Des personnalités nigériennes de la 5ème et de la 7Eme République sont citées dans une rocambolesque affaire de corruption dans la délivrance des permis miniers, relativement à l’affaire « MEBIAME », ce gabonais arrêté aux Etats Unis. On parle de plusieurs milliards de francs CFA de pots de vin ayant servi à corrompre plusieurs responsables nigériens.
L’homme au centre de ce scandale, Samuel Mebiame, a travaillé comme consultant pour une joint-venture entre un fonds de couverture américains et Turks et Caicos, enregistrée aux îles vierges britanniques. C’est un rapport du Fédéral Bureau of Investigation (FBI), datant du mois d’août 2016 dont votre serviteur a eu copie (voir fac similé en anglais) qui étale cette autre scabreuse affaire qui écorne encore l’image de notre pays, mis à mal par des prédateurs.
Comme au pays de l’Oncle Sam, on ne badine pas avec la prédation des fonds d’investissements, les fédéraux américains qui auraient ouvert récemment un bureau à Niamey, demandèrent à l’Etat nigérien de collaborer avec leurs services pour châtier les responsables nigériens corrompus, comme le précise ce rapport étalé sur la période 2007-2012. La lecture de ce dernier, ajouté à notre enquête réalisée le 6 août 2015 sur la corruption érigée en mode pour obtenir des permis miniers en Afrique (Fatal Extractions), menée en collaboration avec African Network of Center for Investigative Reporting (ANCIR) et le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), l’on peut scinder ce dossier en deux chapitres. Celui de la corruption de l’entourage de l’ex président Tandja Mamadou avec en toile de fond, l’affaire Ibrahim Hamidou (qui n’est que la partie visible de cet iceberg mafieux), mais également celui de la Renaissance acte 1. C’est pourquoi, la justice nigérienne qui a posé le coude sur la décision en date du 4 mars 2014 de la Cour d’Appel de Niamey, demandant au juge correctionnel de poursuivre certaines personnes citées par le FBI, doit pour son honneur se ressaisir et travailler de concert avec les juges fédéraux américains pour rendre gorge aux personnes impliquées dans « MEBIAME GATE ». Il y va de la crédibilité du Niger.
Des fonds américains détournés pour corrompre des officiels et proches du régime Tandja
Le rapport indique que Samuel Mebiame a utilisé les fonds de Och-Ziff, la plus grande société de fonds de d’investissements cotée en bourse aux États-Unis. En utilisant ces fonds pour corrompre des officiels nigériens dans le cas qui nous concerne, Mebiame enfreint la loi américaine à travers le Foreign Corrupt Practices Act qui interdit l’utilisation de ces fonds à des fins délictueux. C’est ce qui motive le rapport sous serment d’YVES HUNZIKER, Agent spécial de la Division des Enquêtes Criminelles du FBI, et du juge fédéral PEGGY KUO du district Est de New York. Au Niger, ces fonds d’Och-Ziff ont servi à financer les activités de Niger Mining Services qui est une filiale de Signet Mining services enregistrée aux îles vierges britanniques. Sous le couvert de Niger Mining, Samuel Mebiame avait mis sous son escarcelle des officiels nigériens par des coups de billets dollars, des virements bancaires et autres véhicules luxueux distribuer à tour de bras pour obtenir entre 2007 et 2008, six (6) permis de recherches minières. Il s’agit d’Adrar 1 et Adrar 2, Tassadet 1 et Tassadet 2, Terzemasour 1 et Terzemasour 3. Ce dernier a été vendu à Brinkley Mining, une société britannique dans la transaction de spéculation de permis miniers pour une valeur de plus de 700 millions de francs dans l’affaire « Ibrahim Hamidou ».
Pour asseoir son dispositif de conquête du sous sol nigérien, Mebiame a fait appel à AGBOATI KODJO PAUL, dirigeant d’AFRICA RESSOURCES, une société australienne et certaines personnalités proches de Tandja, à l’image de son épouse Hadjia Laraba Tandja, son fils Hadiatoulaye Tandja, l’ancien ministre des mines Mohamed Abdoulahi, l’ancien directeur des mines, Oumarou Massalatchi et bien d’autres intermédiaires comme Ibrahim Hamidou.
Le rapport des fédéraux indique aussi que lors de son audition, Mébiane a souligné qu’il a donné des pots de vin à une personnalité de haut rang (N°1) qui aurait influencé une autre de rang officiel et qui avait le pouvoir de délivrer des permis de recherches et d’exploitation d’uranium.
Sans donner l’identité de l’officiel (N°1), le rapport souligne qu’il a reçu, aux dires de Mebiame, des paiements directs en espèces et des belles voitures. Cet officiel à qui Mebiame a payé également 100.000 $ dirige aussi une entité caritative. A ce niveau, les nigériens ont déjà une idée de qui dirige à l’époque une fondation et qui téléguidait de la présidence de la République, le ministre des Mines, Mohamed Abdoulahi pour attribuer des permis de recherches et d’exploitation d’uranium dans la plus grande opacité. L’enquête du FBI rapporte aussi que des paiements ont été effectués en direction du fils de la personnalité (N°1), mais également d’un avocat, une personne dont l’identité est bien connue des nigériens. L’on sait à l’époque de quel fils de l’officiel nigérien il s’agit et quel était avocat impliqué dans la spéculation et la délivrance des permis miniers.
