Parmi les défis contemporains, la cybercriminalité est à prendre très au sérieux. Les hackers, les cybers escrocs ou ‘’brouteurs’’ comme les experts les surnomment constituent une menace réelle. Que de victimes anonymes de ceux qui utilisent la technologie de pointe pour perpétrer leurs crimes en tout genre ! Pour comprendre ce phénomène qu’est la cybercriminalité, Le Républicain a rencontré un expert nigérien, M. Harouna Moumouni Ingénieur en informatique et réseaux – Master of Science en Systèmes, Réseaux et Sécurité – Master en Gestion de Projet. Très précis, ses conseils constituent pour chacun et tous une précaution pour prévenir la cybercriminalité. Entretien.
« 150 millions de mails sont envoyés chaque jour par les cyber-délinquants à travers le monde et 80 000 personnes se font avoir chaque 24H », déclare l’informaticien Harouna Moumouni
Le Républicain : qu’est-ce que la cybercriminalité ?
Harouna Moumouni : La chance peut décider de sourire à n’importe quelle période de la vie d’un individu ; c’est alors qu’on peut recevoir un beau matin un courriel annonçant que vous avez été tiré au sort à une loterie à laquelle vous n’avez jamais joué, ou encore cette veuve qui vous contacte pour vous annoncer son cancer en phase terminale et son vœu de faire de vous son légataire. Il ne faut surtout pas perdre de vue qu’à côté de la chance, le sort peut décider de s’acharner sur vous pour vous faire comprendre et de la plus belle manière que le gout du gain facile ne pourra que causer votre ruine. 150 millions de mails sont envoyés chaque jour par les cyber-délinquants à travers le monde et 80 000 personnes se font avoir chaque 24H.
A l’ère de la société de l’information, Internet ne cesse de gagner en influence dans notre société. L’arrivée des Smartphones bon marché et les possibilités de forfait Internet qu’offrent les opérateurs de téléphonie mobile au Niger ont fait exploser le taux de pénétration des TICs. Les récents progrès dans le domaine et leur convivialité encouragent chacun à les exploiter de manière quotidienne. Internet est devenu un outil adapté à des usages aussi divers et variés que l’édition, l’éducation, le commerce, les réseaux sociaux, la messagerie, les médias, ainsi que d’autres activités des individus et des entreprises.
L’informatique qui était jadis réservée à une catégorie restreinte de personnes est devenue un outil de prédilection pour la communication et surtout le maintien de contact entre les hommes et femmes partageant les mêmes centres d’intérêt sociaux, culturels ou économiques.
Les moyens de communiquer et d’échanger de l’information évoluent et avec ceux-ci apparaissent des phénomènes nouveaux qui ne cessent de se complexifier, telle la cybercriminalité.
La cybercriminalité peut être définie comme une « infraction pénale susceptible de se commettre sur ou au moyen d’un système informatique généralement connecté à un réseau ».
Il s’agit donc d’une nouvelle forme de criminalité et de délinquance qui se distingue des formes traditionnelles en ce qu’elle se situe dans un espace virtuel, le « cyberespace ». Depuis quelques années la démocratisation de l’accès à l’informatique et la globalisation des réseaux ont été des facteurs de développement du cyber-crime.
Il est possible de catégoriser les cyber-infractions en deux grandes familles :
- Les infractions contre les systèmes parmi lesquelles se comptent les atteintes aux systèmes de traitement automatisés des données,
- Les infractions facilitées par les NTICs que sont les escroqueries en ligne, le blanchiment d’argent, la contrefaçon ou toute autre violation de propriété intellectuelle ; ils forment 90% des infractions.
La cybercriminalité cause des pertes financières de l’ordre de 40 milliards de dollars chaque année dans le monde. Profitant du vide juridique sur les cyber-crimes dans la plupart de nos états et de l’inexistence de véritables dispositifs capables de traiter les infractions commises afin d’en rechercher les auteurs pour leur faire subir les rigueurs de la loi, plusieurs typologies d’infractions ont été développées par les cyber-délinquants qui les améliorent et les adaptent aux moments et à leurs audiences (victimes). Le Niger est en train de devenir un eldorado de la cybercriminalité.
