Le samedi 30 septembre 2023, les nigériens découvraient le Général Abdourahmane Tiani dans un autre registre que celui de l’adresse solennelle à la nation. Dans un entretien accordé à la télévision nationale, le Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) a expliqué les raisons de l’action des Forces de Défense et de sécurité (FDS), lé 26 juillet dernier, avant d’aborder tous les sujets brûlants de l’actualité nationale et régionale. De la coopération avec la France à la transition politique en passant par les sanctions de la CEDEAO, la cherté de la vie, la lutte contre l’impunité, rien n’a été omis.
D’entrée de jeu, le président du CNSP a tenu à présenter ses condoléances aux parents, veuves et orphelins des victimes civiles et militaires du terrorisme avant d’exprimer ses remerciements aux populations nigériennes pour leur mobilisation dans le combat pour la souveraineté et le respect de la dignité du peuple nigérien.
Evoquant les raisons qui expliquent le coup d’Etat du 26 juillet 2023, le président du CNSP a insisté sur la détérioration de la situation sécuritaire et la mauvaise gouvernance. En effet, le Chef de l’Etat a souligné que sur le plan de la lutte contre le terrorisme, l’option prise par le pays est loin d’être la bonne, tandis que sur le plan de la gouvernance, les ressources du pays sont accaparées par un groupuscule d’individus usant de la corruption, du népotisme et du détournement massif de deniers publics, le tout couvert par une impunité institutionnalisée.
Sur les accords de défense et la coopération avec la France
« Cette présence militaire a commencé en 2010 à la suite de la prise d’otage français à Niamey, puis celle des travailleurs d’Areva à Arlit sous la transition militaire de l’époque avec une implantation des bases militaires françaises en tant que telle à partir de 2011 », a explique le président du CNSP. Depuis lors, la France clame partout qu’elle est là pour nous aider à lutter contre le terrorisme, mais nous avons des raisons de douter de la sincérité de cet appui. « S’il l’était réellement, nous serions venus à bout du terrorisme. Malheureusement, le phénomène ne fait que se répandre dans nos pays », a déclaré le Chef de l’Etat. « Nous militaires, avons alerté, conseillé les autorités qui nous ont précédés mais rien n’y fut. Nous ne pouvions dès lors plus fermer les yeux sur cette situation », a expliqué le Général Tiani, ajoutant que « le Niger ne peut pas venir à bout du terrorisme s’il n’y a pas une synergie d’actions avec ses voisins, confrontés aux mêmes défis, à savoir le Mali et le Burkina Faso ». Malheureusement a-t-il précisé, « les autorités déchues ont systématiquement refusé de coopérer avec ces pays frères ».
C’est pourquoi, le CNSP a décidé de revoir la stratégie de lutte contre ce fléau en décidant de coopérer étroitement avec les pays sus cités. « Malheureusement, ceux qui ont empêché cette coopération entre le Mali, le Burkina et le Niger manipulent actuellement la CEDEAO menaçant le Niger d’une agression », a dénoncé le président du CNSP.
« Actuellement, nos Forces de défense et de sécurité sont sur plusieurs fronts parce qu’il nous faut faire face à la menace de la CEDEAO, lutter contre le terrorisme, protéger les institutions de l’Etat, sécuriser les frontières, assurer la sécurité intérieure et sécuriser nos ressources naturelles. N’eut été cette démultiplication des fronts, le terrorisme serait relégué dans l’histoire au Niger. C’est une situation sciemment créée, mais le Niger s’en sortira. Nos Forces de défense et de sécurité sont à la hauteur des défis », assure le Chef de l’Etat.
S’agissant du départ des forces militaires françaises, le président du CNSP dit n’avoir aucun doute. « De la même façon qu’un Nigérien ne peut pas rester sur le territoire français sans accord des autorités françaises, les militaires français vont quitter le Niger » a rassuré le président de la transition.
Aussi, « ils disent que nous ne sommes pas élus, c’est vrai. Mais nous sommes nigériens et le Niger c’est la terre de nos ancêtres. Nous ne connaissons pas un autre pays que le Niger », a déclaré le Général Abdourahamane Tiani. Le Chef de l’Etat a tenu à rappeler que les temps ont changé. Le Niger a changé. « Nous ne sommes pas les dirigeants qu’ils connaissaient, qu’on intimidait. Du reste, c’est le peuple nigérien qui a exigé le départ des français. Nous avons également le soutien des peuples frères africains et de tous les peuples épris de Justice. Les militaires français quitteront le Niger, c’est une question de temps », a-t-il martelé.
Pour ce qui est de la suite de la coopération avec la France, le Chef de l’Etat a été clair. « C’est à la France de choisir ce qui l’arrange. Pour notre part, il faut que tout le monde le sache: les richesses du Niger appartiennent au Niger. Ces richesses doivent bénéficier d’abord aux Nigériens. Nous avons aujourd’hui des partenaires qui sont prêts à travailler avec nous pour valoriser ces ressources dans un partenariat respectueux de notre souveraineté et plus bénéfiques aux Nigériens. Nous n’avons pas besoin de quémander. Il n’est plus question que des gens viennent exploiter nos ressources et nous qualifient en même temps de « pays le plus pauvre ». Le temps des mascarades est terminé. C’est aux Nigériens de décider ce qui peut être fait et comment il doit l’être. Notre souveraineté et notre dignité ne sont pas négociables », a prévenu le Général de brigade Abdourahamane Tiani.
