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Tribune : De l’anti-impérialisme, aux marchands d’illusions

Ces derniers temps, le débat s’est emballé autour du concept de l’anti-impérialisme ou plus précisément sur les relations France–Afrique communément appelées la « françafrique », du fait certainement de la présence plus visible des forces militaires étrangères en Afrique, le tout amplifié par le phénomène de l’internet qui permet aux uns et autres de s’exprimer plus librement et plus facilement.

 Il faut rappeler que la présence militaire française au niveau de certains pays africains remonte au lendemain des indépendances et était plus pernicieuse et ouvertement néocolonialiste pendant les années 60 à 90 car servant au maintien au pouvoir des dictateurs corrompus.

Cependant, depuis les conférences nationales ayant rétabli le multipartisme et à la libéralisation des économies, la France a perdu beaucoup de son influence d’antan en Afrique, même si quelques vestiges de la « françafrique » survivent encore par endroits.

C’est à ce titre qu’une certaine opinion continue d’accuser l’impérialisme et particulièrement la France de tous les maux dont souffre l’Afrique. Cela a conduit à l’exacerbation du sentiment anti-impérialiste, surtout chez certains jeunes, orienté contre la France, pour, certainement, « toute son œuvre en Afrique », notamment en passif.

Mais, faut-il continuer à pleurnicher en jouant à la victime expiatoire ou faut-il oser poser autrement le débat en n’occultant pas les autres facteurs aggravant y compris endogènes qui sont aussi la cause de notre sous-développement ?

La France est-elle la seule cause du sous-développement des pays africains notamment francophones ?

Sûrement que la France n’est pas exempte de tout reproche dans le sous-développement de certains pays africains, pour avoir soutenu et protégé des régimes dictatoriaux corrompus dans les années 60 à 90 et certainement qu’aujourd’hui encore, elle continue à tirer les ficelles.

En effet, de la traite nègrière au néocolonialisme en passant par la colonisation, l’Afrique a connu une saignée de ses ressources humaines, naturelles et même de son patrimoine culturel. Cela est indéniable. Il est d’ailleurs naïf de croire que, même aujourd’hui, il n’y ait pas d’influence des nations les plus puissantes sur de celles les moins nanties. Cela est aussi vieux que le monde et aussi vrai que le caractère dual de la nature (fort/faible, riche/pauvre etc.). La géopolitique est basée sur un rapport de forces où chacun défend ses intérêts et c’est de bonne guerre ; même les pays africains, s’ils avaient les moyens et en avaient l’occasion, ne s’en priveraient pas.

Cela dit, la France est en partie, mais pas la seule responsable, pas même la principale du sous-développement de l’Afrique.

Quels exemples pour démontrer cela ?

Un pays comme le Libéria n’a jamais été colonisé et n’entretient aucune relation avec la France ; allez savoir s’il est un pays développé. En effet, ce pays qui est riche en ressources naturelles, notamment en diamant, est plus connu pour ses dictateurs sanguinaires, ses guerres civiles ou sa corruption ; pire aujourd’hui en 2020, ce pays a même des difficultés pour payer les salaires de ses fonctionnaires.

La Sierra Leone, un pays dont le sous-sol est riche en diamant, pays colonisé par les Britanniques donc qui n’a pas le francs CFA comme monnaie et n’a pas de troupes militaires françaises sur son sol ; allez-y voir s’il ressemble à un pays développé. On peut en dire autant du Malawi, du Mozambique, de la Zambie etc. La France a peu de relations avec ces pays aujourd’hui et n’en a pas eu par le passé.

La République démocratique du Congo (RDC), pays colonisé par la Belgique. Elle n’a pas le CFA comme monnaie et n’abrite pas de base militaire française et dont Cheik Anta Diop dans son livre : Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéré d’Afrique noire, écrivait ceci : « A partir du bassin du Zaïre, on peut alimenter en eau et en électricité toute l’Afrique noire fédérée ». En plus, ce pays est considéré comme un « scandale géologique » car disposant des mines les plus riches au monde. Aujourd’hui, ce pays est l’un des plus pauvres du monde et manque presque de tout.

La Guinée Conakry, pays avec littoral, colonisé par la France mais ayant sa propre monnaie et n’abrite pas de base militaire française sur son sol. Celle qui est surnommée le château d’eau de l’Afrique de l’ouest à partir de laquelle on peut alimenter toute cette partie de l’Afrique en électricité, est elle-même dans le besoin de cette dernière. En outre, la Guinée est aussi un « scandale géologique », en ce sens qu’elle est la principale productrice de bauxite et de fer dont elle détient les premières réserves au monde. De l’aveu même du président Alpha Condé en 2010, je cite : « J’ai hérité d’un pays mais pas d’un Etat ». Allez savoir si elle est plus développée que le Mali, pays enclavé qui, lui aussi, a été colonisé par la France, ayant le Franc CFA comme monnaie et abritant de nombreuses troupes étrangères sur son sol. Il y a lieu aussi de rappeler que le Mali avait quitté la Zone Franc avant de la réintégrer bien des années plus tard.

