À quatre mois de l’élection présidentielle au Niger, l’ancien Premier ministre Amadou Boubacar Cissé s’est déclaré candidat face à Mahamadou Issoufou. Quittant la coalition présidentielle, il affirme s’élever contre les tentations hégémoniques du parti au pouvoir. Il s’explique dans un entretien à Jeune Afrique.
En conflit avec Hassoumi Massaoudou, ministre de l’Intérieur, hostile à Mohamed Bazoum, président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, Amadou Boubacar Cissé a claqué la porte de la coalition présidentielle en septembre. Ancien Premier ministre, plusieurs fois ministre et déjà candidat en 2011, cet économiste de 67 ans, passé par la Banque mondiale et la Banque islamique de développement, a annoncé qu’il porterait lui-même la candidature de son parti, l’Union pour la démocratie et la République (UDR-Tabbat), à la présidentielle de février 2016.
Une façon de chercher à faire échec à la volonté de Mahamadou Issoufou de se faire réélire, comme ses voisins guinéens et ivoiriens, au premier tour. Un moyen, surtout, d’échapper à la phagocytose du PNDS. « Une question de survie », explique l’intéressé, que ses détracteurs estiment responsable d’un « surendettement » du pays. Pour Jeune Afrique, celui qui se voit davantage comme un technocrate qu’un politicien explique ses motivations et répond aux attaques dont il fait l’objet.
Jeune Afrique : Quelles sont les motivations de cette candidature ?
Amadou Boubacar Cissé : Cela fait longtemps que je suis dans la politique nigérienne et j’ai eu également une longue carrière à l’internationale, lors de laquelle je suis revenu plusieurs fois au pays « en pompier », pour résoudre des difficultés économiques. Il y a eu beaucoup de succès mais aussi nombre de frustrations, notamment depuis que nous travaillons dans une coalition. Je me suis rendu compte que le PNDS avait des velléités d’hégémonie et que, pour lui, la coalition devait progressivement s’effacer à son profit. Cela n’était pas mon intention et, quand le président m’a demandé de le soutenir dès le premier tour, en tant que candidat de son parti et non d’une coalition, j’ai refusé.
Mahamadou Issoufou n’a donc pas voulu envisager une candidature de coalition ?
Non. Et accepter de suivre une candidature au nom du PNDS signifiait pour moi accepter que tous les partis de la coalition lui étaient inféodés. Nous avons le droit d’exister et de nous exprimer. De plus, le président Issoufou a voulu coupler les élections législatives et présidentielle. La rupture était alors évidente : nous, partis alliés, ne pouvions pas dire à nos électeurs, le même jour : « Votez pour Issoufou à la présidentielle et votez pour mon parti aux législatives ». La première consigne aurait primé et le PNDS aurait tout raflé. Pour mon parti, c’était une question de survie.
Cela veut-il dire que votre parti quitte officiellement la coalition présidentielle ?
Oui. C’est l’aboutissement de quatre ans de frictions au sein du gouvernement. Mahamadou Issoufou a voulu, de la même manière qu’il l’a fait avec l’opposition, créer des dissensions au sein des partis alliés. Je suis pour le moment le seul à avoir dit non et à affirmer ma volonté d’être présent au premier tour. Le réalisme aurait voulu que le président en prenne acte et envisage un rassemblement au second tour, mais ce n’est pas sa stratégie.
Le peuple est assez mûr et déterminé pour stopper toute tentative de passage en force
Il espère aujourd’hui l’emporter au premier tour…
Je ne peux pas imaginer qu’il réussisse. Sa cote de désamour auprès des Nigériens ne le lui permettra pas. Le peuple est assez mûr et déterminé pour stopper toute tentative de passage en force.
Contestez-vous la fiabilité du fichier électoral ?
Il est clair que, dans certaines régions, et notamment dans mon fief, des villages de plusieurs centaines d’habitants ont été sous-évalués. Par endroit, moins de dix électeurs ont été comptabilisés. Le pouvoir a délibérément ignorer certaines zones qu’il pensait défavorables. C’est un problème réel et nous demandons que ces manquements soient pris en compte afin de nettoyer le fichier. Mais, dans tous les cas, nous ne sommes pas dans une stratégie de boycott. L’important est d’aller aux élections.
