Dr Adamou Issoufou, Secrétaire Exécutif de l'ARMP

Interview exclusive avec Dr Adamou Issoufou, Secrétaire exécutif de l’ARMP

 « Un Etat peut s’appauvrir à cause des marchés publics tout comme il peut s’enrichir grâce aux marchés publics », déclare Dr Adamou Issoufou, Secrétaire Exécutif de l’ARMP

Dr Adamou Issoufou est titulaire d’un doctorat de droit public. Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop (Dakar), il enseigne le droit constitutionnel, le droit des finances publiques et le droit des marchés publics. Il est présentement Secrétaire Exécutif de l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP). A travers cette interview exclusive à l’occasion du 20ème anniversaire de l’ARMP, il renseigne sur les acquis, défis et perspectives de l’Agence.

Niger Inter Hebdo : Monsieur le Secrétaire Exécutif, on parle de régulation des marchés publics, techniquement de quoi s’agit-il ?

Dr Adamou Issoufou : Avant de répondre à la question, permettez-moi de réitérer mes remerciements et ma reconnaissance à l’endroit de son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et de son Excellence Monsieur le Premier ministre, Chef du gouvernement qui ont bien voulu me confier cette mission. Je mesure le poids de la responsabilité et de la confiance qui pèse désormais sur moi.

Je voudrais également saisir cette occasion pour rendre un hommage très appuyé à mes prédécesseurs à la tête du secrétariat exécutif de l’Agence, aux différents présidents du conseil national de régulation, aux conseillers en régulation ainsi qu’à tous les cadres et agents d’exécution de l’ARMP ; qu’il soit en activité ou à la retraite.

Je ne saurai oublier les cadres et conseillers qui se sont succédé tant au Cabinet du Premier ministre qu’au ministère des finances car ils ont joué un rôle déterminant dans la gestation et l’émergence de cette institution.

Aujourd’hui que les fondamentaux sont bien ancrés et que le système national de régulation des marchés publics est devenu une réalité intangible, il nous faut nous appuyer sur les résultats obtenus, collectivement, avec tous nos partenaires pour engager, ensemble les grands challenges du futur. Ces challenges consistent à améliorer les méthodes de passation des marchés publics et à consolider les règles d’éthique et de transparence pour un respect strict des dispositions du Code.

Lorsque l’on parle de régulation, du verbe « réguler », c’est-à-dire lubrifier, on vise l’ensemble des mécanismes juridiques et institutionnels permettant de garantir le bon fonctionnement d’un marché ou d’un secteur d’activité public ouvert à la concurrence. Ce terme consacre le passage d’un droit abstrait à un droit concret où l’application de la règle se fait au cas par cas en fonction du contexte et des intérêts en présence.

En somme, la régulation c’est la recherche permanente de l’équilibre entre les intérêts des acteurs d’un système.

Quand vous prenez un marché public que l’on définit comme le contrat conclu à titre onéreux entre l’Administration publique et un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de service en vue de satisfaire les besoins d’intérêt général (population), vous avez trois acteurs avec des préoccupations et intérêts différents :

D’abord, l’administration publique qui passe des marchés publics pour satisfaire ses besoins en travaux, fournitures et service ou encore pour mettre en œuvre ses politiques économiques et sociales ;

Ensuite, les entrepreneurs, les fournisseurs et les prestataires de service qui forment ce qu’on appelle le secteur privé, créateur de richesse et d’emplois, qui participent aux procédures dans l’espoir légitime de faire des affaires avec l’Administration ;

Enfin, la population en sa double qualité de contribuable et d’usager de service public qui tient à une utilisation régulière et rationnelle des ressources publiques ainsi qu’à la qualité des prestations.

Ainsi, dans le domaine des marchés publics, la régulation renvoie à l’ensemble des mécanismes qu’on doit mettre en œuvre pour promouvoir, garantir et préserver l’équilibre entre les intérêts de ces trois acteurs de la commande publique. C’est pourquoi, dans son office, le régulateur doit s’employer à rassurer l’Administration qui doit pouvoir passer des marchés parfois dans des conditions difficiles et en même temps préserver la confiance des secteurs régulés constitués de ses partenaires stratégiques.

 

Niger Inter Hebdo : Vingt ans après, quels sont les principaux acquis qu’on peut relever de la création de l’ARMP ?

Dr Adamou Issoufou : Plusieurs acquis sont aujourd’hui à l’actif de l’Agence. L’on peut retenir :

  • La transposition de tous les textes communautaires adoptés par les instances de l’UEMOA ; ce qui met l’Etat du Niger à l’abri d’éventuels recours en manquement. Aujourd’hui, notre pays est salué à l’occasion de toutes les rencontres de l’observatoire régional des marchés publics (ORMP).
  • L’acceptation de l’ARMP dans ses attributions et son autorité malgré sa composition. En effet, voilà une entité composée des représentants de l’Administration, du secteur privé et de la société civile et à qui les textes étatiques permettent de remettre en cause l’attribution des marchés décidée à tous les niveaux administratifs, à mener des enquêtes, à diligenter les audits et à publier les conclusions sans requérir l’autorisation préalable, à proposer des textes en toute responsabilité. Mieux, dans l’exercice de ses attributions, elle ne reçoit aucune instruction ou toute autre forme d’interférence ni de la Présidence de la République encore moins du Cabinet du Premier ministre malgré la bretelle juridique qui existe entre l’ARMP et le Cabinet du Premier ministre.
  • La présence de l’ARMP dans les huit (8) régions du pays pour assister efficacement les administrations déconcentrées et locales. Des secrétariats régionaux sont opérationnels. Nous y avons construit, en effet, nos propres locaux et affecté un personnel très dynamique qui offre un service de proximité à tous les acteurs régionaux de la commande publique.
  • La garantie de l’autonomie financière et de gestion. Aujourd’hui, l’ARMP a son budget alimenté par ses ressources propres. Elle ne reçoit aucune subvention de l’Etat. Elle est financée par la redevance de régulation ; un mécanisme de financement innovant à partir duquel l’ARMP évalue les systèmes nationaux de régulation.

Niger Inter Hebdo : Qu’est ce qui a motivé l’organisation de ces activités ?

Dr Adamou Issoufou : Si nous avions choisi d’organiser ces activités commémoratives, c’est en réalité pour, au moins, trois raisons :

D’abord, nous avions estimé que, dans la vie d’une institution, 20 ans c’est quand même un âge qui permet d’accéder à une certaine maturité. Cet âge qui mérite d’être célébré est, pour nous, l’occasion d’écouter et d’échanger avec les pionniers, ceux qui étaient là avant nous et qui avaient trimé pour que l’ARMP soit ce qu’elle est aujourd’hui. C’est pour nous l’une des meilleures manières de leur rendre l’hommage qu’ils méritent ;

Ensuite, c’est certainement la dernière fois qu’une activité de cette ampleur sera organisée au nom et pour le compte de l’institution qu’on appelle aujourd’hui ARMP. En effet, comme vous le savez, un projet de loi a été adopté en Conseil des ministres, puis transmis à l’Assemblée nationale avec comme idée de faire passer l’institution de l’ARMP à l’ARCOP.

Enfin, il était question pour nous de renforcer la visibilité de l’institution afin que les nigériens de façon générale saisissent ses attributions, les modalités de son fonctionnement, son rôle dans la promotion de la bonne gouvernance.

Niger Inter Hebdo : Quels sont les défis à relever pour renforcer l’efficacité et la crédibilité du système de gestion des marchés publics dans notre pays ?

Dr Adamou Issoufou : Dans la gestion d’une institution de régulation comme la nôtre, l’on peut facilement relever plusieurs défis parmi lesquels j’ai envie de retenir :

  • La nécessité de faire accepter l’importance stratégique des marchés publics dans le développement économique et social de notre pays, tout comme dans l’amélioration des indicateurs de mesure de la bonne gouvernance. Au-delà des procédures, le marché public est, en effet, un levier ; une sorte d’instrument de mise en œuvre des politiques publiques. Il est également important de prendre conscience de l’importance des ressources publiques que l’Etat injecte dans les marchés publics. Sous ce rapport, on se rend compte qu’un Etat peut s’appauvrir à cause des marchés publics tout comme il peut s’enrichir grâce aux marchés publics.
  • L’urgence de mise en œuvre effective des décisions du Comité de règlement des différends et des recommandations contenues dans les rapports d’audit. La crédibilité du système en dépend.

 

  • La professionnalisation des acteurs de la commande publique

La matière étant complexe et le niveau de sa maitrise très perfectible, il nous faut améliorer et diversifier nos offres de formation afin de mettre à la disposition du système une masse critique de spécialistes.

  • La dématérialisation

Aujourd’hui, tous les spécialistes s’accordent pour soutenir que la dématérialisation, c’est-à-dire le fait de remplacer les supports d’information et de soumissions matériels par des fichiers électroniques est de nature à renforcer la transparence et la lutte contre certaines mauvaises pratiques.

Niger Inter Hebdo : En termes des perspectives, Monsieur le Secrétaire Exécutif, quelles sont les grandes ambitions de l’ARMP ?

 

Dr Adamou Issoufou : Au niveau de l’agence, nous avons plusieurs ambitions :

  • Nous avons pour la première fois, un plan stratégique quinquennal en cours d’élaboration pour prendre en charge nos principaux défis ;
  • Un Audit organisationnel du Secrétariat exécutif en cours pour objectiver les insuffisances et autres facteurs de dysfonctionnement afin de proposer les améliorations nécessaires
  • La professionnalisation des acteurs de la commande publique. Il nous faut à cet effet :
  • Mettre en œuvre, dans un premier temps, un programme de certification des acteurs clés à savoir les DMP, les acteurs de la chaine de contrôle et d’audit et les cadres de régulation ;
  • Négocier un partenariat avec l’Université : Master en gestion des marchés publics afin d’injecter une masse critique des spécialistes dans le système ;
  • Concevoir des modules pertinents à partir des questions pratiques et de la nouvelle réglementation
  • La mise en œuvre effective des mesures favorables aux entreprises nationales et aux PME contenues dans le nouveau code
  • La mise en œuvre des mécanismes de suivi des décisions du CRD et des recommandations des audits. Le canevas est en cours d’élaboration
  • L’institution des audits thématiques au-delà des audits annuels classiques
  • Le développement de l’intelligence partenariale
  • Avec le monde du savoir, c’est-à-dire les universités et autres grandes écoles pour améliorer notre compréhension des grandes thématiques émergeantes ;
  • Avec le Centre de formation judiciaire pour nous familiariser et nous parfaire en matière d’instruction et de rédaction des décisions
  • Avec la Cour des comptes, car il y a beaucoup de cas de faute de gestion en rapport avec les marchés publics qu’il convient de traiter ;
  • Avec le Conseil d’Etat pour une compréhension commune des délais de recours, des principes fondamentaux de la commande publique et de la logique des décisions du Comité de règlement des différends ;
  • Avec la Société civile pour une meilleure compréhension des procédures et des attributions de notre Agence.

 

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N°83 du mardi 11 octobre 2022