Le Ghana et la Côte d’Ivoire (la CI a le FCA comme monnaie et abrite une base militaire française sur son sol depuis les indépendances) sont deux pays voisins, l’un colonisé par la Grande-Bretagne, l’autre par la France et ont à peu près le même potentiel en ressources (peut être un peu plus pour le Ghana). Aujourd’hui, ces deux pays ont le même niveau de développement. D’ailleurs, dans les années 80, le Ghana était à la traine et était synonyme de corruption, de prostitution, il a fallu l’arrivée au pouvoir de John Jerry Rawllings (à l’époque capitaine de l’armée) pour redresser la situation.

Le Nigéria, pays d’Afrique de l’ouest (colonisé par les Britanniques), et le Brésil, pays d’Amérique du Sud (colonisé par les Portugais)  ont le même poids démographique et à peu près le même potentiel économique ; le premier est cité parmi les pays sous-développés, le second parmi les pays émergents.

Enfin, comment comprendre qu’un pays comme le Nigéria (dite première puissance économique d’Afrique), avec une production pétrolière de 2 500 000/J barils (en période de pique) soit 125 fois la production du Niger en 2019, soit sous programme FMI (quand un pays est sous programme FMI, c’est qu’il a des problèmes au niveau de l’équilibre de ses finances) alors que des pays arabes (avec une production moindre) disposent de fonds souverains leur permettant d’amortir d’éventuels chocs financiers. Pire, le géant africain n’arrive même pas à se défaire des terroristes amateurs de Boko Haram ; il a fallu l’intervention des troupes militaires nigériennes et tchadiennes pour lui faire recouvrer la partie nord-est de son territoire jusque-là sous contrôle de ces mêmes terroristes.

A contrario, presque tous les pays magrébins ont été colonisés par la France, certains d’entre eux disposent de peu de ressources naturelles mais s’en sortent mieux que les pays africains situés au sud du Sahara.

De la présence des bases militaires étrangères

Il faut d’entrée souligner que les troupes militaires étrangères sont sur le sol africain à la demande des pays concernés.

Pour les bases militaires, un pays comme Djibouti ne vit en partie que grâce au loyer que lui versent les bases militaires françaises, américaines et chinoises présentes sur son sol.

Des pays comme l’Allemagne, le Japon, la Corée du sud comptent des milliers de soldats étrangers sur leur sol depuis des années et pour certains contre leur gré (du fait de l’issue de la deuxième guerre mondiale que vous connaissez), mais cela n’a pas empêché que le Japon soit la troisième puissance économique du monde et l’Allemagne la quatrième devant la France qui, pourtant lui sert de parapluie nucléaire. D’ailleurs, même la France a eu faire appel à des troupes étrangères notamment américaines et aux « tirailleurs sénégalais » pour se défaire des nazis.

Un pays comme l’Ethiopie (pays sous-développé) n’a jamais été colonisé même si elle a connu une occupation italienne, alors que la Corée du Sud (aujourd’hui pays émergent) a accédé à l’indépendance en 1948. La présence de la base militaire américaine n’a pas empêché à la firme SAMSUG de la Corée du Sud d’être l’un des leaders de l’électronique ; allez savoir ce que l’Ethiopie (qui n’a pas de base militaire étrangère sur son sol) a inventé.

*Le prétexte d’une mainmise de certains pays occidentaux sur les ressources naturelles de l’Afrique qui pourrait justifier la présence militaire ne tient pas la route non plus. En effet, aujourd’hui ce sont les chinois qui tiennent les devants en la matière et la seule base militaire qu’ils possèdent en Afrique notamment à Djibouti est plus à vocation stratégique qu’économique.

De la gouvernance

La gestion des affaires publiques au niveau de la plupart des Etats africains est caractérisée par la mal gouvernance, notamment la corruption, les détournements des deniers publics, le favoritisme, l’injustice, etc. Aucun secteur n’est épargné et chaque citoyen y va de sa part de responsabilité. Ici, dites-moi, quelle est la part de responsabilité des « impérialistes » dans ce qui suit :

  • le citoyen qui déverse les ordures par terre juste à côté du conteneur à déchet alors que celui-ci est à moitié vide, l’enseignant qui vend les cahiers qui sont destinés aux élèves, l’agent de santé qui détourne les médicaments destinés aux malades, le professeur d’université publique qui privilégie les cours de vacation au niveau des instituts privés, le juge, le policier ou le douanier qui se laissent corrompre, le journaliste qui publie de fausses informations, le commerçant qui ne paie pas ses impôts, le DG qui fait le favoritisme dans le recrutement du personnel, le ministre qui fait de la gabegie, le député qui s’octroie des indemnités faramineuses etc.

Des tares des animateurs de la vie publique

En Afrique, les partis politiques, ONG, et syndicats, qui sont pourtant les principaux animateurs de la vie publique, donc les porte-voix des populations, trainent les mêmes tares notamment, le manque de démocratie et de transparence à l’interne, l’absence d’alternance et d’idéal clair, l’opacité dans leur gestion, la cupidité des dirigeants ainsi que des militants, etc.

Pire, à peine créées certaines de ces organisations se résument à la seule personne de leur président tandis que d’autres connaissent des morcellements que rien de rationnel ne peut justifier donnant ainsi lieu à une multitude de micro-organisations aussi inefficaces qu’inutiles. Ainsi, au Niger par exemple, on a vu un parti politique (le CDS RAHMA pour ne pas le nommer), qui a même conquis et exercé le pouvoir, enfanté de 13 autres partis ; et au vu du dernier déchirement qu’a connu ce parti, probablement que le 14ème est en gestation. Toujours au Niger, par exemple, rien que le secteur de l’éducation compte aujourd’hui plus 70 syndicats pour défendre la même cause (celle des enseignants) ; et le bilan de la plupart d’entre eux se résume à des « considérant » à n’en point finir. Idem pour la multitude d’associations et d’ONG fourre-tout. Toutes ces tares, c’est aussi la faute de l’impérialisme ? Comment même envisager une amorce de développement à plus forte raison rêver d’un développement durable, quand les structures qui sont censées donner l’exemple fonctionnent de la sorte ?

Des donneurs de leçons eux-mêmes …

Sur le principe de la lutte « anti-impérialiste » on peut, peut-être, leur concéder le symbole, mais quant à la sincérité des acteurs qui animent ce courant, le doute est permis car cette lutte « anti-impérialiste » est un peu confuse. En effet, au niveau de certains pays, on a l’impression que cela se passe sur fond de calculs électoraux, avec en filigrane des tentatives de délégitimation des acteurs politiques en place tandis qu’au niveau d’autres pays, on semble jouer à DON JUAN (faux séducteur).

Sinon, comment comprendre que des ONG et associations qui ont l’habitude de recevoir des financements ou des formations de la part de l’USAID, de la GIZ, de l’AFP, d’OXFAM, de Qatar Charity ou des fois même directement des pays étrangers, s’autorisent-ils à donner des leçons aux États, quant aux choix de leurs amis et aux priorités de leurs domaines de coopération ? À supposer même que ceux qui se disent « anti-impérialistes » reçoivent leurs subventions d’autres ONG occidentales quelles qu’elles soient. Celles-ci sont toujours financées par des subventions d’organismes ou des dons des citoyens de ces mêmes pays et sont par ailleurs solidaires (la majorité) de la politique étrangère de leur pays car on choisit un président pour toute sa politique y compris étrangère ; et ce ne sont pas les diatribes de la « France insoumise » qui vont démontrer le contraire. Si seulement les « anti-impérialistes » étaient exclusivement financés sur fonds propres ou par des fonds locaux (là même ne provenant pas des groupes de pression), on pouvait encore les croire quant à leur bonne foi.

Pourquoi les soi-disant panafricanistes ne dénoncent jamais les aides bilatérales telles que les aides budgétaires ou dons de nourritures, de matériels médicaux, octroyées par ces mêmes pays qu’ils qualifient d’impérialistes alors qu’ils sont prompts à dénoncer les bases militaires étrangères ?  N’est-ce pas parce que l’opinion publique ne la comprendrait pas ou que la morale publique même ne l’autorise pas ? Pourtant, quelle que soit la forme de l’aide, elle entame, d’une manière ou d’une autre, la souveraineté du pays receveur. Sankara n’avait-il pas, dit et je cite : « C’est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte aussi ses volontés » ?

