À quatre mois de la présidentielle, le chef de l’État défend son bilan… contesté par les leaders de l’opposition. Mais c’est sur le terrain social que les uns et les autres vont devoir convaincre et muscler leurs programmes.
Comment gérer un pays dont le taux de natalité – 7,6 enfants par femme – est le plus élevé au monde et « mange » tous les ans quatre points de croissance ? Comment défendre un bon bilan économique quand l’uranium et le pétrole, deux des principales sources de revenus du pays, sont frappés par une baisse historique de leurs cours sur le marché mondial ? Ce sont deux des défis que tente de relever le chef de l’État nigérien, Mahamadou Issoufou, quelques mois avant la présidentielle, dont le premier tour est fixé au 21 février 2016.
Dans l’opposition, l’ancien président Mahamane Ousmane assène : « J’ai beau chercher, me montrer indulgent, je ne vois rien de positif. » Tandis que l’ex-Premier ministre Hama Amadou, qui vit en exil en France depuis plus d’un an, dénonce « la corruption généralisée » et « la gestion sectaire » du pays. « Si vous n’êtes pas du parti au pouvoir, vous n’avez aucun droit, dit-il. Le Niger est une poudrière sociale. » Réplique du président sortant : « C’est l’inverse de la réalité ! Lorsque je suis arrivé aux affaires, le Niger était 134e du classement de Transparency International. Nous avons gagné 31 places depuis. Et nous allons continuer. Mon objectif, c’est la corruption zéro. »
Areva et la construction d’infrastuctures, deux points positifs du bilan d’Issoufou
Pour Mahamadou Issoufou, l’une des étapes les plus importantes de son quinquennat a été ce jour de mai 2014 où son gouvernement a signé un nouvel accord avec Areva sur l’uranium. Depuis la catastrophe de Fukushima, au Japon, et la chute des cours de la précieuse poudre jaune, le groupe nucléaire français songeait à se désengager du Niger au profit du Canada et du Kazakhstan. Fort de sa vielle camaraderie socialiste avec son homologue français François Hollande, le chef de l’État nigérien, qui a été ingénieur des Mines dans une « autre vie », s’est alors appuyé sur l’Élysée pour tordre le bras à Areva.
Résultat : le groupe français reste à Arlit, au Nord-Niger, et accepte enfin de se soumettre – à certaines conditions, il est vrai – aux dispositions fiscales du code minier de 2006. Un sérieux bémol tout de même : la mise en exploitation du site géant d’Imouraren est renvoyée aux calendes grecques.
Autre aspect de son bilan que le président nigérien aime à défendre : la réalisation de nouvelles infrastructures. « J’ai un programme, je le mets en œuvre. Ceux qui me critiquent aujourd’hui n’en ont aucun, lance-t-il. J’ai promis aux Nigériens de faire des routes, le chemin de fer… Ils sont en cours », martelait-il dans une interview à Jeune Afrique il y a quelques semaines.
Pouvoir et l’opposition sont d’accord sur la nécessité de construire une voie ferrée Niger-Bénin, mais pas sur le bout par lequel commencer…
Commentaire acerbe de l’opposant Hama Amadou : « J’aurais compris que le tronçon entre Parakou [au Bénin] et Niamey soit construit en priorité parce que ça rapprochait les marchandises transportées depuis le port de Cotonou. Mais le tronçon entre l’aéroport de Niamey et Dosso, ce n’est pas un train, c’est une mystification, une duperie. » En fait, le pouvoir et l’opposition sont d’accord sur la nécessité de construire une voie ferrée Niger-Bénin, mais pas sur le bout par lequel commencer…
Issoufou dictateur vs Issoufou démocrate ?
Y a-t-il un paradoxe Mahamadou Issoufou ? Un décalage entre son image à l’étranger – celle d’un vrai démocrate et d’un rempart contre les jihadistes – et son image à l’intérieur du pays ? C’est ce que veut croire l’opposition. Ainsi Hama Amadou, qui est poursuivi depuis un an par la justice nigérienne dans une sombre affaire de trafic de bébés nés au Nigeria, tente-t-il de mobiliser l’opinion en se posant comme la victime d’un complot ourdi par le « dictateur » Issoufou. Auprès de ses partisans, le calcul est payant. La preuve : le 13 septembre, à Zinder, il y avait foule au congrès du Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (Moden-Lumana), lorsque, malgré son absence du pays, « Hama » a été investi par son parti pour la prochaine élection.
Mais sur le terrain de la mobilisation populaire, le socialiste Mahamadou Issoufou n’est pas en reste. Le 17 février, son Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) a fait descendre dans la rue des milliers de manifestants contre Boko Haram. Dans les prochaines semaines, le parti au pouvoir prépare une nouvelle démonstration de force pour lancer la campagne de son champion.
Depuis quatre ans, le président sortant laboure le terrain social. Il affirme avoir créé de nombreuses écoles à travers le pays et avoir pu financer la formation de 3 000 enseignants par an, afin que les jeunes, en particulier les filles, puissent étudier jusqu’à l’âge de 16 ans. Cet effort sera-t-il suffisant pour lutter contre les mariages précoces et faire tomber le taux de natalité ? Mahamadou Issoufou, Mahamane Ousmane, Seini Oumarou, Hama Amadou… En cette fin d’année 2015, tous savent que la question sociale – l’emploi, l’école, la santé – sera la clé de la présidentielle de 2016.