Me Souleymane SEYDOU

Me Souleymane SEYDOU décrypte la loi sur la cybercriminalité

Me Souleymane SEYDOU est avocat à la cour, Secrétaire de conférence au barreau du Niger, Lauréat du concours international de plaidoirie, Cotonou, CIFAF 2018, Auditeur master 2, Droit du Cyber Espace africain, UGB Collaborateur à la SCPA Mandela, avocats associés. A travers l’entretien qui suit, il décrypte l’Ordonnance n° 2010-35 du 04 juin 2010, portant régime de la liberté de Presse et la loi sur la cybercriminalité au Niger.

Niger Inter : Le monde de la presse vient de célébrer la journée internationale de la liberté de la presse le 3 mai dernier. Aujourd’hui on a comme l’impression que la loi sur la cybercriminalité rend désuète la loi sur la presse qui dépénalise le délit commis par voie de presse. Quelle est votre réaction sur ce constat ?

 

Me Souleymane SEYDOU : La loi sur la cybercriminalité au Niger  a pour objet la  répression  des infractions qui se commettent au moyen ou sur un réseau de télécommunication ou un système d’information.

Le réseau de télécommunication s’entend de toute transmission, toute émission ou toute réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons, de données ou de renseignements de toute nature par câble en cuivre, fibres optiques, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques.

Quant au Système informatique, il s’analyse en tout dispositif isolé ou ensemble de dispositifs interconnectés ou apparentés, qui assure ou dont un ou plusieurs éléments assurent en exécution d’un programme, un traitement automatisé de données.

S’agissant de l’Ordonnance n° 2010-35 du 04 juin 2010, portant régime de la liberté de Presse, elle a pour objet d’encadrer l’activité de la presse écrite, électronique et la communication audiovisuelle et au-delà de réprimer les crimes et délits commis par la voie de presse.

Les deux textes se complètent.  La loi sur la cybercriminalité ne rend pas désuète l’ordonnance sur la liberté de presse ainsi que les garanties et privilèges qu’elle offre aux citoyens en particulier aux journalistes.

Il est important de noter que l’ordonnance sur la liberté de presse ne prend en charge que des infractions spécifiques : la diffamation,  l’injure  et des publications interdites destinées à l’enfance alors que la loi sur la cybercriminalité va bien au delà de ces  infractions.

Ainsi, un journaliste professionnel qui, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, se rend coupable des faits de diffamation et d’injure commis par voie de presse, doit être poursuivi sur la bannière de l’ordonnance  sur la liberté de presse, qui réprime lesdites infractions.

Quid alors d’un journaliste qui dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ou en dehors de ses fonctions commet par exemple les infractions de fraude informatique, de falsification informatique, d’interception illégale de donnée, de production, offre, diffusion de pornographie enfantine, de propos à caractère raciste, régionaliste, ethnique, religieux, d’injure par un moyen de communication électronique … ?

L’ordonnance sur la liberté de presse n’ayant pas pris en charge ces infractions, il sera poursuivi sur le fondement de la loi sur la cybercriminalité qui a prévu ces infractions avec des peines spécifiques.

C’est dire que la nouvelle loi ne rend pas désuète l’ordonnance sur la liberté de presse. Les deux textes se complètent. Le second n’ayant pas été abrogé.

Niger Inter : La loi sur la cybercriminalité vient de combler un vide juridique dans notre pays en ce sens qu’elle permet de réprimer les criminels et autres hackers qui sévissent via le web. D’aucuns pensent cette loi pourrait être une menace à la liberté d’expression. Qu’en pensez-vous ?

 

Me Souleymane SEYDOU : La cybercriminalité et le cyber terrorisme s’imposent incontestablement comme des phénomènes criminels contemporains auxquels font face les sociétés africaines qui découvrent et expérimentent les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’essor de ces dernières dont, l’importance est avérée quant au développement économique, social et culturel de l’Afrique, a laissé pourtant apparaitre une nouvelle forme de criminalité au moyen d’internet.