Vous avez été ministre d’État sous Mahamadou Issoufou. Comment vous positionnez-vous face à son bilan, qui est donc un peu le vôtre ?
Je défends d’abord la politique économique que j’ai en partie menée et qui a eu la capacité d’assurer la confiance de nos partenaires extérieurs. Mais, au-delà, il faut comprendre que l’on m’a posé des limites. J’ai pu obtenir beaucoup de ressources mais leur utilisation n’a pas été à la hauteur, pour des raisons politiciennes dont le PNDS est responsable. Je suis également d’accord avec Mahamadou Issoufou sur le fait qu’il faut donner la priorité à la sécurité et à l’existence du Niger comme un îlot de paix dans la région. Mais nous aurions pu mieux préparer nos forces armées. Pour des raisons de gestion interne, elles n’ont pas les ressources dont elles devraient disposer.
Nous devons mieux traiter, mieux équiper, mieux former nos armées
Estimez-vous, comme Hama Amadou, que le Niger n’est pas en sécurité ?
Non. Le Niger est en sécurité. Certes, nous devons mieux traiter, mieux équiper, mieux former nos armées et mutualiser nos efforts avec les forces amies présentes sur notre sol. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès.
Le gouvernement est-il selon vous efficace dans la lutte contre Boko Haram ?
Le discours est en tout cas excellent. Mais les faits sont en-deçà : encore une fois nos forces armées devraient bénéficier de moyens plus importants.
L’armée est-elle selon vous suffisamment représentative de la nation nigérienne et notamment des populations du Nord ?
Je ne crois pas qu’il y ait de problèmes particuliers à ce sujet dans l’armée, dont plusieurs haut-gradés viennent du nord du pays. Ceci dit, il faut qu’elle, ainsi que toutes les institutions de la République, reflète la volonté de faire travailler tous les Nigériens ensemble, sans discrimination. Mais il ne faut pas la singulariser.
Au niveau de l’économie, le président avait promis de grandes réalisations au niveau des infrastructures. A-t-il réussi son pari ?
Beaucoup de ressources ont effectivement été mobilisées pour des infrastructures, mais la manière de les utiliser a posé problème. Nous avions un plan, qui devait assurer la cohérence des réalisations, mais il n’a pas été suivi. Certains ont préféré privilégier des considérations politiciennes, sur instruction directe du président. Résultat : les investissements réalisés ne l’ont pas été de manière optimale, notamment dans le secteur routier ou dans le dossier Bolloré par exemple.
Les accords passés avec le groupe Bolloré méritaient d’être négociés davantage
Justement, sur le dossier Bolloré, vous avez des désaccords avec le président et le ministre de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou, qui a même pris publiquement position contre vous. Quelle est votre sentiment sur ce point ?
Comme vous l’avez dit, Hassoumi Massaoudou est ministre de l’Intérieur. Il n’avait a priori pas grand-chose à voir avec le dossier Bolloré. S’il est intervenu, c’est en service commandé. Le dossier devait être directement traité par le président et moi-même et nos divergences n’ont jamais été cachées. Personnellement, je pense que les accords étaient déséquilibrés. Ils méritaient d’être négociés davantage.
C’est-à-dire ?
Je ne peux pas aller plus loin sur cette question.
Les accords avec Areva méritent-ils également d’être revus ? Le Niger concède-t-il trop d’avantages à l’entreprise française ?
Areva est notre partenaire traditionnel et obligé. Mais, oui, nous devons veiller à ce que les rapports soient plus équilibrés et plus bénéfiques pour le Niger. Il est important de revoir certains points de nos accords et de réduire certains déséquilibres.
La COP21 approche, à Paris. L’environnement fait-il partie de vos considérations ?
Oui. Je pense que c’est une question importante, pour le cas du Niger en particulier. On connaît les conséquences de l’avancée du désert notamment. S’intéresser à l’environnement, au même titre qu’à la démographie, n’est pas une mode. C’est une nécessité aujourd’hui pour notre pays.
La dérive autocratique du président et de son groupe est un facteur d’instabilité
Estimez-vous, comme nombre d’observateurs l’ont déclaré, que le président utilise un climat sécuritaire pour museler les contestations ?
