Reportage : Le visage de la prostitution à Niamey

Après la révélation du phénomène du sextape (ces scènes de pornographie impliquant des jeunes nigériens), le Conseil des ministres a pris des mesures pour y remédier. L’affaire a connu une suite judiciaire. Une dizaine des mis en cause sont déférés au tribunal, apprend-on. Sauf que sur la question des mœurs, la situation est très critique. Il y a comme qui dirait, une sorte de laisser aller de sorte que l’école et l’administration sont gangrenées par la dépravation des mœurs. La société nigérienne en général est en perte de ses valeurs fondatrices. Retour sur la prostitution des mineures, une enquête réalisée par la Rédaction de Niger Inter Magazine. 

Il faut du tout pour faire un monde, dit-on. Le vieux métier du monde illustre bien cette assertion. Si dans une approche fonctionnaliste on comprend bien que la société est un tout complexe, le souci des bonnes mœurs ne cesse quant à lui de préoccuper les hommes. Il y a quelques années, sur ce chapitre des mœurs, à Niamey c’était l’invasion des prostituées expatriées qui était mal vu ou l’érection des bistrots réputés être des lieux de la débauche. Aujourd’hui, il y a d’autres phénomènes plus ou moins nouveaux qu’il faudrait que la police des mœurs prenne en charge pour le bien de la société. La prostitution des mineures est un problème assez criard qui mérite à ce qu’on s’y penche sérieusement.

Elles sont mignonnes, ravissantes et innocentes à la fois. On les retrouve dans certaines artères de la capitale, autour des cabarets et alentours de certains hôtels. Lorsqu’on entend certains noctambules dénoncer les travers de notre société sur les virées nocturnes de nos filles et sœurs, on a l’impression qu’ils racontent des bobards.

Mais à l’épreuve des faits, il n’y a rien d’abusif. C’est réel. La nuit, tous les chats sont gris, dit-on.  Ces petites filles jonchent les ruelles. Elles sont mêmes provocatrices et libertines entremêlées avec certaines de leurs aînées plus aguerries sur ce terrain à hauts risques.

En plus de leur jeune âge, certaines de ces adolescentes sont des élèves. Ce fait nous l’avons vérifié sur le terrain et avec la police. Et c’est en cela qu’il urge de faire quelque chose. Notre société est en danger. Si on n’y prend garde, le risque d’un effet d’entrainement est réel. Ces mauvaises pratiques de ces petites novices qui s’exposent aux caprices et vices de leurs charmeurs en dépit de leur statut pourraient avoir l’effet d’une bombe dans la société. En effet, avec les petits sous qu’elles collectent dans cette tortueuse voie, ces demoiselles pourraient détourner leurs camarades de classe ou de quartier.

 

Elève et prostituée…

‘’Je m’appelle F.A élève en classe de 5ème au CEG Losso Goungou’’, nous confie cette donzelle de 15 ans rencontrée vers l’échangeur Mali Béro devant le portail d’une taverne de la place aux environs de  20 heures. Elle fait partie d’un groupe d’autres filles de différents gabarits, les unes plus séduisantes que les autres. Habillées en mini jupes, avec toutes ces babioles et autres décolletés des prostituées à la Hollywood pour attirer le premier venu de ces hommes dont la maladie s’appelle addiction sexuelle. Et on les voit qui sur sa moto, qui dans sa voiture à la recherche du fruit défendu.

Mademoiselle F.A qui ne voudrait pas perdre du temps pour certainement rafler le maximum de ‘’passes’’ cette nuit, nous a dit tout de go que ‘’le lit d’hôtel c’est 10.000f et moi 5000f’’ ! A notre question de savoir si l’hôtel ne peut pas revoir sa facture à la baisse du moment où c’est juste un laps temps à passer, F.A nous a rétorqué qu’elle peut prendre 3000f mais le tarif du gérant de l’hôtel est strict. C’est à prendre ou à laisser !

 R.H, à peine la quinzaine, a abandonné quant à elle l’école en classe de CM2. Nous l’avons rencontrée dans un groupe de ces ‘’petites travailleuses du sexe’’ en train de vadrouiller aux alentours du village chinois. Ce coin est tristement célèbre à telle enseigne que la police l’a formellement interdit à ces princesses de nuit. Malgré tout elles passent outre cette interdiction, elles continuent d’occuper ces lieux même si selon certains témoignages c’est justement les incessantes rafles de la police qui expliquent leur présence massive sur le boulevard Mali Béro.

C’est aux environs du villageois chinois que nous apprenons qu’il y a dans cette zone une kyrielle d’hôtels ou disons-le de maisons de passe qui perçoivent 5000f à 10000f bien connues par ces péripatéticiennes. D’aucuns renseignent également sur les maisons closes de fortune pour les clients à petite bourse.

