Sédiko DOUKA, Commissaire de la CEDEAO chargé de l’Energie et des Mines

Interview : La problématique de l’énergie dans l’espace CEDEAO

 

« Le tarif d’électricité appliqué au Niger est en dessous de la moyenne en Afrique de l’Ouest », déclare Sédiko Douka

 

Sédiko DOUKA est Commissaire de la CEDEAO chargé de l’Energie et des Mines. Titulaire d’un diplôme d’ingénieur électromécanicien, sa carrière a débuté à la NIGELEC durant 11 ans, à l’ASECNA, aux Nations Unies puis présentement à la CEDEAO. Dans cette interview, il décrypte la problématique de l’énergie dans l’espace CEDEAO et au Niger en particulier.

Niger Inter Hebdo : Vous êtes Commissaire en charge de l’Energie et des Mines de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. La question de l’énergie constitue un autre frein au développement de la plupart des pays de l’espace CEDEAO. Selon vous, quels sont   les défis à relever sur la question d’énergie ?

 Sédiko DOUKA : Je remercie d’abord votre journal pour l’opportunité offerte de développer la thématique de l’énergie qui est un secteur stratégique et vital pour le développement socio-économique. Effectivement, le secteur de l’énergie fait face à de nombreux défis en Afrique de l’Ouest dont nous pouvons citer entre autres : (i) le déficit des moyens de production et transport d’énergie électrique bien que neuf pays sur quatorze pays de la région sont actuellement interconnectés, (ii) un faible accès aux services énergétiques avec un taux de seulement 45% dont moins de 10 en zones rurales, (iii) un mix énergétique dominé par le thermique à  hauteur de deux tiers (2/3) contre un tiers (1/3) pour l’hydraulique malgré les énormes potentialités existantes particulièrement en solaire et éolien : des lors, il se pose la problématique d’utilisation à grande échelle des énergies renouvelables hors hydroélectricité , (iv) les tarifs d’électricité qui demeurent chers comparés au reste du monde et au pouvoir d’achat de la population. En effet, le tarif moyen est de 0,24 USD/kWh (144 FCFA/kWh) contre moins de 60 FCFA/kWh dans la plupart des pays développés et en Asie et (v) les sociétés nationales enregistrent des problèmes financiers pour cause de gouvernance avec des pertes techniques et commerciales importantes.

Naturellement, il existe des disparités selon les pays. Par exemple, le taux d’accès varie de moins de 10% au Liberia à plus de 95% au Cap Vert. Aussi, la notion de tarif est à relativiser dans la mesure où ce qui est pratiqué au niveau du consommateur final ne reflète pas le coût effectif du kWh, donc loin de la réalité du fait des subventions faites par certains gouvernements.

Niger Inter Hebdo : Comment envisager des solutions aux problèmes d’énergies dans l’espace CEDEAO ?

Sédiko DOUKA : Les solutions à envisager consistent à parcourir les différents défis et poser des jalons quant à leurs solutions. De manière générale, la CDEAO a placé l’accès à l’énergie comme une priorité pour la région. Dans ce cadre, la stratégie mise en place comporte cinq piliers principaux à savoir : (i) l’amélioration des cadres politiques et réglementaires ainsi que l’harmonisation des politiques et programmes dans le secteur de l’énergie, (ii) la création et la régulation d’un marché régional de l’électricité ouvert et compétitif, (iii) le développement des moyens de production et l’échange d’énergie entre les Etats membres, (iv) la promotion et la valorisation du potentiel d’hydrocarbures particulièrement le gaz naturel, et (v) la promotion et le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Nous allons développer trois sur les cinq cités.

Ainsi, dans le cadre de la mise en œuvre de cette stratégie, la CEDEAO a créé des Agences spécialisées en plus des Directions logées à son Siege, en l’occurrence le Système d’échanges d’énergie électrique ouest africain appelé WAPP, une Autorité Régionale de Régulation du secteur de l’électricité, ARREC et un Centre régional pour le développement des énergies renouvelables et efficacité énergétique, ECREEE.