En outre, le rapport montre que des intermédiaires dont un homme d’affaires ont également eu leur part de bakchichs pour arranger l’octroi d’un ou plusieurs permis. Au cours de son interrogatoire, Mebiame a dit que la personnalité N°1 est devenue trop exigeante et exhibait sa richesse, c’est pour cela qu’il a changé de répondant en allant directement verser des pots de vin à la personnalité N°2.
On sait également qui est la personnalité N°1 et qui est la personnalité N°2 très proche de Tandja. Dans son travail, le FBI, cet organisme d’enquête majeur du gouvernement américain s’est servi entre autres des relevés bancaires, des virements en direction de certaines personnalités et des e-mails, ainsi que d’autres supports laissés par Mebiame dans sa méthode.
A titre illustratif, le 29 août 2007, un transfert de plus de 1,3 million $ a été opéré pour un compte au Niger. Concernant ce chapitre de l’ère Tandja, le rapport du FBI complète une investigation réalisée en août 2015 par votre serviteur sous la supervision de ANCIR et de ICIJ sur les pratiques corruptives des sociétés australiennes en Afrique. Il faut souligner également en dépoussiérant le rapport cité plus haut, l’on découvre que le « Guri » dans sa version 1, n’est pas exempt de tout reproche.
Le « Guri » doit s’expliquer
Sous la renaissance Acte 1 du « Guri », les 6 permis cités plus haut ont, non seulement été prorogés, mais également renouvelés en 2013. Le ministre des mines de l’époque, par le biais de son attaché de presse a décliné toute responsabilité à travers une mise au point sur les réseaux sociaux. Il dit même être prêt à se mettre à la disposition du juge fédéral américain pour toute collaboration. Mais seule une enquête indépendante est en mesure de faire la lumière sur cette affaire de corruption et situer les responsabilités. C’est aussi cette enquête qui permettra de savoir par quel procédé tous ces permis incriminés ont été renouvelés et par qui?
Peut-on aussi s’interroger s’il existe un autre réseau mis en place comme sous le régime Tandja pour renouveler les permis miniers? La préoccupation mérite d’être posée surtout que le rapport des fédéraux souligne que dès le 16 mai 2011, un intermédiaire officiel N°1 a envoyé un e-mail à son complice N°3 pour lui dire qu’il pourrait organiser des rendez-vous avec le nouveau ministre nigérien des mines ou «toute autre personnalité sans exception quand vous le souhaitez». Et selon un autre e-mail échangé entre les deux personnes, le principe de renouvellement des 6 permis de (la société minière) a été accepté pour intervenir vers le 10 Septembre 2011. Selon l’enquête du FBI qui cite des documents d’entreprises et plusieurs e-mails échangés entre les intermédiaires durant la période de septembre 2011 à novembre 2012, la société incriminée a continué à avoir des relations avec certaines personnalités nigériennes.
A la lecture de ce qui précède, les autorités nigériennes doivent également collaborer avec la justice américaine pour tirer cette affaire au clair, à l’image des autorités guinéennes qui, dès la publication de ce rapport, se sont dites disposées à collaborer avec les enquêteurs américains pour l’éclatement de la vérité dans cette affaire.
La balle est donc dans le camp de la justice nigérienne et surtout du procureur de la République qui, au nom de la justice et de l’image du Niger, doit ouvrir une enquête pour situer les responsabilités. Dans un premier temps, il doit, comme lui a demandé le juge supérieur dans sa décision du 4 mars 2014, juger ceux qui ont fait de la corruption leur sport favori sous l’empire du « tazarché » et dont la plupart, pour échapper aux mailles du filet de la justice, ont très vite arboré les couleurs roses. Les regards sont donc tournés vers le magistrat suprême qui doit livrer son conseiller Mohamed Abdoulahi, mais aussi, instruire les services compétents pour diligenter une enquête pour connaitre qui sont les responsables nigériens qui ont renouvelé les 6 permis de la société corruptrice. «Il faut poursuivre l’enquête, car d’autres cas frauduleux ne sont pas exclus, 160 permis d’exploration ayant été attribués en un an et demi» soulignait à l’époque dans la presse, Kalla Ankouraou du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), à la suite de l’interpellation des spéculateurs des permis miniers en juin 2010. Aujourd’hui qu’ils sont aux affaires depuis bientôt six ans et à la lecture du bradage de la Société des Mines du Liptako (SML) à des nigérians, ajouté à bien d’autres affaires scabreuses qui n’ont rien à envier aux méthodes puantes des « tazartchistes », comme cette découverte d’un compte garni de plusieurs milliards d’un « renaissant » à l’extérieur, la question doit lui être retournée.
Moussa Aksar (L’Evénement no 894 du 05 septembre 2016)
Encadré
Arrêt n° 78 du 4 mars 2014 de la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Niamey non exécuté
Statuant en matière pénale en son audience ordinaire du 4 mars 2014 sur l’appel interjeté par le Procureur de la République, près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey contre la décision du 1er juge d’instruction dans l’affaire de «trafic d’influence, blanchiment de capitaux, favoritisme et corruption», impliquant les sieurs Ibrahim Hamidou et autres, la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Niamey a dit qu’il « existe charges suffisantes contre Ibrahim Hamidou et Oumarou Massalatchi du chef d’accusation de corruption, Mohamed Abdoulaye du chef de favoritisme ; Paul Kodjo Agboati du chef de blanchiment de capitaux ». Mieux, la Cour les a tous renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Niamey pour y être jugés de ces chefs d’accusation, en plus des autres infractions initialement retenues contre Ibrahim Hamidou et Hadiatoulaye Tandja dans l’ordonnance attaquée ».
Rappelons que c’est au courant de l’année 2010, suite à une inspection menée au ministère des mines, que des irrégularités ont été découvertes dans la procédure d’octroi de permis de recherches minières entre 2007 et 2008. Il ressort ainsi du rapport de cette vérification qu’il y avait eu de «pratiques de corruption, de favoritisme, de trafic d’influence et de blanchiment de capitaux, mettant en cause les nommés Ibrahim Hamidou, journaliste, Mohamed Abdoulaye, ancien Ministre des mines, Massalatchi Oumarou, ancien directeur des mines, Hadiatoulaye Tandja, fils de l’ex-président de la République et Paul Kodjo Agboati, directeur d’une société ».
Après une enquête préliminaire dont les mis en cause ont fait l’objet, ces derniers ont été déférés devant le doyen des juges d’instruction du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey qui, par le réquisitoire introductif en date du 18 juin 2010, demandait l’ouverture d’une enquête judiciaire contre les personnes citées plus haut des chefs d’accusation de «trafic d’influence, blanchiment de capitaux, favoritisme et corruption».
Pour le cas spécifique de Ibrahim Hamidou, il avait courant 2007-2008, usé de dons et présents qu’il remettait au Directeur des mines de l’époque, Oumarou Massalatchi, pour faire obtenir des permis miniers aux sociétés Afriressources et African Uranium.
Selon toujours le rapport d’investigation, « Oumarou Massalatchi, sachant pertinemment que Ibrahim Hamidou avait des demandes en traitement au ministère des mines, lui fournissait des informations sur le cadastre minier, et recevait de lui des cadeaux, et facilitait l’aboutissement de ses dossiers, alors qu’il ne le faisait pas habituellement pour les autres usagers du service public. L’enquête menée a permis aussi de découvrir que le ministre des mines de l’époque, Mohamed Abdoulaye avait instruit ses services à transmettre à Ibrahim Hamidou les coordonnées de certaines sites de recherches minières afin que ce dernier puisse déposer des demandes de permis sur lesdits sites aux noms des sociétés de recherches qu’il défendait.
En somme, des agissements contraires à la loi et qui ont pour noms, trafic d’influence, corruption et favoritisme.
… des délits punis par la loi
Le code pénal dispose à l’article 130 alinéa 1 que « sera puni d’un emprisonnement de deux a moins de dix ans et d’une amende de 50 000Fcfa à 100 000Fcfa, quiconque aura sollicité ou agréé des offres ou promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents pour :
1) étant investi d’un mandat électif, fonctionnaire public ou de l’ordre administratif ou judiciaire, militaire ou assimilé, agent ou préposé d’une administration publique ou d’une administration placée sous le contrôle de la puissance publique, ou citoyen chargé d’un ministère de service public, faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non, mais non sujet à salaire »
A l’article 131 la loi dispose que : Sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 50.000 à 1.000.000 de francs, toute personne qui aurait sollicité ou agréé des offres ou promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents, pour faire obtenir ou tenter de faire obtenir des décorations, médailles, distinctions ou récompenses, des places, fonctions ou emplois ou des faveurs quelconques accordées par l’autorité publique, des marchés, entreprises ou autres bénéfices résultant de traités conclus avec l’autorité publique ou, de façon générale, une décision favorable d’une telle autorité ou administration, et aura ainsi abusé d’une influence réelle ou supposée.
Toutefois, lorsque le coupable est une des personnes visées au paragraphe 1er du premier alinéa de l’article 130 et qu’il a abusé de l’influence réelle ou supposée que lui donne son mandat ou sa qualité, la peine de l’emprisonnement sera de deux à moins de dix ans ».
De même, à son alinéa 1, l’article 132 du code pénal a prévu que « Quiconque pour obtenir, soit l’accomplissement ou l’abstention d’un acte, soit une des faveurs ou avantages prévus aux articles 130 et 131, aura usé de voies de fait ou menaces, de promesses, dons ou présents ou cédé à des sollicitations tendant à la corruption, même s’il n’en a pas pris l’initiative, sera, que la contrainte ou la corruption ait ou non produit son effet, puni des mêmes peines que celles prévues auxdits articles contre la personne corrompue. Il ne sera jamais fait au corrupteur restitution des choses par lui livrées ou de leur valeur, elles seront confisquées au profit du Trésor ».
L’Evénement no 894 du 05 septembre 2016