Après le drame d’Inatès qui a couté la vie à 71 soldats nigériens parmi les plus valeureux, l’heure doit être désormais consacrée à la prise de conscience générale sur la menace sécuritaire qui affecte aujourd’hui le Sahel. Un espace où tous les « experts en question de sécurité » projettent des scénarios catastrophes, avec des hordes déferlantes de terroristes, des trafics d’armes, de drogues et mêmes d’êtres humains à grande échelle. Le « Sahélistan », une « république narco-djihadiste-esclavagiste », préviennent-ils, en plein téléchargement !
L’opinion africaine est quant à elle très circonspecte face à cette « menace » qu’elle considère plutôt comme un « pur montage » et nourrit conséquemment un fort sentiment de suspicion contre « les alliés » des pays sahéliens, particulièrement contre la France, très en pointe dans « la guerre contre le terrorisme islamiste au Sahel », mais accusée à tord ou à raison de collusion active avec les terroristes. Un gros et fâcheux malentendu qui « agace », « embarrasse » voire démotive la « coalition anti djihadiste », mais qui fait surtout la bonne affaire de l’Etat Islamique au Grand Sahara, l’ennemi N°1 au Sahel.
Une menace grandissante
Sur le terrain des opérations, la situation est en effet extrêmement préoccupante. Méthodiquement, les groupes terroristes fédérés autour de l’EIGS, dirigés par le tristement célèbre Abou Walid Al Sahraoui, sanctuarisent une zone comprise aux confluences des trois frontières (Burkina, Mali, Niger). Leur mode opératoire diversifié, comprend des attaques kamikazes contre des casernements militaires avec utilisation de moyens massifs et sophistiqués, la destruction d’infrastructures de communication, l’incendie d’écoles et la prise en otage d’enseignants, en passant par les assassinats ciblés de leaders communautaires. Un plan d’extermination et d’occupation dont l’architecture est désormais claire pour tous.
La base d’Inatès, jusqu’au 10 décembre dernier, était pratiquement le seul verrou qui empêchait aux narco djihadistes d’avoir un « territoire » à partir duquel, ils pourraient organiser la conquête de l’ensemble du Sahel. Aujourd’hui, c’est chose faite. A priori, la voie est libre pour leur progression vers le sud, au Niger, au Burkina, au Mali et qui sait, en Cote d’Ivoire au Togo, au Benin ou au Ghana. Pour sauter ce verrou gardé par les militaires les plus aguerris (ceux qui ne fuient pas devant l’ennemi jusqu’au sacrifice), de grands moyens ont été utilisés par les terroristes : des véhicules blindés, des mortiers, plus de 500 hommes sur des 4×4 et des motos, alors que la base ne comptait que 200 éléments. Une attaque d’envergure qui montre à suffisance le haut niveau opérationnel des terroristes.
Point de doute, la menace terroriste est une réalité. Une terrible réalité que les FDS et les populations des zones concernées, connaissent parfaitement et vivent au quotidien. Les preuves sont là : les terroristes prennent régulièrement l’ascendant sur les forces sahéliennes, les obligeant à abandonner leurs positions, avec en prime des dégâts humains et matériels importants. Et comme si cela ne suffisait pas, les terroristes de l’ouest (EIGS et les autres) dévoilent leur projet de faire jonction avec ceux de l’est (Boko Haram) pour prendre le contrôle intégral du Sahel. Le plus dramatique pour nos états, est que leur tissu social caractérisé par une pauvreté endémique et une démographie galopante, favorise une métastase rapide des groupes terroristes, surtout quand « le cancer » épouse les fractures ethniques.
« Nous avons besoin de plus de Barkhane … »
Malheureusement, même avec la mutualisation des moyens militaires des pays concernés à travers le G5 Sahel, la nébuleuse progresse rapidement. L’aide internationale s’avère plus que jamais nécessaire pour la combattre. C’est la vision pragmatique développée par le Président Issoufou, depuis la chute du régime de Kadhafi en 2011, juste au moment où il accédait au pouvoir. Il était à l’époque quasiment le seul à avoir anticipé sur la déferlante terroriste au sahel, là où d’autres voyaient de simples groupes armés, fuyant le chaos libyen. Ainsi pour protéger son pays se trouvant directement sur la route des djihadistes, il a fait appel aux pays en lutte contre le terrorisme international pour couper le parcours des terroristes du nord vers le sud et gêner leur installation au sahel. L’histoire le réconforte aujourd’hui dans cette vision.
Le président nigérien a plus de raison de croire que cette coopération militaire doit continuer et même se renforcer. « Nous avons besoin de plus de Barkhane », a-t-il lancé aux journalistes français venus l’interviewer dans un contexte de grande polémique sur l’utilité de la présence militaire française au Sahel. Il sait de quoi il parle. Il connait bien les résultats auxquels une bonne coopération militaire peut aboutir. Ce qui se passe au Mali, aurait dû se passer d’abord au Niger, si tant est que cette situation est la résultante de la chute du Régime de Kadhafi. Mais la coopération militaire entretenue par le Niger avec la France et le niveau d’intégration communautaire du pays lui ont sans doute permis de faire efficacement face à la déferlante djihadiste.
… Barkhane doit convaincre !
Mais depuis pratiquement 2 ans, les résultats de Barkhane, sont quasiment nuls ou presque. C’est du moins la perception de l’opinion ouest africaine face aux succès des terroristes sur les armées régulières. Dans les capitales sahéliennes, le sentiment anti français monte en flèche, « souvent porté par des hommes politiques », a déploré le Président français Emmanuel Macron. Les réseaux sociaux amplifient la colère des africains qui désormais, trouvent totalement inutile la présence militaire française au Sahel et le font savoir par tous les mots.
En pleine polémique anti française, deux évènements vont cependant surgir, comme pour mettre les deux partenaires (France et pays sahéliens) devant leurs responsabilités collective et historique. Le 26 novembre, 13 militaires français sont tués dans un tragique accident au cours duquel deux hélicoptères de combat sont également détruits. Deux semaines après, le 10 décembre, la base militaire d’Inatès est détruite et 71 soldats nigériens y laissent leur vie. Bien qu’étant survenus dans le même contexte, la lutte contre le terrorisme, les deux faits n’ont cependant pas eu le même traitement au niveau de l’opinion africaine. Si pour le second l’émoi a été général au sahel et en Afrique, par contre le premier était considéré dans certains milieux radicaux, comme une « sanction divine » infligée à la France néo colonisatrice.
Pourtant, dans le principe, les africains ne sont pas contre la présence des militaires français en Afrique pour soutenir leurs homologues du continent. Bien au contraire, celle-ci est perçue par une large frange de l’opinion francophone, plus comme une « solution » que tout autre chose. L’opinion africaine attend juste de Barkhane plus d’engagement sur le terrain, moins d’opérations unilatérales, plus d’opérations conjointes avec les forces régulières et moins de « mouvements suspects » (comme par exemple du Djado au Liptako, deux zones aurifères), pour se remettre à l’applaudir, comme lorsqu’elle avait stoppé vigoureusement l’avancée des djihadistes sur Bamako.
Il semble que la France a déjà compris ce message. Le samedi 21 décembre, le président français en visite en Cote d’Ivoire, annonce la neutralisation de 33 terroristes de la Katiba du Macina au centre du Mali. Un bon début pour le retour de la confiance mutuelle.
El Kaougé Mahamane Lawaly, Le Souffle de Maradi