Concernant le déficit en moyens de production et de transport d’énergie électrique, il y a lieu de comprendre que seulement 60% de la demande est couverte. Neuf pays sur quatorze (non compris le Cap Vert) sont interconnectés par des lignes d’interconnexion de longues portées. Pour y remédier, les Chefs d’Etat et de Gouvernement, le Conseil des Ministres et les Ministres en charge de l’énergie de la CEDEAO, ont adopté en 2018 le Plan directeur pour le développement des moyens régionaux de production et de transport d’énergie électrique horizon 2019-2033 pour générer 16 000 MW dont 70% venant des énergies renouvelables et construire 23 000 km de lignes d’interconnexion impliquant au moins deux pays. C’est un portefeuille de 75 projets régionaux nécessitant 37 milliards de Dollars US classés sur la période de 15 ans et qui demande des préparations par des études de faisabilité, la mobilisation des ressources, les structurations et arrangements institutionnels pour le montage de ces projets. Actuellement, une vingtaine de ces projets sont en cours d’exécution ou de préparation à divers stades. Nous attendons l’achèvement de deux projets régionaux majeurs pour interconnecter les cinq pays restants à savoir le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée Bissau et la Gambie, avec 3 000 km de nouvelles lignes qui seront achevées d’ici la fin de l’année 2021. Ainsi, à partir de 2022, les acteurs peuvent acheter et vendre l’électricité dans l’espace CEDEAO à partir d’un operateur unique (le Centre d’Information et de Coordination du WAPP) qui est basé à Cotonou et dont les travaux de construction sont en phase finale. Tout ceci, dans le cadre du marché régional de l’électricité lancé en 2018. Aux niveaux nationaux, nous enregistrons plusieurs projets d’envergures appréciables de construction de centrales solaires et éoliennes à travers des formules de Partenariats-Publics-Privés (PPP), catalysés par la création d’un environnement favorable aux affaires qui attirent des promoteurs.

Concernant l’accès aux services énergétiques, il est à noter la création dans la plupart des Etats membres de la CEDEAO, des structures en charge de la promotion de l’électrification rurale et/ou des énergies renouvelables en plus de l’opérateur classique. Au Niger par exemple, nous avons l’ANPER, l’ANERSOL et la NIGELEC. La question centrale reste la mobilisation des ressources de financement et pour cela, nous devons mener des politiques agressives des bailleurs de fonds traditionnels bi et multilatéraux mais aussi d’autres acteurs comme les fonds d’investissement, les fonds de pension, les banques commerciales, entre autres. Dans ce sens, au niveau de la CEDEAO, nous disposons de deux projets régionaux sur l’accès à l’électricité financés par la Banque mondiale. Le premier d’un montant de 690 millions USD pour l’électrification conventionnelle et le stockage d’énergie, scindé en deux phases et concerne la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, la Mauritanie, le Sénégal et le Togo et le second d’un montant de 340 millions USD englobe 19 pays (15 de la CEDEAO, la Mauritanie, le Tchad, le Cameroun et la République centrafricaine) plus axé sur l’électrification hors réseau. Près de 2 millions de foyers bénéficieront de l’électricité au terme de l’exécution de ces deux projets majeurs. Nous comptons également accentuer l’électrification à travers les projets d’interconnexion développés dans le cadre du Plan Directeur de la CEDEAO.  A ce propos, il est désormais acquis qu’à chaque fois qu’il y a un projet de construction d’une ligne d’interconnexion électrique, les localités se trouvant dans un rayon de 5 à 10 km de l’axe de la ligne, seront électrifiées. C’est le cas du projet du WAPP appelé Dorsale Nord interconnectant sur près de 900 km le Nigeria, le Niger, le Burkina Faso, le Benin et le Togo ou près de 430 localités seront électrifiées au Niger.

