Consommer local pour contribuer à gagner en souveraineté

Dans les crises, il y a de fois des bonnes nouvelles. Et l’une des relatives bonnes nouvelles du moment au Niger est le fait que nos concitoyens aient fortement pris conscience des nombreuses vulnérabilités qui caractérisent le pays en général, et de sa forte exposition ou dépendance vis-à-vis de l’étranger.

En effet, avec le blocus économique qui pèse actuellement sur le pays et se traduisant, entre autres, par la fermeture des principaux axes via lesquels s’approvisionne le Niger, à savoir les frontières du Bénin et du Nigéria, l’approvisionnement de nombreux produits de première nécessité devient de plus en difficile et l’on tend de plus en plus vers la pénurie, faute de réouverture de ces frontières.

Plus globalement, au-delà de cet aspect essentiellement d’ordre conjoncturel, un autre élément d’ordre structurel devait, depuis très longtemps, alerter les autorités du pays sur le danger que représente la forte dépendance du Niger vis-à-vis de l’extérieur en matière du commerce extérieur : cet élément est la balance commerciale du pays qui reste structurellement déficitaire depuis plusieurs années et qui est par ailleurs perçue comme un signe de mauvaise santé économique, en dit également long sur la faiblesse du tissu productif en général et de l’industrie en particulier et la faiblesse des compétences de la population active.

Pour l’année 2021, le déficit commercial a connu une aggravation de 115,75 millions ou 14,9%, passant de 777.533 millions en 2020 à 893.282 millions en 2021. Cette aggravation est essentiellement imputable à la hausse des importations : +145,3 milliards de FCFA, selon la BCEAO. Dans les détails, cette hausse concerne, entre autres, des biens d’équipements et intermédiaires en liaison avec la reprise de l’activité économique et la poursuite des projets de construction d’infrastructures publiques et privées, notamment le pipeline et le barrage de Kandadji.

Si l’importation des biens d’équipements est symptomatique des pays en développement comme le Niger, lesquels en ont beaucoup besoin pour accroitre essentiellement leurs productions locales, il n’en demeure pas moins que l’augmentation des achats des produits alimentaires dans le pays, principalement les céréales, les pâtes alimentaires, les huiles végétales, etc., et qui ont par ailleurs représenté 27,6% des importations totales, contre  27,1% un an plutôt ; afin de combler le gap induit par la campagne déficitaire 2021/2022 devient préoccupante. De surcroît, au regard de l’immense potentiel agricole que regorge le pays.

En effet, le Niger dispose de 15 millions d’hectares de terres cultivables et offre un important potentiel d’amélioration de la productivité pour ses principales productions. La main d’œuvre du Niger dans le secteur agricole est jeune et en forte croissance. L’élevage est également l’un des piliers de l’économie du Niger, près de 14% du PIB est généré par la production de bétail : chameaux, chèvres, moutons, bovins. Le Niger dispose aussi de vastes zones pastorales et les potentiels de valorisation et d’exportation de viande et de cuirs sont considérables. Autant dire, d’immenses atouts qui restent encore à valoriser !

Le blocus économique évoqué précédemment, qui continue de peser lourdement sur le pays a suscité la volonté de réduire significativement la dépendance vis-à-vis de l’étranger et par ricochet, gagner davantage de souveraineté sur le plan alimentaire. Cet objectif, qui semble tout à fait à la portée des Nigériens, peut être atteint dès lors que les autorités du pays le dote des politiques publiques ambitieuses en la matière.

En attendant que ces dernières voient le jour, la population peut contribuer à inverser la donne en soutenant massivement les producteurs locaux. Et ça tombe bien, nous sommes en octobre, mois qui est considéré comme celui de la Consommation des produits locaux ! D’ailleurs, divers événements visant à promouvoir la consommation des produits locaux ainsi que la mise en valeur des petites et moyens entreprises concourant à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire, à l’image de la 7è édition du Salon Professionnel Consommons Local « 100% Made In Niger » qui vient de se dérouler au Centre Mahamat Gandhi de Niamey, de la foire agro-alimentaire qui va se tenir du 12 au 13 octobre dans l’enceinte de la Chambre du Commerce et d’industrie de Dosso et du Fonaf qui célèbre aussi sa 7è édition, sont organisés dans ce mois-ci et il devient quasiment un impératif pour tout un chacun d’y assister, ce, pour cinq raisons essentielles :

  • Premièrement Economique: Consommer local contribue à dynamiser l’économie du pays : sauvegarder des emplois et des filières de production et donc à réduire le chômage. Ce geste simple pourrait générer quelques points de croissance pour le pays. Ainsi, nous contribuerons à faire en sorte que ces entreprises deviennent plus performantes.

 

  • Deuxièmement, Écologique: L’importation de biens a un coût écologique important et mobilise beaucoup d’énergie (carburants…), puisque les produits parcourent de milliers de kilomètres via les différentes voies de transport (terrestre, maritime ou aérienne) avant de nous parvenir. Or, les moyens de transport émettent beaucoup de CO2, un des facteurs polluants de l’atmosphère et qui accroît l’effet de serre, lequel est à l’origine du réchauffement climatique.

 

  • Troisièmement Sanitaire: Ce point concerne surtout les aliments soumis à la « chaîne de froid ». La notion de chaîne du froid est un principe d’hygiène selon lequel un produit est refroidi, puis maintenu à une température basse pour pouvoir être conservé. Le fait de réfrigérer les aliments permet d’éviter le développement des bactéries mais, également, de conserver les qualités de goût de l’aliment. La rupture de la chaîne de froid, pendant le transport, peut donc favoriser le développement de bactéries et accroître le risque d’intoxication alimentaire. Les personnes ayant peu de défenses immunitaires (bébés, femmes enceintes, personnes malades ou personnes âgées) peuvent en mourir.

 

  • Quatrièmement Culturel: En achetant des produits importés, à l’instar des habits qui ne reflètent pas souvent les réalités locales, on perd partiellement de son identité, laquelle se manifestant à travers ses productions artisanales, voire industrielles. Et personne ne souhaiterait perdre de son identité. D’où la nécessité d’acheter et porter des habits confectionnés localement.
  • Enfin, Géopolitique: Les sanctions qui pèsent actuellement sur le Niger nous enseignent que nous vivons dans un monde instable et pouvant faire l’objet de bouleversement, voire de chantages. Vos alliés d’aujourd’hui peuvent être vos non alliés de demain. Et avec la crise politique que connait le Niger, ce dernier se voit ne pas pouvoir utiliser le port de Cotonou pour ses importations, par exemple, pour le moment. D’où l’intérêt de consommer local afin d’accroitre la production du pays.

Vous souhaitez aider le Niger à réduire son déficit de balance commerciale et limiter ainsi sa dépendance vis-à-vis de certains produits importés, tout en contribuant à l’essor des entreprises nationales ? Alors, consommons local !

 

ADAMOU LOUCHE IBRAHIM

Economiste

@ibrahimlouche

Niger Inter Hebdo N°121 du mardi 10 octobre 2023