Le Républicain : Quels sont les différents modes opératoires des cyber escrots?
Harouna Moumouni : Parmi les cyber-infractions les plus courantes, on peut retenir :
- Le chantage à la webcam: C’est lui qui fait le plus parler de lui ces derniers temps au Niger avec son lot de victimes dans toutes les sphères de la Société. Tout y passe, des hauts fonctionnaires aux hommes d’affaires sans oublier le citoyen moyen qui découvre souvent l’internet à travers les réseaux sociaux (surtout Facebook). Cette escroquerie consiste pour le cyber-délinquant à :
- Contacter sa future victime via les réseaux sociaux à partir d’un faux profil ;
- Etablir une relation de confiance au fil des discussions ;
- Proposer à la victime de passer sur un service permettant la visiophonie par webcam ;
- Favoriser une conversation vidéo plus intime puis profiter pour capturer le flux vidéo des images susceptibles de porter atteinte à la vie privée de la victime ;
- Ensuite changer carrément de ton en devenant violent verbalement et menaçant ;
- Demander de fortes sommes d’argent à la victime en menaçant de diffuser ces vidéos sur internet (Facebook, Youtube …).
- Arnaque à l’héritage: Ce procédé d’arnaque débute généralement avec la même histoire : Un très riche étranger est mort et votre aide est demandée pour une transaction bancaire et / ou partager de la fortune. Ils procèdent le plus souvent de la manière suivante :
- Vous recevez un mail d’un étranger qui demande votre aide pour transférer de grosses sommes d’argent, souvent des millions de dollars ou d’euros, à votre compte bancaire;
- Un pourcentage alléchant pouvant atteindre jusqu’à 20% vous est proposé, en échange de très peu d’effort de votre part : il vous suffit de fournir des précisions sur votre compte bancaire ;
- Il peut vous être demandé d’agir à titre de fiduciaire ou d’héritier de la fortune d’une personne décédée perdu de vue depuis longtemps ;
- L’adresse d’un site web confirmant le décès tragique d’une personne fortunée peut même vous être indiquée pour vous rassurer ;
- La fortune en question peut se présenter en espèce, conservée dans un coffret de sûreté, pour lequel il existe un certificat de dépôt ;
- Le message peut avoir des connotations politiques ou faire allusion à un diplomate à l’étranger qui négociera le transfert de fonds, souvent par un moyen détourné ;
- Un numéro de téléphone à l’étranger peut vous être proposé afin de vous demander de préciser si vous êtes intéressé ou non. D’autres mesures seront alors prises au cas où vous décidez de ne pas participer.
- Arnaque à la loterie: Le schéma d’une arnaque à la loterie est assez simple : Vous recevez un mail d’un inconnu se disant représentant d’une grosse société internationale ou d’une importante structure située à l’étranger qui a organisé une tombola dont vous venez de gagner un lot (pas forcément le premier prix d’ailleurs). Il vous invite à prendre contact avec lui pour procéder à la remise du gain. Si vous répondez, il vous sera demandé de verser une avance pour payer les frais de dossier. Et si vous versez cette somme d’argent, vous n’aurez plus de nouvelles de votre contact et bien sur vous ne recevrez jamais votre lot. D’ailleurs on peut se demander pourquoi il fallait verser des frais alors que le montant du lot pouvait facilement les couvrir : Pourquoi verser 500€ de frais si vous aviez gagné 100 000€. Autant vous faire gagner 99 500€ !
- Arnaque aux faux sentiments: Lorsque nous fréquentons des sites de rencontre, l’une de nos principales préoccupations est de savoir si notre interlocuteur est réellement ce qu’il prétend être. Un doute légitime. En effet, il est de plus en plus récurrent de constater que des escrocs créent de faux profils et apprennent à connaître leurs proies en créant un lien de confiance. Une fois la confiance établie, ils vous demandent d’envoyer de l’argent, et quand vous le faites, s’ils ne disparaissent pas avec votre argent, c’est le début d’un cercle vicieux.