 En complément de toutes ces actions, il faudrait également que les Etats membres tendent de plus en plus vers un mix énergétique approprié qui contribuera entre autres à la réduction du tarif de l’électricité.  Le mix énergétique est la composition des différentes formes d’énergie produite dans un pays. En Afrique de l’Ouest, la prépondérance du thermique (pétrole, charbon, fuel, etc..) doit être inversée par la prolifération des ouvrages à production d’énergie par les énergies renouvelables particulièrement l’hydraulique, le solaire et l’éolien qui sont actuellement marginales dans le mix. Tout en renforçant l’hydroélectricité, la promotion du solaire est capitale. Ceci passe par la création d’un cadre légal, règlementaire et institutionnel compatible à l’attraction des développeurs privés des projets qui souhaitent investir dans la région.

Niger Inter Hebdo : Le Niger dispose des ressources énergétiques. Selon vous comment utiliser toutes nos ressources pour booster le développement du Pays ?

Sédiko DOUKA : Au Niger, la biomasse domine la consommation énergétique globale à plus de 80% comme la plupart des pays en Afrique de l’Ouest malgré l’existence d’autres potentialités énergétiques telles que  : le solaire avec un rayonnement de 6 kWh/m2/jour pour une durée moyenne journalière de 8,5 h, l’ éolien avec des vents de plus de 6 m/s, le charbon, plus de 90 millions tonnes (Anou Araren, Solomi et Takanamatt), le pétrole (en exploitation depuis 2011),  l’uranium et l’hydroélectricité (Kandadji pour 130 MW, Gambou pour 122 et Dyodyonga sur la Mekrou pour 26). Selon les statistiques que nous détenons, le Niger a un potentiel de 1 718 MW reparti en 350 pour le gaz, 150 du Diesel, 200 en énergies renouvelables dont le solaire, 650 pour le charbon et 368 pour l’hydroélectricité. L’énergie importée du Nigeria domine la production locale car représente 75% du global, le taux d’accès à l’électricité reste encore faible surtout en milieu rural. Le mix énergétique de la NIGELEC dominé à 80% (pétrole) et 20% (charbon). Il convient toutefois de préciser que le Niger, avec un territoire vaste de près de 1,3 millions km2, n’a pas une configuration qui facilite une couverture électrique car faisant appel à des investissements importants. De plus, le système de tarification longtemps resté en stagnation depuis près de 23 ans (1994-2017), était faiblement flexible et ne reflétait pas une réalité économique.

Ce tableau monographique de la situation du Niger n’est pas différent de celui des autres pays de l’Afrique de l’Ouest.

L’utilisation des ressources existantes passe par la création d’un environnement favorable en terme institutionnel, légal et réglementaire. Ainsi, sur le plan institutionnel, plusieurs acteurs interviennent dans la chaine de l’énergie. D’une part, des efforts ont été faits pour jumeler les deux Ministères de l’Energie et celui du Pétrole en une entité. D’autre part, en plus des entités qui existaient depuis 40 à 50 ans comme la NIGELEC, la SONICHAR et la SONIDEP, d’autres sont nées telles que l’ARSE, l’ANPER, l’ANERSOL et le CMEN. Sur le plan légal et réglementaire, le Code de l’électricité de 2016 permet d’avoir des producteurs indépendants d’énergie qui peuvent vendre principalement à la NIGELEC ou à des gros consommateurs (miniers, cimenteries et autres industriels). Aussi, le Code des investissements et la loi sur les PPPs sont des jalons qui permettent d’attirer des promoteurs des projets de construction des ouvrages électriques. Toutes ces réformes sont censées contribuer à l’utilisation rationnelle des ressources énergétiques du pays.

Par ailleurs, les potentialités solaires peuvent être exploitées à travers des options consistant soit à construire des grands centres de production solaire pour alimenter un grand nombre de localités ou de grands centres avec des capacités de 5 à 30 MW ou à alimenter des petites localités en zones rurales de manière décentralisée. C’est à ce titre que trois centrales solaires ont été mises en chantier, celle de Malbaza déjà réalisée et celles d’Agadez et de Gorou Banda en cours.  La première option a l’avantage d’utiliser à fond les potentialités du fait qu’on puisse produire une énergie relativement importante quitte à maitriser ou contrôler le cout du kWh produit. La seconde option a l’avantage de permettre aux localités isolées d’avoir elles aussi, accès à l’énergie. Mais le cout du kWh peut être élevé et l’Etat serait obligé de subventionner pour vendre l’énergie avec un même tarif sur l’ensemble du territoire.

