Qui l’eût cru, qui aurait pû penser qu’on en serait là dans une alliance entre l’ancien Président de la République Bazoum Mohamed et l’ancien président de l’Assemblée nationale Hama Amadou ? Aucune annonce officielle dans ce sens n’a été faite par un camp ou par un autre, mais tous les signes convergent vers cette alliance politique sur le terrain entre les deux leaders politiques dont les relations s’étaient pourtant désagrégées au plus haut niveau dans la période de la campagne électorale de 2021 qui a vu l’élection de Bazoum Mohamed à la présidence de la République contre le candidat soutenu par Hama Amadou Mahamane Ousmane.
Retournement de situation, renversement d’alliance ou recomposition des affinités politiques, cette nouvelle dynamique politique qui a pris corps de façon plus tacite découlerait des évènements du 26 juillet dernier avec le renversement du gouvernement de Bazoum Mohamed par la junte militaire organisée au sein du Comité national pour la sauvegarde de la patrie le cnsp dirigé par le général Tiani. Qu’est-ce qui pourrait expliquer le retour en grâce entre les deux personnalités ? Une seule explication pour l’instant: le combat contre Issoufou Mahamadou.
Bazoum et Hama même combat
En tout cas tous les signes sont là, tous les ingrédients d’une bataille organisée et qui ne laisse aucun doute sur les vrais artificiers où les vrais Chefs d’États-majors de cette guerre politique: Hama Amadou et Bazoum Mohamed.
Les lumanistes pro Hama ont été les premiers à passer à l’attaque dès les premiers jours qui ont suivi le coup d’État du 26 juillet. Largement majoritaire à Niamey la capitale, c’est eux qui sont dans les différentes manifs des comités de soutien des quartiers aux autorités militaires du CNSP. C’est eux sous le couvert de l’activisme de la société civile qui montent aux créneaux pour tirer à boulets rouges contre l’ancien président de la République Issoufou Mahamadou accusé de toutes les forfaitures. Leur forteresse ou leur bases arrières à partir desquelles ils lancent leurs assauts, c’est leur prétendu soutien à la sauvegarde de la patrie. Un activisme de la société civile qui devient un tremplin ou une tribune où les pros Hama se relaient sur les créneaux et rivalisent de virulence dans leurs discours à l’endroit de Issoufou Mahamadou. Le mouvement M62 comme tous les autres fronts patriotiques ne sont plus que des couvertures qui dans le fond ne sont que des artificiers de Hama Amadou et n’ont d’autre mission que d’en découdre avec l’ancien Président de la République Issoufou Mahamadou adversaire de longue date de Hama Amadou. Dans l’effondrement de son parti le Moden Lumana, dans la vieille affaire des « coquilles vides » qui a précipité sa sortie du gouvernement de Issoufou Mahamadou au tout début de son premier mandat, dans la déchirure du Moden Lumana, dans l’affaire des bébés, dans toutes les situations politico-judiciaires qu’il a connues Hama Amadou a toujours vu la main mise de Issoufou Mahamadou. Par trois fois en 2011 pour son premier mandat, en 2016 pour son deuxième mandat et en 2021 lorsque Bazoum Mohamed a été élu à la présidence de la République, Issoufou a barré la route de la présidence de la République à Hama Amadou, le ressentiment ne pouvait qu’être plus profond.