- Voici quelques signes qui indiquent que quelqu’un est intéressé par votre argent :
- Il ou elle vous demande de déplacer des conversations vers des adresses e-mail personnelles ou vers la messagerie instantanée.
- Il ou elle exprime ses émotions immédiatement.
- Il ou elle utilise un événement tragique ou d’autres malheurs comme une excuse pour ne pas se présenter à votre rendez-vous ou pour ne pas vous rencontrer.
- Il ou elle vous demande de l’aide pour les factures de soins médicaux, pour une question financière, pour des billets d’avion ou d’autres situations personnelles.
- Il ou elle affirme être de la même région, ville ou pays, mais est toujours en voyage d’affaires.
- Fraude sur porte-monnaie électronique (paiement par téléphone mobile) : Il s’agit d’une arnaque qui a de multiples procédés :
- Un appel ou un SMS est émis par le cybercriminel à l’endroit de la victime lui demandant de faire une syntaxe pour bénéficier d’un bonus.
- Un appel est émis par le cybercriminel demandant à la victime de composer une syntaxe pour valider la réception de son transfert.
- A l’insu de la victime le cybercriminel procède à la désactivation et à la réactivation de la carte SIM de la victime pour un contrôle absolu de son compte.
Le Républicain : Quelle attitude pour les enfants?
Harouna Moumouni : Dans le monde virtuel d’Internet, les enfants sont particulièrement vulnérables et peuvent entrer en relation avec des adultes qui cherchent à lier des relations d’amitié avec eux en intervenant sur les plateformes, les forums, les réseaux sociaux ou les jeux en ligne, avec l’objectif, parfois, de commettre des abus sexuels, escroqueries, arnaques, etc.
Il faut alors contrôler l’usage qu’ils peuvent être emmenés à faire de leurs smartphones ou des dispositifs internet installés dans les domiciles.
Malheureusement la lutte contre la cybercriminalité n’est pas aisée. Il existe plusieurs obstacles juridiques et non juridiques à cette lutte. En premier lieu, le caractère vaste des réseaux informatiques, mais aussi la rapidité de commission des infractions, la difficulté de rassembler des preuves, et enfin des méthodes d’investigation et de contrôle qui peuvent se révéler attentatoires aux droits fondamentaux, en particulier au droit à l’anonymat et à la liberté d’expression.
En effet, la cybercriminalité « bouleverse le principe classique de la territorialité de la loi pénale ». Il faut alors lutter chaque jour contre les paradis juridiques « cyber paradis », pour une meilleure efficacité du droit relatif à la cyber criminalité.
Une autre difficulté dans la lutte contre la cybercriminalité est la rapide diffusion de nouvelles techniques de hacking, la réduction des coûts de l’activité criminelle et enfin la réduction des connaissances requises pour devenir un cybercriminel.
Les communautés en ligne de cybercriminels contribuent au développement du cyber-crime, fournissant des astuces, techniques, outils clefs en main et proposant même dans certains cas du tutorat de débutants désireux de devenir des cybercriminels.
La cybercriminalité est reconnue par beaucoup d’experts comme étant la nouvelle forme de criminalité du XXIe siècle. Dès lors pour la contrôler, les pays doivent mettre en place des dispositifs de contrôle, d’investigation et de répression des crimes commis par voie des NTICs car au-delà des impacts économiques directs, ils nuisent à la réputation des individus et du pays qui pourra se voir isolé dans le domaine des échanges commerciaux en ligne.
Dans la lutte contre le terrorisme qui est d’actualité aujourd’hui, un cyberespace non contrôlé sera propice à l’installation d’un espace de planification et de logistique en vue de commettre des attaques sur le terrain ; appuyé par une propagande et le recrutement de combattants qui se fait via les réseaux sociaux ou autres canaux.
Notre pays doit emboiter le pas à la Cote d’Ivoire qui a mis en place la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité qui est une cyber-police qui mène une lutte sans merci contre « les brouteurs ».
Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane
(Le Républicain No 2090)