Les défis à relever sont ceux de la couverture de la demande et d’accroissement de l’accès dans les zones urbaines, péri-urbaines et rurales. Si aujourd’hui tous les chefs-lieux de régions (8), de départements (63) voire des communes (266) sont électrifiés, il y a lieu d’accentuer sur le rural ou il est dénombré près de 10 000 villages sur l’ensemble du pays. Ce qui n’est pas une opération aisée vu la cartographie du territoire national et la disparité entre les zones en termes d’accessibilité. Aussi, les zones déjà couvertes ont besoin d’être densifiées par l’extension des réseaux et de la couverture particulièrement dans les quartiers périphériques générés par la poussée démographique et le développement des villes.

Niger Inter Hebdo : Les cadres institutionnel, légal et réglementaire sont-ils vraiment favorables à une politique de l’énergie efficiente au Niger ?

Sédiko DOUKA : Sur le plan légal et réglementaire, plusieurs réformes ont été faites dans le secteur de l’énergie. Les plus récentes sont les textes institutionnels, législatifs et règlementaires dont nous pouvons citer : la Déclaration de politique énergétique de 2004, la Loi de mai 2016 portant Code de l’Electricité au Niger, le Document de politique nationale de l’électricité (DPNE) adopté en 2018, la Stratégie nationale d’accès à l’électricité (SNAE) adoptée en 2018, la Politique pétrolière nationale de 2019 et la Loi 2017-63 du 14/08/2017 portant Code pétrolier et son Décret d’application de 2018.

En application de la Loi portant Code de l’électricité, plusieurs décrets ont été pris : les conditions d’accès aux tiers au réseau de transport d’énergie électrique, les règles tarifaires applicables au sous-secteur de l’électricité, les conditions et modalités de conclusion de conventions de délégation et d’attribution des licences dans le cadre du service public de l’énergie électrique, les relations entre les délégataires et les clients du service public de l’électricité, les modalités de calcul et recouvrement de la redevance annuelle de régulation, modalités de gestion du fonds pour la promotion des énergies renouvelables et la maitrise de l’énergie, les règles sur l’autoproduction, les réalisations des projets d’électrification rurale autonome hors réseau au Niger, code de réseau d’électricité, etc… C’est en vertu de l’application de ces textes et du Code des investissements que plusieurs projets de construction des centrales électriques et solaires par des privés ont vu le jour.

Dans le fonds, ces cadres sont favorables à une politique efficiente et permettent d’avoir des résultats significatifs. Dans la forme, il y a lieu d’examiner les rôles des différents acteurs et leurs compréhensions des missions à eux confiées sans conflit de compétences entre entités intervenant dans le même secteur. C’est donc à la Tutelle de faire cet arbitrage par une revue des textes fondamentaux pour voir si ces outils nécessitent une refonte où tout simplement ces derniers sont clairs, il s’agira pour le reste de les appliquer.

Par exemple, il faut un système de régulation fort, autonome et indépendant quant à ses prises de décisions. Que les décisions du régulateur ne soient pas phagocytées par les pouvoirs publics car les organes de régulation doivent fonctionner en toute indépendance comme les cours et tribunaux. Que les entités régulées paient leurs redevances pour assurer une autonomie financière du régulateur.

Niger Inter Hebdo : L’autre défi c’est bel et bien l’électrification rurale dans l’espace CEDEAO. Que faire pour augmenter l’accès à l’énergie dans le monde rural ?