Dès ce vendredi soir, notre sortie nous a permis de nous faire notre petite idée que certains prétendus hôtels exploiteraient la misère de ces filles. Il pourrait exister une complicité entre elles et les tenants de ces lieux. Ce qui frappe de prime abord, la fille vous annonce le prix de l’hôtel avant de songer à ses propres intérêts. Perçoivent-elles des commissions ? Quel deal y-a-t-il entre elles et ces maisons closes d’un genre nouveau ? On peut comprendre qu’il y a déjà gagnant-gagnant puisque le client paie les deux services à savoir ‘’l’hôtel’’ comme elles disent et la fille. Il y a lieu que le ministère du tourisme revoit le cahier des charges de certains de ces hôtels créés à l’emporte-pièce en ce sens qu’ils encouragent ces mineures à la débauche. La police dispose des éléments pour motiver cette perspective qui est loin d’être une vue de l’esprit. D’ailleurs la disponibilité de ces maisons closes (pardon hôtels) fait que ces filles ne sont même pas motivées par les avances du client qui voudrait les amener chez lui ou ailleurs. Elles préfèrent vagabonder dans les environs de ces hôtels comme en territoire conquis. Une fille nous a confié qu’elles préfèrent amener leurs clients dans ces ‘’hôtels’’ pour des raisons de sécurité et aussi gagner du temps…économiquement parlant. Mais elles peuvent suivre le client lorsque ce dernier paie l’équivalent de ce qu’elles estiment récolter toute la nuit. Cependant, les filles de rue ne mettent pas leurs œufs dans le même panier. Certaines sont accompagnées par ‘’somebody’’, des gaillards ou leurs petits copains. Une autre dimension du problème qui frise le proxénétisme. Une responsabilité à partager avec les tenants des hôtels. Selon un confrère, ces compagnons des filles de joie constituent souvent un gang très dangereux. Ils droguent ces filles pour mieux atteindre leur objectif. Les filles ont souvent mission de détecter un client fortuné pour le jeter en pâture. Beaucoup de victimes à la recherche du passe-temps ont été appâtés par ces filles, témoigne un policier. Une autre face cachée de l’insécurité dans nos villes à prendre très au sérieux.

C’est à Lacouroussou, vers le rond-point église que nous avons découvert ce qu’on pourrait appeler ‘’rue princesse’’ à Niamey où une cohorte de prostituées expatriées font la pluie et le beau temps. Parmi ces femmes de tout âge, on remarque également la présence des filles mineures mais aussi des garçons mineurs avec cigarettes au bec venus s’initier à la vie adulte. Même à Lacouroussou réputé être une ‘’poudrière’’ à prostituées, cette rue est assez singulière.  Il urge là aussi de s’occuper du sort des plus jeunes d’entre nous qui fréquentent cette jungle.

La police des mœurs veille mais à quoi bon ?

Ce samedi soir notre tandem avait vraiment de la chance. Nous faisons le même combat avec la police, comme qui dirait. En effet, vers minuit, sur le boulevard Mali Béro, nous avons rencontré la police en train de rafler des prostituées. Profitant de cette circonstance, nous nous sommes présentés aux policiers. Notre carte de presse faisant foi, le chef de l’équipe nous a demandé de les suivre au commissariat. Ce que nous avons fait. Les gardiens de paix avaient procédé au contrôle d’identité habituel des filles. Nous observons les agents faire leur boulot en attendant de parler à leur chef pour recueillir des informations sur la suite de la procédure pour ces filles arrêtées. Dans cette prise, parmi les filles raflées il y avait des élèves et même deux étudiantes !

Très impatients, nous avions demandé à l’officier principal quel sera le sort de ces filles capturées. Très calmement, il a commencé par nous rappeler que la loi n’a pas interdit la prostitution au Niger. Ce qui signifie que parmi ces filles, celles qui ont des papiers c’est-à-dire qui font des visites médicales régulières ne seront pas inquiétées. Le commissaire a déploré également le manque de moyens par la police des mœurs pour sévir. En effet, selon lui, la police des mœurs aurait souhaité avoir un bureau ou une représentation dans chaque commissariat mais cette demande reste sans suite. Les commissariats périphériques envoient les filles en cas de rafle au commissariat central.

Sur 431 filles raflées, 192 étaient des mineures…

« Entre fin 2016 et début 2017, la DPMF/DSP a organisé 09 opérations sur ces sites identifiés.  Sur 431 filles raflées, 192 étaient des mineures (9, 04 % ont entre 10-15 ans, 35,49% ont entre 15-18 ans… », nous a confié le Commissaire de police Mme Boubacar Adiza Adamou.