D’où la nécessité pour le législateur d’intervenir pour encadrer l’usage de ces nouvelles technologies. C’est dans ce cadre que la loi n° 2019-33 du 03 juillet 2019, portant répression de la cybercriminalité au Niger a été adoptée et se conçoit comme un encadrement législatif légitime à la liberté d’expression et à l’usage d’internet.

Cependant, certains l’analysent comme une menace à la liberté d’expression.

Il importe de relever que la liberté d’expression est un attribut essentiel de l’existence humaine et son rôle dans le progrès et le développement de l’homme ainsi que le maintien de la démocratie est reconnu. C’est un droit constitutionnel.

La Constitution en son article 30 dispose : «   Toute personne a droit à la liberté de pensée, d’opinion, d’expression, de conscience, de religion et de culte »

Plusieurs instruments juridiques internationaux reconnaissent également le droit à liberté d’expression comme un droit fondamental pour tout citoyen.

Il est reconnu aux individus par l’article 9 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui dispose : « Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions […] ». L’article 19.2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit également en substance que « toute personne a droit à la liberté d’expression ». Ce droit est également consacré par la déclaration universelle des droits de l’homme, en son article 19, qui dispose : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique de ne pas être inquiété pour ses opinions […]».

En vertu de ce droit, toute personne devrait être à mesure de s’exprimer librement sur toutes les questions d’ordre politique, philosophique, religieux, morale…qui l’intéressent et de donner son opinion sans pour autant être inquiété.

Force est de reconnaître cependant, que ce droit n’est pas absolu.  Il doit pouvoir s’exercer dans le respect de l’ordre public, de la paix sociale et de l’unité nationale ou de manière générale dans le respect des lois de la république. l’Etat a donc le droit de restreindre la liberté d’expression, mais une telle restriction doit nécessairement viser un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique.

Il va sans dire que le droit à la liberté d’expression ne peut être interprété comme impliquant pour un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant la destruction des autres droits reconnus aux citoyens, comme le dit l’adage « ta liberté s’arrête où commence celle d’autrui »

De ce point de vue, la loi sur la cybercriminalité, même si elle semble être pour certains une menace à la liberté d’expression, ne vide pas celle-ci de sa substance. La cybercriminalité est non seulement fondée sur la loi, dans la poursuite d’un but légitime mais aussi et  surtout nécessaire.

La cybercriminalité, l’ordonnance sur la liberté de presse et la liberté d’expression offrent l’image d’une figure triangulaire normative, indispensable dans une société démocratique.

Le seul danger, reste l’usage abusif que peuvent en faire certaines autorités. Le juge, gardien des libertés individuelles et collectives, dernier rempart contre l’arbitraire et l’injustice devra surveiller la bonne application de ladite loi en mettant fin aux   dérives éventuelles.

Niger Inter : Quels sont les différents crimes ou délits réprimés par la loi sur la cybercriminalité ?

Me Souleymane SEYDOU : Plusieurs infractions ont été prévues. Nous ne pouvons les épuiser dans le cadre de cet entretien. Il importe de retenir cependant les infractions ci-dessous :

  • Infractions spécifiques aux technologies de l’information et de la communication

  • Accès illégal aux systèmes informatiques
  • Interception illégale de données informatiques
  • Falsification et usage de données informatiques
  • Reproduction, extraction, copiage de données informatiques
  • Escroquerie portant sur des données informatiques
  • Abus de confiance portant sur les données informatiques
  • Abus de dispositifs
  • Association de malfaiteurs informatiques

  • Infractions relatives à la pornographie enfantine

  • Production, offre, diffusion de pornographie enfantine
  • Importation, exportation de la pornographie enfantine
  • Détention ou possession de la pornographie enfantine
  • Facilitation de l’accès des mineurs à des contenus pornographiques
  • Consultation habituelle de sites de pornographie enfantine
  • Sollicitations sexuelles d’un mineur de moins de quinze ans