Comment expliquer que ceux qui prétendent détenir le monopole du panafricanisme soient muets, quand ce sont les Africains qui posent des actes contraires à cet idéal ? Par exemple en 2000, plusieurs Africains ont été tués en Libye, et l’ambassade du Niger à Tripoli a été incendiée par des manifestants libyens en la confondant avec celle du Nigeria. Pourtant, on n’a pas vu ces panafricanistes manifester contre cela. Récemment encore, des Africains ont été tués, d’autres violentés en Afrique du Sud (peuple que tous les pays africains avaient soutenu contre l’apartheid), pourtant nous n’avons pas vu de manifestations autres que celles qui ont eu lieu dans les pays dont ressortissants étaient victimes. Imaginez les manifestations de rue que cela aurait entrainées dans toute l’Afrique de la part de ces « anti-impérialistes », si ces incidents s’étaient produits en Occident.

Est-ce que quelqu’un a une fois vu une manifestation (de ces soi-disant panafricanistes) en faveur du règlement du cas de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) qui n’est, jusque-là, pas un pays souverain ? Elle est un Etat reconnue uniquement par l’UA mais n’a pas de frontières fixes car 80% du territoire qu’elle revendique a été annexé par le Maroc qui, lui aussi, le revendique ; et le statuquo dure depuis 1975, date du départ des Espagnols du territoire du Sahara Occidental.

Pourquoi l’Afrique est à la traîne et que faire pour pallier cela ?

Il ne s’agit pas pour nous de disculper X ou de culpabiliser Y, mais plutôt de poser le débat dans un esprit empreint d’objectivité et de lucidité, afin de sortir de ce lourd climat de suspicion en posant d’abord le bon questionnement. Au lieu de renvoyer le problème entre responsabilité coloniale des uns et l’incapacité congénitale des autres, il faut plutôt poser la vraie problématique en dépassionnant le débat. Pourquoi l’Afrique est-elle à la traîne ?

Si, aujourd’hui encore, l’Afrique est pauvre en surface alors qu’elle riche en sous-sol, j’ai bien peur que cela soit plus dû à la complaisance des Africains qu’à une circonstance de l’histoire. Il est indéniable que la traite négrière et la colonisation resteront à jamais des crimes contre l’humanité. Mais, l’Asie et l’Amérique du Sud ont aussi été colonisées soit par des Etats européens ou par le Japon impérial. Cependant, aujourd’hui beaucoup de pays de ces deux zones tendent vers l’émergence ; d’ailleurs certains y sont déjà. Avant donc de nous en prendre aux ennemis de l’extérieur, balayons d’abord devant nos portes en combattant ceux de l’intérieur qui sont les tares citées plus haut. Ainsi, nous serons politiquement plus forts, économiquement plus puissants, socialement plus soudés et moralement mieux armés pour nous attaquer à l’iniquité de la gouvernance mondiale. Pour cela, nous devons d’abord poser le bon diagnostic. En effet, en posant le problème sous l’angle de la seule responsabilité de l’autre tout en occultant la nôtre, c’est comme si nous nous accrochons à un prétexte pour masquer notre incapacité à trouver les solutions à nos problèmes. Et le jour où ce prétexte tombera (la fin du CFA c’est pour bientôt, et les bases militaires étrangères s’en iront, un jour, de toutes les façons) nous serons confrontés à la dure et amère réalité de nos mauvaises habitudes, pour n’avoir pas vu venir les choses. Ainsi, en posant mal le diagnostic, on ne peut qu’aboutir à une thérapie toute aussi mauvaise et cela est susceptible de nous conduire dans une impasse encore plus grave. Aussi, en mettant à l’index, explicitement, l’autre comme la source de tous nos problèmes, on le désigne aussi implicitement comme faisant partie de la solution. Or, la solution ne peut venir que de nous-mêmes. Rien de sérieux et de durable n’a jamais été construit dans la réaction émotive mais tout a toujours été réalisé dans l’action constructive. Au lieu de cultiver un chauvinisme primaire aux relents populistes, nous ferions mieux de revoir notre perception même de l’État ainsi que notre rapport au travail, au temps, à la démocratie, aux biens publics. Du reste ALLAH (SWT) l’a dit dans son saint Coran révélé il y a 14 siècles : « En vérité, ALLAH ne modifie point l’état d’un peuple, tant que (les individus qui le composent) ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes », sourate 13 verset 11.

Axelle Kabou avait intitulé son livre (édition l’harmattan 1991) : « Et si l’Afrique refusait le développement ? » dans lequel elle démontrait la part de responsabilité des Africains dans le sous-développement de l’Afrique, moi je serais tenté de dire ceci : « Et si Axelle Kabou avait raison ? ».

 Entre renaître de ses cendres à l’image du phénix (en assumant son passé pour se projeter avec assurance dans l’avenir) et céder aux sirènes de l’illusion incarnée par les populistes (telle l’arlésienne), le choix n’est pas du tout cornélien pour l’Afrique.

KOSSEY SANDA