Sédiko DOUKA : L’électrification rurale est un facteur catalyseur du développement économique et social. En zones rurales, ses impacts se matérialisent par la réalisation des activités génératrices des revenus (petits commerces), la conservation des aliments, des équipements sanitaires (réfrigérateurs pour les produits pharmaceutiques), l’amélioration des rendements et performances des élèves à l’école par le truchement des lampes d’éclairage permettant à ces derniers d’étudier la nuit. L’un des effets induits le plus remarquable est celui qui facilite aux femmes des travaux pénibles et des longues corvées leur permettant d’avoir plus de temps à embrasser des activités commerciales car la présence de l’électricité permet l’installation des outils et instruments communautaires (moulins à grains, forages, etc…). Aujourd’hui, plusieurs localités en Afrique de l’Ouest ont été dotées d’infrastructures sociales (écoles, centres de santé, pharmacies, forages, marchés, centres récréatifs, etc…) à cause de la présence de l’électricité. Sans tenir compte de la protection de l’environnement par la réduction ou la non/faible utilisation en grande masse de la biomasse comme cuisson, plus polluante, qui était prépondérante à hauteur de 75% de la consommation énergétique.

Comme nous l’avions dit plus haut, le défi de l’électrification rurale réside dans un contexte où nous avons à faire à une population à revenus faibles, donc de consommation faible d’électricité, une population vivant dans des zones à faibles densités, dispersées et de cartographie particulière. De ce fait, l’électrification rurale est structurellement déficitaire. Les autorités des Etats membres doivent faire beaucoup d’efforts pour investir dans ce sous- secteur car il n’attire pas les investisseurs privés à moins qu’il ait de fortes mesures concessionnelles venant de l’Etat (fiscalité, participation aux investissements, subventions des tarifs appliqués au consommateur final). De ce fait, les cadres légal et réglementaire doivent être incitatifs. Dans la majeure partie des Etats, il a été créé une Agence en charge de l’électrification rurale, ce qui constitue une grande avancée. Les textes à élaborer doivent permettre d’avoir des concessions ou licences pour exercer comme opérateur privé d’électrification rurale à travers des appels d’offres. C’est-à-dire, selon un cahier de charges bien défini, se voir octroyer une concession ou licence d’opérer, de participer partiellement aux investissements, de construire, exploiter et entretenir les ouvrages, de recouvrer les créances et augmenter la couverture en termes de consommateurs à atteindre. Le tout, selon des contrats types et des tarifs agréés par l’organe régulateur. Ceci a l’avantage d’avoir des offres compétitives, de développer l’entreprenariat local à travers des entreprises locales qui peuvent soumissionner en groupement ou sous-traitance avec des sociétés internationales. Aussi, les groupements, associations et collectivités locales peuvent compétir au même titre que les entreprises étrangères avec un abattement de préférence régionale ou nationale selon les cas des concessions ou projets.

Au Niger, il existe une loi de 1972 créant une taxe d’édilité spécifique de 2 FCFA/kWh prélevée sur les factures d’électricité, recouvrée par la NIGELEC au bénéfice des collectivités locales, de la NIGELEC et de l’ANPER. Si l’on prend l’énergie annuelle totale vendue par la NIGELEC de 1300 GWh, soit 1 300 000 000 kWh, ce qui représente 2,6 milliards FCFA par an à repartir entre l’ANPER, la NIGELEC et les collectivités locales, un montant faible pour booster l’électrification rurale. Ce scenario est constaté dans plusieurs pays.  Il y a donc lieu de mixer et superposer l’approche du financement de l’électrification rurale par les autorités gouvernementales sur fonds propres ou des subventions sur les investissements ou sur le tarif à appliquer et celle d’attraction des acteurs privés nationaux et internationaux.

En conclusion, l’électrification rurale est couteuse. Si ses projets peuvent être économiquement viables, ils ne peuvent pas garantir une rentabilité financière.  Comme l’électricité est un service public et un maillon essentiel pour tout développement, on ne peut l’arrêter. Il faut mettre des moyens et des approches innovantes pour la développer

Niger Inter Hebdo : Les citoyens estiment que le tarif de l’énergie coute cher au Niger. Comment expliquez-vous cet état de fait ?