Les sanctions de la CEDEAO et leurs impacts
Le président du CNSP s’est dit affligé de voir une organisation sensée promouvoir la solidarité être instrumentalisée pour punir des peuples. « Lorsqu’il y a un problème dans un pays, la CEDEAO est tenue d’écouter d’abord et de chercher à le résoudre par le dialogue. Il y a eu le coup d’Etat le 26 juillet et le 30 juillet, elle a pris les sanctions les plus extrêmes. Si la CEDEAO pouvait nous priver d’oxygène, elle l’aurait fait parce qu’elle est poussée à agir de la sorte », a fustigé le chef de l’Etat.
Fort heureusement, s’est réjoui le Général Tiani, « le peuple nigérien est resté soudé et tous les peuples frères nous ont exprimé leur solidarité, y compris dans les pays où les dirigeants ont décidé de répondre aux injonctions venues d’ailleurs ».
Du reste, le Chef de l’Etat dit avoir notifié cela à une délégation de la CEDEAO. « Regardez bien ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. Bien que ces deux pays soient en guerre ouverte, la Russie n’a pas coupé le gaz à l’Europe et l’Ukraine n’a pas bloqué les gazoducs russes qui traversent son territoire. Ici, le Nigeria nous a coupé l’électricité. Pourtant, nous ne sommes pas en guerre contre ce pays. Nous savons que c’est la France qui pousse certains de nos voisins à agir de la sorte. Mais, Dieu est avec nous. Et nous ne remettons pas en cause notre histoire, notre fraternité. La preuve est que les populations nigérianes et béninoises prient au même titre que les Nigériens pour la paix au Niger », a souligné le Chef de Etat.
Face à la hausse des prix de certaines denrées, le chef de l’Etat s’est dit surpris et même gêné de constater que certains opérateurs économiques ajoutent aux effets des sanctions de la CEDEAO. Il est dommage de constater aujourd’hui que des commerçants nigériens sont à la base de cette flambée des prix », a déploré le président du CNSP, rappelant que le Mali et le Burkina Faso avaient connu la même situation. Ils ont réussi à surmonter cette situation parce que certains de leurs opérateurs économiques ont même accepté de vendre les denrées à perte pour aider les populations et les autorités. « Il faut que nos opérateurs économiques sachent que l’Etat a le devoir et le droit de protéger les citoyens. Nous allons suivre toutes les voies légales pour le faire », a prévenu le Général Abdourahamane Tiani.
Sur la justice et la transition
Le président du CNSP a relevé que la mal gouvernance et la corruption est un constat unanime. « C’est pourquoi, nous avons mis en place la COLDEFF. Cette structure aura pour mission de remettre l’Etat dans ses droits. Ceux qui se sont illégalement appropriés des biens publics et dont la justice va reconnaitra la culpabilité vont les restituer », a dit le Chef de l’Etat qui dit attendre l’aide des citoyens en vue d’avoir des personnes crédibles pour faire ce travail. « Nous allons donner carte blanche à la justice. Nous ne protégerons personne », a déclaré le Général Abdourahamane Tiani.
Pour le Chef de l’Etat, « le temps de cette transition doit aussi être mis à profit pour refonder notre pratique de la démocratie. Jusqu’alors, les populations n’ont de voix que pendant les élections. Ce qui fait qu’une fois élus, les dirigeants se prennent pour des pharaons et ne font qu’à leurs têtes. Ils se croient tout permis ».
Pourtant, la démocratie n’est pas étrangère à nos traditions. Dans nos sociétés, les sages se retrouvaient sous l’arbre à palabre pour discuter et décider de ce qui est bien pour la communauté. Aujourd’hui, la démocratie est réduite à sa plus simple expression, c’est-à-dire les élections. C’est pourquoi, il faut mettre des garde-fous nécessaires pour que les dirigeants élus ne se croient pas tout permis, y compris ce qui ne va pas dans le sens des intérêts vitaux du pays et de son peuple », a estimé le Général Abdourahamane Tiani. C’est pour aller dans cette direction que le CNSP et le gouvernement de transition ont décidé de l’organisation des consultations nationales. « Désormais, la voix de chaque citoyen doit être prise en compte, depuis les hameaux et villages jusqu’à la capitale, en passant par les communes, les départements et les régions », a-t-il expliqué. Le gouvernement travaille à définir les modalités de ces assises qui, a-t-il assuré, « ne seront pas longues. Elles ne seront pas non plus une occasion de joutes oratoires ».
Tiemogo Bizo
Niger Inter Hebdo numéro 120 du Mardi 03 octobre 2023