Passionnée de mode depuis sa tendre enfance, Samira Ousmane est aujourd’hui une styliste confirmée. Promotrice de la marque Samy Ben et adepte de développement personnel, Samira plaide pour l’indépendance économique de la femme nigérienne comme voie d’accès à la véritable autonomie. Entretien.
Niger Inter : Présentez-vous à nos lecteurs et internautes.
Samira Ousmane : Je me nomme Samira Ousmane, née le 05 Juillet 1987 à Niamey dans la capitale du Niger de père Haoussa et de mère Djerma. Je suis diplômée d’un bachelor en Airline Management obtenue en 2009 à Accra au Ghana. Je suis créatrice de mode autodidacte, fondatrice de la marque de mode Samy Ben depuis 2013. Je suis co-fondatrice et directrice de publication du premier magazine de la femme nigérienne La Nigérienne Mag et aussi Présidente fondatrice de l’association des jeunes femmes entrepreneures du Niger ‘’Smart Ladies’’.
Niger Inter : Comment êtes venu à la mode ?
Samira Ousmane : La mode est ma passion depuis ma tendre enfance, j’ai grandi aux côtés d’une mère amoureuse de ‘’fashion’’ et qui possédait une machine à coudre à la maison. A mes heures perdues, je m’amusais à monter sur sa machine pour raccommoder quelques habits, je remplaçais moi-même mes boutons mais par-dessus tout j’adorais dessiner mes habits et je m’intéressais beaucoup aux habits de stars américaines. Quand je partais chez mes couturiers, je leur dessinais exactement ce que je voulais, je pouvais même rester dans l’atelier pour suivre la coupe et la confection. J’ai grandi avec cette passion de la mode jusqu’en 2012, j’ai décidé de me lancer dans la vente de chemises pour hommes, chemises que je dessinais et envoyais à Abidjan en Côte d’Ivoire chez une styliste ivoirienne que j’ai rencontré quand j’étais encore étudiante à Accra. Elle me faisait aussi de belles coutures que tout le monde appréciait quand je les portais lors des cérémonies. Il y avait clairement un manque de couture bien faite à Niamey, j’ai alors saisi cette opportunité pour créer mon business en Juin 2013 et quelques semaines plus tard je me retrouve déjà sur le podium du plus grand festival africain de mode à présenter ma première collection de robes de soirées.
Niger Inter : Comment définissez-vous la mode ?
Samira Ousmane : La mode (vestimentaire) est la manière de s’habiller conformément aux besoins mais aussi aux règles d’une société ou d’une génération bien donnée. Pour moi, être à la mode c’est pouvoir s’habiller tout en étant à l’aise dans son corps et esprit. J’insisterai beaucoup sur le fait d’être à l’aise dans ce que l’on porte, il ne faudrait pas juste s’habiller pour s’habiller ou plaire aux autres, il faut que l’on soit soi-même à l’aise, éprouver une certaine jouissance dans son habit.
Niger Inter : La mode pour vous est-ce un métier ou une passion ?
Samira Ousmane : Les deux ! Ma passion a créé mon métier. La mode me passionnait depuis toute petite et aujourd’hui elle me nourrit.
Niger Inter : Avant de venir à la mode vous avez travaillé comme agent commercial à Air-France et Niger Air Cargo. Est-ce à dire que la mode nourrit son homme mieux que les agences de voyage ?
Samira Ousmane : Oui j’ai travaillé pendant trois ans dans le domaine de l’aviation et avant cela, j’ai eu à faire des stages dans des agences de voyage à Niamey et à Accra pendant mes vacances. J’ai étudié l’Aviation Management à Accra et je voulais avoir de l’expérience pour pouvoir ouvrir mon agence de voyage car j’ai des diplômes canadiens agréés IATA (International Air Transport Association). Cela m’aurait facilité l’accréditation pour émettre des billets. Une fois sur le terrain je me suis rendue compte que ce n’était pas chose facile mais surtout le trafic aérien nigérien est très faible et les agences de voyages et compagnies aériennes en souffrent. Quand j’avais pris la décision de me mettre à mon propre compte, j’ai naturellement choisi la mode car c’est un secteur prometteur et je voulais y apporter des idées nouvelles, de l’innovation pour se démarquer des sentiers battus.
Niger Inter : Il y a quelques années les défilés de mode ou FIMA (festival international de la mode africaine) suscitait beaucoup de contestations notamment par les associations islamiques qui considèrent que le Fima fait la promotion de la nudité de la femme. Avez vous des frictions dans ce sens avec votre milieu ?