Depuis son départ du pays Hama Amadou est resté amer contre Issoufou Mahamadou et le PNDS. Et de Paris où il séjournait pour échapper à des poursuites judiciaires jusqu’à son retour aux lendemains des évènements du 26 juillet, l’Autorité morale du Moden Lumana, comme on l’appelle au sein de son parti, n’a plus qu’un seul agenda sur lequel il travaille: c’est solder ses comptes avec l’ancien Président de la République Issoufou Mahamadou. Et pour cela il vient de trouver un allié inattendu : Bazoum Mohamed
Bazoum et la soif de la vengeance
Si Hama Amadou cherchait une revanche sur sa bête noire qui s’est toujours mise en travers de son chemin pour la présidence, Bazoum lui cherchait à se venger de ce qu’il conçoit comme un lâchage. Bazoum aurait attendu une toute autre attitude de Issoufou Mahamadou sur la question du coup d’État du 26 juillet. Que Issoufou Mahamadou se lance dès les premières heures dans des condamnations, et surtout qu’il prenne les devants avec le PNDS Tarayya d’une lutte radicale pour son rétablissement dans ses fonctions. Bazoum a voulu que Issoufou Mahamadou soit le relai immédiat de la CEDEAO et de la France pour agiter le spectre des sanctions économiques et les interventions militaires d’une éventuelle opération franco CEDEAO. L’ancien Président va opter pour une autre démarche, la diplomatie silencieuse sur tous les fronts à l’interne comme à l’extérieur. Issoufou Mahamadou va privilégier les contacts. Avec les chancelleries comme avec la junte militaire, il va agir pour désactiver le plan français des frappes militaires. Devant le silence de Issoufou Mahamadou sur le terrain des condamnations et des protestations, et surtout dans l’agitation de la rue les premières salves vont être lancées par l’entourage immédiat de Bazoum Mohamed. Ali Chegou Maina un proche et confident de Bazoum, ensuite le cabinet de Bazoum Ange Barou, Oumar Moussa, Dani Takoubakoye, tous passent à l’assaut. Depuis son bunker au palais présidentiel Bazoum donne des instructions : un seul mot d’ordre en direction de tous ses proches et simpathisants, attaquer Issoufou Mahamadou. Le clan Bazoum a désormais rejoint l’adversaire historique de Issoufou Mahamadou Hama Amadou, les deux mènent le même combat, haro sur Issoufou Mahamadou. Cette jonction est-elle récente ? Non point du tout. Mais elle a surtout connu un regain d’intensité avec les évènements liés au coup d’État.
Le premier contact annoncé entre les deux hommes remonterait à Paris où Bazoum avait effectué un séjour qu’il aurait mis à profit pour une rencontre secrète avec Hama Amadou, cela aurait créé un premier rapprochement. Et probablement ce serait à partir de cette première rencontre sans doute que l’idée d’un projet de création d’un nouveau parti par Bazoum Mohamed dénommé Hamzari serait partie. Même si de part et d’autre Bazoum Mohamed comme Issoufou Mahamadou se sont évertué à démentir le projet. Mais la situation post coup d’État va être un facteur accélérateur de ce rapprochement, voire d’une nouvelle alliance. Toutefois l’idée de Hamzari va encore attendre car les deux camps politiques travaillent sur un programme d’urgence: démolir l’image de Issoufou Mahamadou et aussi pulvériser le PNDS Tarayya qui a élargi ses bases de recrutement aux détriment de Lumana. Ce PNDS qui malgré les premiers élans de lutte lancée contre les putschistes, malgré sa première descente sur le terrain et en dépit de toutes l’agitation constante maintenue au niveau de son fief à Tahoua n’est pas parvenu à rétablir Bazoum dans ses fonctions, donc ce PNDS ne trouve plus grâce à ses yeux il, faut le détruire. Et Bazoum est poussé en cela par l’ingratitude des membres de son entourage. La sainte ligue a ainsi trouvé les raisons objectives d’un combat commun. Après trois échecs électoraux qui lui ont été infligés en 2011, 2016 et 2021 Hama Amadou a besoin d’anéantir l’image de Issoufou et du PNDS Tarayya pour sa revanche mais aussi pour les futures échéances électorales. Bazoum n’a plus besoin ni de Issoufou Mahamadou qu’il juge comme une tutelle étouffante dont il doit se défaire, ni d’un PNDS qu’il estime plutôt fidèle à Issoufou Mahamadou. Il doit donc le détruire pour récupérer de ses décombres les matériaux de construction de son futur Hamzari.
Comme très loin en remontant l’histoire, une sainte ligue a été constituée en juillet 1571 et a travaillé sous l’autorité morale du Pape Pie V avec les Etats chrétiens de l’Europe du Sud pour contrer les succès des armées de l’empire musulman ottoman d’Istanbul, la sainte ligue actuelle qui se constitue autours des activistes de la soi disant société civile travaille sous l’autorité morale du Moden Lumana Hama Amadou.
Et déjà on apprend que les premières réunions dans cette ébauche d’alliance se tiennent nuitamment dans les jardins des périphéries de Niamey entre les acteurs des deux camps.
Aussi toute cette agitation, toutes ces déclarations des activistes de la société civile ne seraient que des cache-sexes mais qui cachent mal un deal naissant. Et de plus en plus l’opinion nationale commence à découvrir et à décrypter les discours des acteurs engagés dans cette sainte ligue autour de Hama Amadou et Bazoum Mohamed.
Ibrahim Elhadji dit Hima
Niger inter hebdo – N° 123 du 24 octobre 2023