Malgré la décision du Conseil des ministres du 12 janvier 2018 (où la ministre de la promotion de la femme avait fait une communication sur les jeunes filles mineures en situation de débauche dans la ville de Niamey) et le regain d’intérêt sur la question à travers les médias, par témérité ou insouciance, nous ne sommes pas à la veille de l’arrêt des virées nocturnes des petites filles à Niamey. Elles vaquent normalement à leur spécieuse occupation. On les rencontre juste après le crépuscule, car à la différence des professionnelles aguerries, les mineures sont encore sous le toit familial.  Selon leurs propres témoignages, sur le terrain, elles opèrent entre 20h et 23 h pour rentrer à la maison un peu tôt.

Des complicités insoupçonnées…

 A notre préoccupation de savoir quelle complicité existerait entre ces filles et les gérants d’auberges, nous avons découvert que ces ‘’hôtels’’ dont la vocation est de profiter de ces innocentes qui viennent elles-mêmes avec leurs clients ne sont destinées en réalité qu’à ce trafic. Des individus véreux ont mis leurs villas à la disposition de cette clientèle pour assouvir leur soif du gain. On reconnait ces auberges par leur refus catégorique à accorder leurs chambres aux clients qui entendent séjourner pour plus d’une nuit. La raison c’est qu’avec « les filles », les affaires sont on ne peut plus florissantes. Tenez : un responsable d’un de ces lieux nous a confié qu’il fait une nuit au minimum 50 clients à 5000 FCFA ! Nul doute que ce chiffre multiplié par 7 ou 30 rapporte des gros sous en temps réel. Le blanchiment d’argent passe aussi par là puisque cette activité n’est pas déclarée au fisc à plus forte raison verser quelques pièces au trésor public. Les gérants déclarent au fisc les montants de leur choix. Encore faut-il avoir assez de scrupule pour déclarer le butin de ce trafic.

L’autre caractéristique de certaines de ces auberges, est qu’il y a des filles à l’intérieur, destinées aux clients qui viennent sans compagnie. Dans un de ces lieux de débauche, il est inscrit sur une plaque au portail : « Interdit aux mineurs et aux personnes en tenue », mais à l’épreuve des faits ce n’est qu’un effet d’annonce juste pour tromper la vigilance des uns et des autres. A l’intérieur, la réalité est tout autre. Ce funeste lieu et ce qui s’y passe, au cœur de notre capitale, est ignoré du grand public. Nous l’avons visité parce que les filles ont un faible pour ce lieu. Les petites filles rencontrées dans les environs de la Maison des jeunes Diado Sekou, Rivoli ou les carrefours des hôtels vous proposent d’abord Garabouli, le nom de cette tristement célèbre auberge.

Au niveau du Village chinois, l’autre lieu d’attraction des mineures, les filles ont changé leur fusil d’épaule. Elles s’introduisent à l’intérieur avec la complicité des tenants du village. Dans cette grande cour, à la portée des clients devant les chambres, elles faufilent autour des grosses cylindrées à la quête des clients. Pourtant dans ce village même des personnalités sont hébergées (ou sont clients ?). Tout ce beau monde est témoin du phénomène, mais rien pour décourager cette brochette de petites qui viennent s’exposer au danger. Pour comprendre le mode opératoire des filles au Village chinois, elles vous disent que c’est très simple : ‘’ Si vous êtes d’accord, je vais voir Tonton pour nous attribuer une chambre confortable ’’. Et justement ce tonton complice, nous l’avons vu fier de ses basses manœuvres dommageables tôt ou tard à ses petites filles. C’est son boulot !

Ce tonton fait partie du lot de ces proxénètes qui ont pignon sur rue. Selon nos sources, il y a des réseaux d’entremetteurs assez pernicieux. Il y a ceux qui répondent aux besoins de certains grands malades qui ont un faible pour les filles vierges.  Une fois la police avait pris en flagrant délit un cas où les filles âgées de 9, 10, 11 à 12 allaient connaitre leur premier rapport sexuel, n’eut été cette intervention. Et selon nos informations, ce sont souvent des personnes aisées qui sont dans ce trafic, ce qui rend le combat difficile contre le phénomène. Mais malgré tout, il arrive à l’équipe du Commissaire Mme Bouboucar Adiza Adamou de sévir dans son combat pour sortir les mineurs de ce créneau.

Pour réussir ce combat, il faudrait non seulement traduire la volonté politique des autorités en acte après la décision du Conseil des ministres qui s’était penché sur le phénomène, mais aussi il faudrait, à notre humble avis, mutualiser les efforts des parents, enseignants, médias et société civile en général.

Elh. M. Souleymane et Abdoul Aziz Moussa

Niger Inter Hebdo N°42 du 16 novembre 2021