Samira Ousmane : Je respecte beaucoup les opinions et avis des autres et surtout ceux des guides religieux mais, sans les offenser, je pense sincèrement que c’est un blocage et qu’on devrait voir la mode au-delà de ces considérations. Je ne dévoile aucune nudité féminine à travers mes collections. En tant que femme je respecte le corps humain féminin et le fait de la préserver. Aujourd’hui la mode va au-delà de la nudité, nous avons plusieurs styles dont celui des femmes voilées. Nous avons aussi des mannequins voilées et elles ne se sentent pas du tout dénudées dans les habits qu’elles portent. Tout est dans la tête. La mode est un secteur qui a de l’avenir en Afrique. Si nous prenons un peu plus au sérieux ce domaine, nous n’aurons rien à envier aux grandes marques occidentales.
Niger Inter : Vous êtes fondatrice de l’association dénommée Smart Ladies (NDLR : femmes intelligentes en anglais). Quel est l’objectif de votre association ?
Samira Ousmane : Smart Ladies a été créée dans le but d’encourager les femmes nigériennes à se lancer dans l’entreprenariat afin d’atteindre leur indépendance économique. L’idée de regrouper des jeunes femmes nigériennes leaders et/ou entrepreneures nous est venue en 2015 après une formation sur le business et le leadership féminin organisée par Airtel Niger. Nous avons alors créé un groupe facebook puis l’association en Mai 2016. Nous voudrions accompagner les femmes nigériennes, urbaines ou rurales, qui ont les meilleures idées de business, développer leur business à travers des formations et aussi un accompagnement financier. Nous visons surtout les jeunes femmes car plus de la moitié de la population du Niger est jeune. Nous voulons inculquer un esprit d’entreprenariat aux femmes nigériennes pour qu’elles s’habituent à être économiquement indépendante. A travers Smart Ladies nous voulons aussi vulgariser le leadership et l’entreprenariat féminin au Niger et en Afrique.
Niger Inter : Selon les statistiques au Niger la pauvreté est plus féminine que masculine. Comment inverser la tendance ?
Samira Ousmane : Aucun pays ne pourra se développer sans une implication totale des femmes, je le répète, nul développement sans la participation active des femmes. Nous devons briser les tabous et nous concentrer sur l’indépendance économique de la femme à travers l’entreprenariat. Les femmes doivent être impliquées dans les prises de décision tant au niveau politique, social qu’économique. Les candidatures féminines doivent être encouragées, et par-dessus tout, les hommes, nos pères, nos frères, nos maris doivent nous soutenir et nous accompagner dans notre quête d’autonomie, supprimer les ambiguïtés et les blocages qui freinent l’ascension des femmes nigériennes.
Niger Inter : Vous êtes également co-fondatrice du Magazine La Nigérienne Mag. Comment votre magazine aborde la condition féminine de la femme au Niger ?
Samira Ousmane : La Nigérienne Mag est un trimestriel qui traite des conditions des femmes nigériennes, nous l’avons lancé le 13 Mai dernier à l’occasion de la journée nationale de la femme nigérienne. Nous parlons de tout ce qui a trait à la vie de la femme nigérienne, nous avons des rubriques Actualités, Mode, Culture, Santé, Cuisine etc mais aussi et sourtout nous faisons un Zoom Sur et un portrait sur des femmes leaders qui influencent les nigériennes. Nous espérons qu’à travers ce magazine, nous briserons les tabous et les barrières que nous avons nous même créés et qui créent un sérieux blocage a l’épanouissement de la femme au Niger
Niger Inter : Vous venez de participer au programme du président américain Barack Obama pour les jeunes leaders africains (Young African Leadership Initiative ). Quelle appréciation faites-vous de cette initiative d’Obama ?
Samira Ousmane : Le YALI est une expérience à laquelle tout jeune, soucieux du développement de l’Afrique doit participer. J’ai passé 6 semaines de formation en business et entreprenariat dans la prestigieuse university of Texas dans la ville d’Austin. C’était pour moi un honneur de représenter mon cher pays parmi 24 autres jeunes leaders africains venus de 18 pays de l’Afrique subsaharienne, C’est une expérience inoubliable, des moments intenses, des nuits blanches, des périodes de stress, de dépassement de soi, de leadership, de service rendu mais aussi beaucoup de don de soi qui nous ont permis de nous en sortir grandis et enrichis. Aujourd’hui j’appréhende mieux la vie côté positif et je ne ménage aucun effort à donner le meilleur de moi en toute circonstance afin non seulement d’atteindre mes objectifs les plus chers mais aussi aider les autres à grandir. Je ne cesserai de remercier le président américain, notre frère africain (comme il aime le dire) pour cette initiative du Yali qui contribuera sans nul doute au développement de notre continent. L’Afrique a besoin de nous, il est temps de changer les choses.
