Accroitre les recettes fiscales, c’est bien. Les utiliser efficacement pour améliorer le quotidien de la population, c’est encore mieux. Tel est le dilemme, la pomme de discorde qui caractérise la loi des finances au Niger. Depuis l’adoption de la loi des Finances 2018, gouvernants et gouvernés notamment les acteurs de la société civile se regardent en chiens de faïence.
« Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays » (Article 22 de la Déclaration Universelle des droits de l’l’Homme, 1948).
Le budget peut être défini comme la « loi des Finances (LF) votée par le Parlement qui prévoit et autorise les dépenses et recettes de l’Etat. Ce terme peut également s’appliquer à un ministère (le budget de l’éducation), à une collectivité locale (le budget de la ville de Niamey) ou à un établissement public.
Le budget de l’Etat (ou loi de finances initiale : LFI) est caractérisé par trois grands principes :
– L’universalité : la loi de Finances doit retracer toutes les recettes et toutes les dépenses ;
– L’unité : les recettes ne sont pas affectées à une dépense particulière ;– L’annualité : il doit être voté tous les ans ; les autorisations de recettes et de dépenses ne sont valables que pour cette durée » (Dictionnaire d’économie et de sciences sociales).
Dans quelques mois, le Parlement nigérien se penchera sur le projet de LF 2019, dans des conditions particulières prévues par la Constitution. Un projet de LF qui est le fruit d’une procédure budgétaire longue et complexe et qui commence dès le début de l’année précédente : des prévisions économiques aident à prévoir le rythme de rentrée des recettes et à fixer les orientations pour les dépenses.
Pour la LF 2019, les discussions budgétaires se sont déroulées entre le 26 juillet et le 21 août 2018. Dans quelques jours, voire mois à venir, nous saurons la trajectoire économique et fiscale sur laquelle S.E Mahamadou Issoufou entend engager la huitième année de son mandat. Sauf surprise, la LF 2019 devrait être la continuité de la LF 2018 ayant essentiellement mis l’accent sur la mobilisation des ressources internes (il est essentiel de garantir un éventail de ressources financières suffisamment large à un Etat pour lui permettre d’exercer « correctement » ses missions, et parmi elles, les ressources d’origine fiscale). La LF 2018 a eu la particularité de s’inscrire dans le cadre de la méthode de budgétisation par programmes. Pour rappel, « en augmentation de 2,5 % par rapport à 2017, le budget ou LF (en dépense) 2018 devrait atteindre 1 900,86 milliards de francs CFA (environ 2,9 milliards d’euros) avec des recettes internes qui devraient s’établir à 1 031,6 milliards de XOF (soit 51,2 % du budget), dont 982,69 milliards de revenus fiscaux (+4,2 % par rapport à 2017). Les changements majeurs sont relatifs à la politique fiscale restrictive caractérisée par des réformes profondes, fortement décriées par l’opposition et une frange importante de la société civile. En effet, plusieurs nouvelles taxes et impôts ont été mis en place, ainsi qu’une réforme de l’administration fiscale qui se caractérise par une intensification des contrôles. Le Gouvernement est également revenu récemment sur certaines exonérations fiscales présentes dans le Code des investissements et il prévoit de relever le prix de l’électricité. Toutefois, certaines taxes (taxe sur les appels internationaux entrants) bien qu’ayant rapportées des sommes importantes (plus de 20 milliards XOF en 2017) ont été supprimées (Perspectives Économiques en Afrique, 2018).
Comme on a pu le constater ci-dessus, les recettes de la LF sont constituées, pour l’essentiel, par les impôts : impôts directs (impôts sur le revenu…) et surtout les impôts indirects (TVA…). A titre de rappel, les impôts sont définis comme « des versements obligatoires et sans contrepartie, aux administrations publiques. Les impôts sont dits « sans contreparties » au sens où les prestations fournies aux contribuables par les administrations publiques ne sont en règle générale pas proportionnelles aux montant acquittés » (OCDE, 2017). Le fait de payer ses impôts constitue un devoir civique. Ce n’est pas un geste anodin, mais un acte primordial qui est au fondement de notre pacte républicain. Ainsi on contribue tous au financement des politiques publiques ! Quant à l’État, il a pour mission de rendre aux citoyens de nombreux services : éduquer, garantir la défense du pays, rendre la justice, soutenir les entreprises, développer les territoires, venir en aide aux plus démunis…, qu’il finance à partir des ressources dont il dispose.