  • Infractions commises par un moyen de communication électronique

  • Escroquerie par un moyen de communication électronique
  • Chantage par un moyen de communication électronique
  • Diffamation par un moyen de communication électronique
  • Injure par un moyen de communication électronique
  • Diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine.
  • Propos à caractère raciste, régionaliste, ethnique, religieux ou xénophobe

Niger Inter : Une nouvelle pratique considérée comme liberticide c’est le fait qu’une personne soit arrêtée à cause de ses propos tenus en privé mais propagés par une tierce personne. Que retenir de la loi dans ce cas?

Me Souleymane SEYDOU : Les propos tenus et propagés, réprimés par la loi, sont uniquement ceux ayant un caractère raciste, régionaliste, ethnique, religieux ou xénophobe ou des donnés de  nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine.

Aux termes de l’article 32 de ladite loi : « Est puni d’une peine d’emprisonnement de un (1) à cinq (5) ans et de un million (1.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs CFA d’amende, quiconque crée, diffuse ou met à disposition, sous quelque forme que ce soit, des écrits, messages, photos, sons, vidéos, dessins ou toute autre représentation d’idées ou de théories de nature raciste, régionaliste, ethnique, religieux ou xénophobe, par le biais d’un système d’information »

L’article 31 du même texte quant à lui dispose : « Est puni d’une peine d’emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et de un million (1.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs CFA d’amende, le fait pour une personne de produire, de mettre à la disposition d’autrui ou de diffuser des données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système d’information. »

A la lecture combinée de ces deux dispositions, il sera aisé de constater que le simple fait d’être l’auteur des propos, vous expose à des poursuites.  La seule exigence est que ces propos soient mis à la disposition du public, même si vous ne les avez pas propagés.

Aussi toute personne qui diffuse ces propos même s’il n’est pas l’auteur peut se voir poursuivre. Il en est ainsi de la personne qui partage l’information ou les propos incriminés.

Le texte ne fait pas de distinction sur le fait que vous soyez l’auteur ou non des propos mais le juge pourra en tenir compte dans la fixation de la peine.

Niger Inter : De plus en plus l’on tend vers la tolérance zéro en matière de diffamation. Pour les journalistes en principe le délit pour diffamation ne doit pas amener un confrère en prison selon l’ordonnance 035 de 2010. Que répondez-vous ?

Me Souleymane SEYDOU : A la lecture des dispositions des articles 49 à 56 de l’Ordonnance n° 2010-35 du 04 juin 2010, portant régime de la liberté de Presse, les juges ne peuvent appliquer que des peines d’amende. Il s’ensuit que pour le délit de diffamation et injure commis par voie de presse, le journaliste ne peut être condamné pour une peine de privation de liberté (Prison). Toutefois, il y’a lieu de distinguer la peine prononcée par le juge, de la garde à vue dans le cadre de l’enquête préliminaire.

Niger Inter : Et qu’en est-il pour le cas des non-journalistes en cas de diffamation ?

Me Souleymane SEYDOU : Aux termes de L’article 61 de l’ordonnance ci haut visée : «   Seront passibles, comme auteurs principaux, des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par voie de presse, dans l’ordre ci-après : les directeurs de publication ou éditeurs…à leur défaut, les auteurs ; à défaut des auteurs, les imprimeurs ; 
à défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs.
 »

Si l’infraction de diffamation  a été commise par un moyen de communication électronique, (Internet, facebook, tweeter, whatssap et autres)  infraction prévue et punie par la loi sur la cybercriminalité, l’auteur  s’expose aux  les peines prévues par ladite loi, y compris la Privation de liberté comme en fait foi les dispositions de l’article 29 de la loi : « la Diffamation par un moyen de communication électronique Est puni d’une peine d’emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et d’une amende de un million (1 000 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA, quiconque commet une diffamation par le biais d’un moyen de communication électronique.  »

 

Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane