De prime abord,la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) souhaite à la communauté musulmane un bon début de ramadan. Que ce mois béni soit un moment de recueillement, d’apaisement des cœurs et qu’il permette la pérennisation du dialogue interreligieux gage d’une coexistence pacifique, indispensable dans notre pays surtout depuis les événements malheureux des 16, 17 et 18 janvier 2015.
Conformément à sa mission constitutionnelle de « veiller à la promotion et à l’effectivité des droits et des libertés » sur toute l’étendue du territoire national, et en application des dispositions des articles 19, 20 et 21 de la Loi Organique 2012-44 du 24 aout 2012, la CNDH a:
– effectué du 17 au 25 mai 2015 à Diffaune mission afin de s’enquérir de l’évolution de la situation humanitaire et sécuritaire née des attaques du groupe terroriste Boko-Haram.
– mené le 28 mai 2015 des investigations au niveaudes locaux de la cellule antiterroriste à Niamey où étaient détenus les 7 chefs de village mis en cause pour complicité d’association de malfaiteurs en liens avec une entreprise terroriste ;
– enquêté du 15 au 18 juin 2015 à la Maison d’Arrêt de Kollo et à l’Hôpital National de Niamey pour déterminerles circonstances du décès du nommé Boulama MADAYE, Chef du Village de Dagaya II.
Par ailleurs, la CNDH s’intéresse de très près au processus électoral qui vient de démarrer avec le recensement des citoyens en âge de voter.
I. De la Mission de Diffa
Initialement, elle avait pour objectifs l’organisation d’un atelier de renforcement des capacités en Droits Humains et en Droit International Humanitaire à l’intention des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de Diffa etla visite des sites abritant les réfugiés, retournés et déplacés internes deN’Guigmi, Sayam Forage et Gagamari.
Eu égard au refus des Autorités de faciliter à la CNDH le libre accès aux sites et tout contact avec les FDS, la mission n’a pu organiserni la formation, ni les visites projetées sur le terrain. Elle s’était doncréduite à desimples séancesd’entretien sur place dans la ville de Diffa,avec les différents acteurs en présence du Gouverneur ou de ses représentants.
1. Les Entretiens avec les Acteurs
Il ressort de ces différents entretiens, la synthèse ci-après:
Sur le Plan Alimentaire, la région de Diffa connait depuis bientôt trois (03) ans une crise alimentaire récurrente liée aux inondationsdans la vallée de la KomadougouYobé et au déficit pluviométrique dans les zones dunaires. À cette situation est venue s’ajouter l’insécurité consécutive aux attaques de BokoHaram, entrainant un déplacement massif des populations et du bétail aggravant davantage la situation alimentaire et pastorale déjà préoccupante. Ce déplacement a également eu des conséquences sur la scolarisation des enfants, l’accès aux soins de santé et sur l’environnement.
Selon les informations recueillies à la date du 23 mai 2015, ce sont 42 îles qui ont été touchées dans le Département de Bosso avec 13.330 déplacés internes, accueillis sur le site de Yébi et 74 îles touchées à N’guigmi avec 16.307 déplacés internes et installés sur le site de Kimégana. En ce qui concerne la situation des habitants des îles du Tchad et du Nigéria ayant transité par le Niger, il a été dénombré 16.392 personnes dont 418 Nigériens, trois (3) Tchadiens, deux (2) Sénégalais, 143 Maliens et 15.826 Nigérians. Il est à noter qu’un autre site abritant des refugiés est installé à Sayam forage avec un effectif d’environ un (1) millier de personnes. En plus des efforts fournis par le Gouvernement, les acteurs humanitaires se sont déployés afin d’apporter aide et assistance à ces populations, en dépit des difficultés liées au contexte.
Sur le Plan Sécuritaire, l’instauration de la mesure de l’état d’urgenceet ses corollaires notammentle couvre-feu et l’interdiction de la circulation des engins à deux (02) roues ont permis de réduire la capacité de nuisance de BokoHaram ainsi que le phénomène de l’insécurité résiduelle.
Toutefois, certains acteurs ont déploré l’interdiction absolue de la commercialisation du poisson et du poivron, principales sources de revenus de la région dont le poivron à lui seul génère plusieurs milliards de FCFA par an.
Ils ont également relevé l’impact négatif des mesures restrictives d’approvisionnement en carburant destiné à l’alimentation des motopompes servant à l’exploitation des périmètres agricoles.
Enfin, d’autres participants ont manifesté leur mécontentement quant à la non représentation des élus au sein des différents Comités de Défense et de Sécurité mis en place.
2. Les Constats effectués par la CNDH
Au Plan Sécuritaire, comparativement à la première mission de la CNDH, effectuée en mars dernier, la situation sécuritaire s’est nettement améliorée et demeure sous contrôle. Au nombre des mesures prises par les Autorités Régionales, pour ramener le calme et la quiétude sociale dans la région, l’on peut citer :
– la restriction de la liberté d’aller et venir de 20H à 5H du matin ;
– l’interdiction de circuler sur tout engin (Moto) à deux (02) roues sur l’ensemble du territoire de la Région de Diffa ;
– l’interdiction de la pêche et de la commercialisation du poivron ;
– la réglementation de l’approvisionnement en hydro carbures ;
Toutefois, il est à signaler qu’aucun arrêté matérialisant ces mesures n’a été mis à la disposition de la mission, ni fait l’objet d’affichage au niveau du Gouvernorat de Diffa.
Au Plan Humanitaire, suite au communiqué du Gouverneur de la Région de Diffa, intimant aux populations des îles du Lac Tchad l’ordre d’évacuer les lieux dans un délai de quatre (04) jours, aucun plan d’évacuation et d’accueil des populations et de leur cheptel n’a été préalablement mis en place.
Cette situation a entraîné un immense désarroi occasionnant des pertes en vies humaines, l’abandon des biens sur place, ainsi que le déplacement des vaches Kuri, hors deleur environnement naturel, menaçant du coup leur survie.
Au plan judiciaire,il ressort des constatations que les interpellations sont opérées sans l’implication du Parquet d’Instance de Diffa. Elles sont parfois suivies de tortures et autres traitements inhumains et dégradants.
Les procès-verbaux d’enquêtes préliminaires sont souvent établis sur la base de simples dénonciations et délations, portant ainsiune entorse grave au principe de la présomption d’innocence.
Il résulte également de ces constations que les conditions de détention et de transfèrement des mis en cause sont inhumaines et contraires aux lois et aux conventions internationales régulièrement ratifiées par le Niger.
Des inculpés au nombre de 38, mis en liberté provisoire par le Doyen des Juges d’Instruction demeurent dans les locaux de la Cellule Anti-terroriste en attendant leur retour dans leur localité d’origine. Une telle situation,outre qu’elle est non statutaire,ne doit pas perdurer en ce qu’elle est contraire à la loi.
S’agissant du jugement des affaires liées au Terrorisme, les dossiers souffrent d’une lenteur judiciaire relativement excessive.
II. De la Mission de Kollo
Suite aux informations faisant état du décès du nommé Boulama MADAYE survenu le 11 Juin 2015 aux environs de 06H du matin à l’Hôpital National de Niamey (HNN),une mission d’investigation de la CNDH a été diligentée du Vendredi 12 au Lundi 15 juin à l’effet de s’enquérir des circonstances de son décès.
Il ressort que l’intéressé a été transféré le 28 mai 2015 de la Prison de Haute Sécurité de Koutoukaléà la Maison d’Arrêt de Kollo. Il s’était présenté à l’infirmerie le 31 mai 2015 et a reçu des soins avant d’être référé à l’Hôpital de District de Kollo le 2 juin 2015 où il sera hospitalisé pendant quatre (4) jours.
De retour à la Maison d’Arrêt de Kollo, il sera placé en observation durant (02) deux jours à l’infirmerie, avant d’être admis à l’Hôpital National de Niamey le 8 juin 2015. Son décès fut constaté le 11 juin 2015 des suites de la Méningite, par le Médecin Chef du Service Infectiologie dudit Hôpital. Il résulte de cette investigation que le nommé Boulama MADAYE n’a nullement subi des actes de tortures ou de sévices corporels et autres traitements inhumains ou dégradants. Il est à noter également que :
– quatre cas (4) de méningite ont été déclarés dont deux (2) décès à la prison ;
– 430 doses de vaccins ont été achetées ;
– 357 détenus BokoHaram ont été vaccinés sur une population carcérale totale de 632 détenus.
III. Du Processus Electoral en Cours
La CNDH se félicite du démarrage du recensement en vue des élections générales que le Niger s’apprête à organiser en 2016. L’établissement d’un fichier électoral fiable doit être un signe annonciateur de la tenue d’élections crédibles, honnêtes, transparentes et démocratiques. La CNDH aura un regard observateur alerte et vigilant tout au long du processus, c’est-à-dire avant, pendant et après les élections. Une fois de plus, elle lance un vibrant appel pour le renforcement d’un dialogue et d’un climat politiques apaisés. Il est de la responsabilité de chaque citoyen d’être soucieux de la quiétude sociale. Soucieuse de la réussite du processus électoral en cours, la CNDH est à pied d’œuvre pour l’envoi incessamment des missions d’investigation dans toutes les régions en vue d’enquêter sur la qualité du recensement électoral entamé par le Comité chargé du Fichier Electoral Biométrique (CFEB).
Enfin, au moment de l’élaboration de ce communiqué de presse, la CNDH vient d’apprendre avec stupéfaction et consternation que le groupe BokoHaram a encore attaqué dans la région de Diffa,plus précisémentdans les villages de Lamanaet Oulouwa dans la Commune Rurale de Geskérou. Ces attaques barbares ont occasionné une quarantaine de morts, plusieurs blessés, des dégâts matériels importants et des vivres emportés. La CNDH présente ses condoléances émues aux familles endeuillées et souhaite un prompt rétablissement aux blessés. Cette attaque démontre à suffisance la nécessité que chaque citoyen se transforme en sentinelle de la République pour soutenir les FDS dans leur noble et exaltante mission de sécurisation des populations et de leurs biens.
Fait à Niamey, le 19 juin 2015
Pour la CNDH
La Vice-Présidente
Madame SIDIKOU Fatoumata.