La LF 2018, qui a mis l’accent sur la mobilisation des ressources internes, a commencé visiblement à porter ses fruits. Comme en témoigne la déclaration de Mitsuhiro Furusawa, directeur général adjoint et président par intérim du FMI, du 1er juin 2018, selon laquelle « le niveau élevé des recettes perçues jusqu’à présent en 2018 est encourageant, tout comme les mesures du budget adoptées cette année. Elles sont soutenues par des mesures supplémentaires visant à accroître les recettes à court terme et par un effort systématique de renforcement des capacités des régies financières ».
L’accroissement des recettes fiscales devraient donc permettre le financement des services publics de qualité et à réduire les inégalités via un système de redistribution efficace.
Mettre l’accent sur la redistribution
Si les crispations, mobilisations contre de la loi des finances 2018 peinent à s’essouffler dans le pays, c’est qu’une partie non négligeable de la population estime, à tort ou à raison, que les mesures fiscales adoptées ne se traduisent guère sur l’amélioration de leur quotidien. Pire, elle aurait contribué à « l’enchérir », comme en témoigne la flambée des prix de certains biens et services quelques jours après l’entrée en vigueur de la LF2018.
Si de nombreux pays occidentaux enregistrent moins de pauvres et de tensions sociales, c’est en partie grâce à leurs systèmes de prestations sociales particulièrement aux ménages. Les prestations sociales contribuent, en effet, à protéger le revenu des ménages contre les fluctuations liées à certains risques (accident, maladie, chômage) ou à la vieillesse (pension de retraite), ou encore à prendre en charge une fraction des frais d’éducation des enfants (prestation familiales).
Les prestations sociales perçues par un individu peuvent suivre une logique d’assistance et de solidarité – deux valeurs chères à l’Islam qui reste de loin la religion dominante au Niger. Aujourd’hui, de nombreux pays africains commencent à emboiter le pas à leurs homologues de l’Occident. Divers programmes sont en cours d’expérimentation dans le continent avec des résultats satisfaisants. Dernier exemple en date, le Kenya où une association a décidé d’expérimenter un revenu universel de 20 € (15 000FCFA) par mois versés aux plus pauvres d’un village. Deux ans après son lancement, l’opération est un succès pour les organisateurs. L’objectif étant d’instaurer un revenu universel pour révolutionner l’aide au développement.
Dans un pays où la pauvreté et l’extrême pauvreté sont légion (45,7% de la population), les prestations sociales constitueront sans doute un outil efficace contre la pauvreté et les inégalités. Et, à défaut de mettre en place un système de prestations sociales, le gouvernement doit rationaliser la dépense publique.
Amélioration de la qualité de la dépense publique
L’amélioration de la qualité de la dépense, qui participe au consentement des populations à l’impôt, reste un défi central dans de nombreux pays africains. Le Niger n’y échappe guère. Selon un rapport du FMDV (2014), « l’amélioration de la qualité de la dépense publique est indissociable de la mise en place de contrôles des finances locales garants d’une gestion locale saine. C’est pourquoi, les législations nationales doivent prévoir la transparence et la performance des collectivités locales. La transparence est nécessaire à l’efficacité et à l’efficience de l’action locale ; elle est incontournable pour la redevabilité des autorités locales vis-à-vis de la population. Elle est améliorée lorsque les citoyens ont accès aux informations sur le fonctionnement et la gestion locale, lorsque les autorités locales respectent un certain nombre de règles et procédures légales en matière de recrutement et d’administration du personnel, d’appels d’offres, de passation des marchés, etc. ; et sont soumises à des audits réguliers et indépendants – financiers mais aussi organisationnel ».
Dans un contexte politique fortement marqué par des soupçons de détournement de deniers publics ou de corruption impliquant les hommes politiques nigériens, cette façon de faire devrait accroître indubitablement la confiance entre le Peuple et ses dirigeants et permettre à notre pays d’accroître significativement ses recettes budgétaires et de figurer parmi les pays les mieux classés en matière de bonne gouvernance dans le monde.
Adamou Louché Ibrahim
Analyste Economique
@ibrahimlouche
Niger Inter Magazine N°15