Niger Inter : En tant que jeune leader êtes-vous intéressée par la politique pour contribuer au développement intégral du pays ?
Samira Ousmane : (Rires). Pas vraiment, contrairement à ce que mon entourage pense je ne suis pas intéressée par la politique et je suis de ceux qui croient qu’on peut faire beaucoup et mieux sans être partisan politiquement parlant. Pour le moment je me concentre sur les préoccupations de mes consœurs, jeunes femmes à changer les choses au Niger et si un jour je dois faire la politique, je me focaliserai encore sur les conditions des femmes. Je suis bien là où je suis, le plus important c’est de rendre notre Niger meilleur, émergent et prospère.
Niger Inter: Citez 3 leaders politiques nigériens qui incarnent les valeurs des leaders modèles selon vous ?
Samira Ousmane : Avec tout le respect que je leur dois, je ne vois aucun leader politique nigérien, depuis notre soi-disant indépendance à nos jours, qui soit un modèle pour moi. Grace à eux, aujourd’hui quand je regarde mon Niger et que je le compare à un pays voisin (pour ne pas sortir de l’Afrique) Je ne peux qu’avoir mal. J’ai mal, très mal, de voir mon pays classé dernier chaque année dans les statistiques des Nations-Unies. Pourquoi? Pourquoi toujours dernier?
Niger Inter : Quelles sont les trois femmes d’ici ou d’ailleurs que vous trouvez inspirantes ?
Samira Ousmane : Ma mère et ses sages paroles de prières et de bénédiction est ma première inspiration.
L’une des femmes qui m’a beaucoup inspirée est Madame Hassana Alidou, ambassadeur du Niger aux USA et aussi sa jumelle Ousseina que je trouve également attachante. Elles ont une histoire inspirante et valorisent les couleurs du Niger aux Etats Unis.
La deuxième est cette libérienne, Leymah Roberta Gbowee, femme battante et présidente de Women of Liberia Mass Action for Peace.
La troisième est la première dame des Etats Unis, Michelle Obama. C’est incroyable la manière dont cette femme allie intelligence, grâce et beauté. Elle réincarne le dicton selon lequel : « derrière chaque grand homme se trouve une femme de fer ».
Niger Inter : Peut-on savoir au moins trois livres qui ont influencé votre vision du monde ?
Samira Ousmane : Ce ne sont que des livres de développement personnel, j’avoue que je n’ai pas beaucoup de temps pour la lecture maintenant, ce sont des livres qui m’ont d’abord aidée à me remettre en cause puis à changer ma manière de penser. Le premier s’intitule La Puissance de la Pensée Positive, le deuxième c’est Rompre avec soi-même pour se créer à nouveau et le troisième La Voix de l’intuition. Je suis aussi fan de toutes les citations inspirantes.
Niger Inter : Quelles sont les contraintes de la vie professionnelle de la jeune entrepreneure que vous êtes ?
Samira Ousmane : Mes contraintes sont principalement liées au manque de professionnalisme dans la gestion du temps dans nos pays, un problème africain dirait-on, ça nous met beaucoup en retard, ça perturbe nos business, nous perdons du temps pour rien alors que l’on peut faire le double de ce que nous faisons quotidiennement si on a cet esprit de gestion du temps.
Il y a aussi le manque de mains d’œuvre, triste réalité, la jeunesse n’aime pas travailler et surtout les jeunes filles. Je me suis faite le challenge de composer une équipe 100% féminine mais hélas j’en souffre tout le temps. Il faut toujours courir derrière elles pour qu’elles s’intéressent à ce que tu leur propose alors que c’est tout à leur avantage. Vivement pour un changement de mentalités !
Niger Inter : Avez-vous un conseil aux autres jeunes nigériens sur le succès ?
Samira Ousmane : Seul le travail paie, il n’y a pas de raccourci, armez-vous de courage et battez-vous pour ce que vous désirez. Priez sans cesse. Rêvez grand mais commencez petit.
Niger Inter : Comment être excellent dans son entreprise ?
Samira Ousmane : Etre persévérant dans tout ce que l’on fait, ne pas avoir peur de commettre des erreurs ou échouer. Beaucoup de concentration, d’amour du travail, de courage et de positivité. Je finirai en citant Didier Court: « Travail avec Courage et persévérance car la ténacité permet d’atteindre l’excellence ».
Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane et Abdoul Aziz Moussa