Oui. Il utilise ce climat et l’appareil de l’État pour empêcher certains Nigériens de s’exprimer. Vous voyez bien la violence des attaques dont je fais l’objet. Toutes les personnes qui se réclament de moi ont été l’objet d’une véritable chasse à l’homme dans l’administration. Mahamadou Issoufou doit comprendre que la stabilité n’est pas seulement l’affaire des urnes. C’est aussi un climat apaisé et respectueux des forces politiques entre elles. La dérive autocratique du président et de son groupe est un facteur d’instabilité.
Votre discours se rapproche de celui de la société civile. Quels rapports entretenez-vous avec elle ?
La société civile fait partie du jeu et je la respecte en tant qu’acteur. Mon objectif est de me placer au centre, ni avec le pouvoir, ni avec l’opposition, mais dans une posture de rassemblement avec ceux qui veulent construire le Niger.
Est-ce votre limogeage du gouvernement, comme certains l’ont affirmé, qui a motivé votre candidature ?
Bien sûr que non. Ma candidature est préparée de longue date. J’aurais d’ailleurs pu démissionner mais je ne l’ai pas fait pour montrer que la rupture venait du PNDS et pas de moi. C’est, au contraire, le fait d’avoir dévoilé ma volonté d’être candidat qui a causé mon départ et celui des ministres de mon parti. Les responsables du PNDS ont pris la décision de se séparer d’un groupe allié qui ne souhaitait pas s’aligner sur la pensée unique.
Votre altercation, en conseil des ministres, avec le Premier ministre, n’a donc rien à voir avec votre décision ?
Non. Ce « clash » n’était que le résultat de plusieurs mois de désaccord avec le Premier ministre et le président sur la gestion gouvernementale. Pour moi, être chef du gouvernement ne veut pas dire s’ingérer en permanence dans le portefeuille des ministres pour donner des injonctions et des orientations politiciennes.
Vos détracteurs affirment également que vous vous prémunissez de possibles poursuites judiciaires et d’accusation de surendettement de l’État.
C’est vraiment de la désinformation. Je n’ai aucune raison de craindre des poursuites. Le Niger n’est pas surendetté, comme le prouvent les analyses de l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest africaine, NDLR] de la Banque mondiale ou du FMI. Surtout, ma gestion est parfaitement transparente. Je mets au défi quiconque de faire un audit général de tous les ministères. Je suis d’ailleurs certains que beaucoup ont plus de raisons de s’inquiéter que moi.
Ces accusations seraient donc purement politiques ?
Certains, comme Mohamed Bazoum, utilisent les propos outranciers en permanence et aimeraient sans doute, dès qu’un potentiel candidat se précise, le prendre dans des tourments judiciaires ou financiers. Mais Mahamadou Issoufou n’espère tout de même pas être le seul candidat à la présidentielle ? Il ne peut pas continuer, en se disant démocrate, à utiliser l’appareil de l’État contre ceux qui voudraient lui faire face. Désinformation, intimidation, répression… Voilà le quotidien de tous ceux qui veulent se mettre sur la route du PNDS. Mais je suis persuadé que, si le président tente de passer en force, les Nigériens lui barreront la route.
Que pensez-vous de la candidature de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Hama Amadou ?
Pour moi, il est un candidat comme un autre. En tout cas, j’espère qu’il sera en mesure de l’être. Toutefois, je ne pense pas qu’Hama Amadou serait menaçant pour moi. Il a perdu beaucoup de soutien populaire en raison de son exil.
Hama Amadou, pas menaçant donc. Mais menacé ?
Il a probablement des raisons de se sentir menacé. L’ensemble de la classe politique pourrait d’ailleurs avoir des raisons de se méfier du parti au pouvoir. Le comportement que le PNDS a eu n’est évidemment pas propice à un climat apaisé entre les différentes forces politiques.
Allez-vous tenter de fédérer d’autres déçus de la mouvance présidentielle ?
J’entretiens de très bons rapports avec l’essentiel des leaders de partis de la mouvance présidentielle, mais également avec des membres de l’opposition. Je pense que le PNDS est en position, aujourd’hui, de faire l’unanimité contre lui. Beaucoup de formations membres de la coalition actuelle pourraient être tentés de faire cavaliers seuls. Mais je suis persuadé que je serai le principal challenger de Mahamadou Issoufou et du PNDS pour cette présidentielle. D’ailleurs, les attaques dont je fais l’objet ne font que le confirmer.
Jeune Afrique