Sédiko DOUKA : Comme mentionné plus haut, le tarif d’électricité appliqué à la NIGELEC était resté fixe de 1994 à 2017, soit 23 ans sans varier avec même des réductions sur certains types de clients comme les petits consommateurs avec des tarifs sociaux et les riziculteurs pour supporter les coopératives. Un tarif doit être flexible et refléter les réalités économiques du moment et est appelé à fluctuer comme la monnaie en fonction des contextes de l’heure. C’est au régulateur de veiller à cet aspect.

Dans le principe, l’électricité est un service public, donc un droit du citoyen au même titre que l’eau, l’éducation, la santé, l’emploi, etc… A ce titre, les sociétés publiques d’électricité ne sont pas astreintes ou assujetties à faire des bénéfices mais comme toute entité dotée d’un cahier de charges ou d’un contrat de gestion, elles ont obligation à équilibrer leurs comptes. Aujourd’hui, au Niger, dans les zones non interconnectées, chaque kWh produit est vendu à un prix inférieur, donc engendre d’évidence une perte. Ainsi, tous les centres isolés sont structurellement déficitaires. Heureusement que l’impact de ces centres est marginal du fait qu’ils ne sont pas prépondérants dans l’assiette des ventes. Cependant, pour les autres centres interconnectés, qui constituent la majorité actuellement, des bénéfices sont générés neutralisant les pertes des petits centres avec des profits utiles pour les investissements futurs et la croissance de la société.

Le Code de l’Electricité en vigueur au Niger prévoit la participation des producteurs indépendants d’énergie et des opérateurs dans la distribution, ce qui engendre une diminution du monopole détenu jusqu’alors par la NIGELEC. L’un ou l’autre, la question centrale est de savoir combien un opérateur vendrait son énergie (par exemple à la NIGELEC ou à un gros consommateur industriel pour un producteur) ou le prix du kWh à appliquer aux consommateurs finaux ? Il s’agit d’entrer dans des calculs de rentabilité des investissements consentis par un privé. Nos demandes sont en général faibles par manque d’un tissu industriel fortement développé, structurellement le tarif serait élevé. C’est là où le rôle de l’Etat doit être senti pour apporter des subventions (investissement, exploitation, équilibre) afin de supporter le manque à gagner et le tout dans un système régulé. Au mieux, pour un gouvernement, il s’activera d’appliquer le même tarif par un système de péréquation qu’on soit en urbain ou rural pour des raisons évidentes d’équité.

En résumé, le tarif d’électricité appliqué au Niger est en dessous de la moyenne en Afrique de l’Ouest.  Pour le maintenir ou réduire, il faut faire appel à d’autres formes de sources d’énergies particulièrement les renouvelables. Il y a lueur d’espoir avec les projets en cours de réalisation des centrales solaires relativement grandes et le barrage de Kandadji. L’intégration de ces sources dans le réseau national contribuerait à réduire le tarif à moyen terme.

Niger Inter Hebdo : Qu’est-ce qu’il faut faire pour le réduire le tarif de l’énergie ?

Sédiko DOUKA : Si l’on veut avoir un prix abordable comme vous le dites, il faut soit : (i) que les Etats concurrent aux grands investissements initiaux dans la totalité ou partiellement ou à travers des subventions et donner des gages des mesures incitatives comme la fiscalité ; (ii) que les sociétés fassent preuve de bonne gouvernance dans leur gestion ;(iii) que le pays puisse développer des grands centres industriels qui permettent d’avoir une clientèle dont la consommation permettrait d’optimiser les centrales de production d’énergie par l’obtention d’un cout de production optimal ;(iii) que le mix énergétique soit diversifié à travers le développement des énergies renouvelables(surtout hydrauliques) et (iv) que le pays bénéficie d’interconnexions avec les autres de la région afin de bénéficier d’un prix du kWh compétitif sur le marché régional.

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane