La rocambolesque affaire Ibrahim Moussa alias Ibou Karadjé, l’ex chef du service transport de la Présidence, écroué depuis deux semaines, pour détournement des deniers publics et faux et usage de faux en écriture publique ne cesse de révéler ses secrets. Ce scandale s’est produit plutôt au trésor national et non à la Présidence de la République comme il a été annoncé par certains confrères. Des détails sur le mode opératoire de ce faussaire hors-pair.
Des sources concordantes, Ibou Karadjé avait imité la signature des responsables du Ministère des Finances, utilisé de faux cachets et contourné la chaine des dépenses pour établir de fausses Lettres d’Autorisation de Paiement (LAP). Ce, jusqu’au jour où les services du Ministère des Finances l’ont démasqué. L’enquête qui est en cours permettra de déterminer le montant exact de ce que Ibou Karadjé a détourné au niveau du trésor.
Pris entre les mailles de la justice pénale, le jeune ripou, alias Ibou Karadjé n’a d’autres choix que de dire toute la vérité ou accepter de prendre son mal en patience en ce sens que « son parti politique, sa base, sa famille, sa communauté ne lui seront d’aucun secours », à en croire la consigne du Président Mohamed Bazoum.
Comment le pot aux roses a été découvert ?
D’aucuns ont annoncé que Ibou Karadjé a été confondu lorsqu’il a donné un chèque sans provision à un opérateur économique. Après vérification, nous pouvons dire que c’est inexact. A la vérité, les manœuvres d’Ibou karadjé ont été détectées par une dame du trésor qui a eu le flair de constater que ses documents étaient signés avec un cachet mais de couleurs bleu et rouge. Quand on a demandé au légitime signataire s’il dispose deux encres différentes, il a nié d’avoir signé des documents avec des encres différentes puisqu’il ne dispose que d’une seule. C’est justement cela qui a permis de découvrir les pratiques malsaines d’Ibou Karadjé. C’est également cela qui a permis de comptabiliser les faux documents dont le cachet est étranger au service. Selon notre source, dès qu’on lui a demandé de justifier le montant de 168 millions correspondant aux fonds détournés, le faussaire a tenté de les rembourser. Mais comme on ne peut tromper le peuple tout le temps, l’année 2021 n’est décidément pas pour Ibrahim Moussa dit Ibou Karadjé, une année des bonnes affaires.
La chance n’étant plus de son côté, Ibou Karadjé ne sait pas que la boite de pandore est désormais ouverte. Les dégâts s’élèvent à environ 3,8 milliards de Fcfa, rien que pour l’année 2020, apprend-on.
En décembre dernier, Ibou Karadjé a presque pris ses quartiers au Trésor national. Durant presque tout ce mois, il introduit au quotidien deux LAP de moins de 50 millions. Pour un budget de 400 millions alloué à la rubrique frais de missions des agents de la Présidence, Ibou Karadjé a défalqué 600 millions en décembre 2020 avec la complicité de ses amis. Comment se fait-il que pendant presque un mois les agents du Trésor ont-ils accepté de sortir les fonds demandés par Ibou Karadjé au quotidien et au nom de la même rubrique ‘’frais de mission’’ sans crier gare ?
Comme à la caverne d’Ali Baba, il n’est pas étonnant que Ibou Karadjé se classe parmi les nouveaux riches de la capitale. Tenez : ses biens immeubles et autres possessions sont estimés à 4 milliards de Fcfa, selon la perquisition de la police judiciaire, apprend-on. Et comme pour mettre en évidence le caractère sulfureux du personnage, l’on apprend que pour la seule année 2020, Ibou Karadjé aurait détourné environ 3, 8 milliards de Fcfa en reproduisant les signatures des cadres qui interviennent dans la chaine des Lettres d’autorisation de paiement par anticipation (LAP). Cette procédure d’urgence qui permet de sortir de l’argent liquide au trésor public et de régulariser après.
Le jeune prévaricateur serait poursuivi pour escroquerie, faux et usage de faux en écriture publique, détournement des deniers publics, blanchiment d’argent, fausse monnaie…
En terrain conquis, Ibou Karadjé opérait de 2017 à 2020. Il a eu le génie de contourner la Direction générale du Budget (DGB), seule habilitée à faire aboutir les procédures de LAP. Selon nos sources, le théâtre d’opérations d’Ibou Karadjé c’est bien le ministère des finances où il a fini par prendre ses quartiers. Il serait très difficile pour les complices d’Ibou Karadjé de convaincre qu’ils sont de bonne foi en cautionnant les forfaitures de ce faussaire.
Emprisonné, le regard est rivé sur le jeune Ibou Karadjé. Son affaire aura-t-elle des tentacules comme celle de Rupert Murdoch ? Tout dépendra de lui et comment la justice se comportera. Les juges ont le choix d’honorer leurs toges ou les monnayer en espèces sonnantes et trébuchantes. S’ils optent pour le second cas de figure, alors, il ne manquerait pas des avocats assez civilisés pour la médiation. Ceux-là que l’ancien garde des sceaux avait qualifiés récemment de « porteurs de valises ».
L’affaire Ibou Karadjé, un déclic pour le Président Bazoum
Avant de partir en mission en Europe, le Président de la République avait ordonné deux inspections générales d’Etat pour éclaircir la gestion des finances publiques, apprend-on. Et contrairement à ce qui a été dit, l’arrestation d’Ibou Karadjé n’est pas liée à l’affaire du chèque sans provision qu’il aurait donné à un opérateur économique. Selon des sources bien informées, c’est bel et bien le Président de la République qui a ordonné de tirer au clair cette affaire en ordonnant deux inspections d’Etat. Et lorsque le chef de l’Etat a informé le Premier ministre de ce dossier, la réaction de ce dernier était de s’assurer si l’agent indélicat est déjà arrêté, apprend-on. En contactant l’inspecteur d’Etat, ce dernier a confié au Premier ministre d’avoir prévenu la police de ne pas laisser Ibou Karadjé sortir hors du territoire national. Le Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou aurait immédiatement demandé au Directeur général de la police nationale de prendre des mesures pour empêcher à Ibou Karadjé de fuir. Ce qui a permis de procéder à son arrestation sur la base des éléments graves révélés par l’inspection d’Etat, nous a confié une source bien informée. Pour le Premier ministre, si jamais Ibou Karadjé prenait la poudre d’escampette, ce scandale allait être une affaire du gouvernement car personne ne pourra comprendre que c’est une affaire qui s’est passée au trésor national entre un agent et ses complices, apprend-on.
Après vérifications, nous avons eu la confirmation qu’en aucun moment le faussaire Ibrahim Moussa n’a imité la signature du Directeur de Cabinet du Président de la République sortant ou celle de tout autre responsable de la Présidence. Tout son forfait a été commis au trésor national, donc en dehors de la Présidence de la République.
Ses hauts faits c’est d’avoir imité la signature d’un responsable du Ministère des Finances, utilisé de faux cachets et contourné la chaine des dépenses pour établir de fausses Lettres d’Autorisation de Paiement (LAP). Ce, jusqu’au jour où les services du Ministère des Finances l’ont démasqué. L’enquête qui est en cours permettra de déterminer le montant exact de ce que Ibou Karadjé a détourné au niveau du trésor et avec qui au sein de l’administration du ministère des Finances.
C’est dire que le scandale s’est produit plutôt au trésor national et non à la Présidence de la République comme l’ont écrit certains confrères.
Nous avons bon espoir que le président Mohamed Bazoum et le gouvernement sous la direction du Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou vont poursuivre la lutte contre la corruption, les détournements des deniers publics, la concussion et l’enrichissement illicite. Du reste, le Premier ministre a réitéré cet engagement du président de la République dans sa Déclaration de Politique Générale (DPG) adoptée, le mercredi 26 mai par les députés.
On le sait, le Président Bazoum a fait le pari d’asseoir une gouvernance vertueuse après un diagnostic sans complaisance de la façon jusque-là dont les affaires de l’Etat sont gérées.
Et comme pour joindre l’acte à la parole, le Chef de l’Etat promet une tolérance zéro à tous ceux qui entendent s’amuser avec les deniers publics. « C’est pourquoi, je voudrais dire clairement ici que quiconque a une responsabilité dans l’administration publique répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes. Son parti politique, sa « base », sa famille, sa communauté ne lui seront d’aucun secours au cas où son comportement devrait commander une mesure coercitive à son encontre. Pour cela, j’exigerai de tous les responsables aux différents échelons de l’administration que les cadres soient promus sur la base de leur compétence technique et de leur moralité », a averti Mohamed Bazoum.
C’est pourquoi, nul n’est surpris de sa rencontre avec les responsables de la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA). Cette institution a, comme qui dirait, du boulot sous le magistère du Président Bazoum.
Le pronostic du Président de la République Mohamed Bazoum pour inverser la tendance force l’admiration lorsqu’il dit dans son discours d’investiture : « Ma conviction intime est que notre pays a devant lui un bel avenir, pourvu que nous soyons en mesure d’apporter les bonnes réponses à ses défis. Pour cela, nous avons besoin prioritairement de faire deux choses : promouvoir une bonne gouvernance et repenser radicalement notre système éducatif… ».
C’est dire que l’affaire Ibrahim Moussa dit Ibou Karadjé vient de conforter le Président Bazoum et les Nigériens en général qui viennent de découvrir l’ampleur du banditisme d’Etat qui porte la signature de certains cadres concussionnaires de l’administration. D’aucuns se demandent également jusqu’où ira le Président Bazoum dans son élan à lutter véritablement contre la corruption ? Qui vivra verra.
Elh. M. Souleymane et Abdoul Aziz Moussa