée dans la tradition qu’elle est difficile à éradiquer du jour au lendemain, comme l’indique Noba Kondjoa du CONIPRAT.

Par contre, les conséquences du mariage précoce et forcé laissent des traces et peuvent aller jusqu’à des séquelles psychologiques sur la victime. Madame Salamatou Issoufou parle aussi de la déscolarisation de la fille, la malnutrition de la mère et de l’enfant, la prostitution, le divorce dû au manque de maturité de la fille pour gérer un foyer. Encore les complications qui surviennent lors de l’accouchement pourraient-elles déboucher sur une fistule obstétricale, une lésion grave qui survient lors d’un accouchement compliqué.

Comment lutter contre le phénomène ?

Tous les acteurs s’accordent que le combat contre le mariage précoce et forcé des enfants passe obligatoirement par un changement de mentalité. D’où la nécessité, selon Noba Kondjoa, coordonnateur de programme au CONIPRAT, de « mettre en branle un mécanisme national de sensibilisation, incluant toutes les couches sociales et la mise en place d’un centre d’écoute et d’alerte permettant de signaler, de concert avec les leaders coutumiers et religieux, tout cas de mariage précoce et forcé des enfants ». Par ce biais, le phénomène pourrait être découragé à la base, au profit de la scolarisation de la jeune fille.

En connaissance de cause, le combat contre le phénomène du mariage précoce et forcé des enfants se révèle un grand chantier. Du moins pour relever ce défi, la nécessité de mettre en avant la promotion de l’éducation de la jeune fille, pourrait s’avérer une panacée. Dans ce cas, l’on pourrait se référer en ce qui concerne le Niger, au décret présidentiel N° 2017-935/PRN/MEP/PLN/EC/MES du 5 décembre 2017, portant sur la protection, le soutien et l’accompagnement de la jeune fille en cours de scolarité. Un acte exécutoire qui garantie du coup, l’éducation de la jeune fille jusqu’à l’âge de 16 ans et qui la met en quelque sorte, à l’abri d’un mariage précoce et forcé, préjudiciable à son épanouissement.

Koami Agbetiafa