Après un temps de flottement, d’incertitudes et de vives inquiétudes, la vie reprend progressivement son cours normal au Burkina Faso, notamment à Ouagadougou, la capitale qui a vécu toute la psychose créée par le coup d’Etat du week-end dernier. Il aurait fallu l’implication pleine et entière des communautés coutumières et religieuses burkinabè pour éviter un bain de sang entre les protagonistes, à savoir le camp du chef de l’Etat évincé, le colonel Paul Henri Damiba et les nouveaux maitres du pays, commandés par le capitaine Ibrahim Traoré.
« Devant les risques de division et de fracture au sein de notre armée, et considérant les motivations profondes de l’avènement du MPCR et l’intérêt supérieur du Burkina Faso, en toute conscience et en pleine responsabilité, j’ai renoncé pour compter de ce jour, 2 octobre, à ma fonction du Chef de l’Etat et du président de la transition, après un dialogue avec les autorités coutumières et religieuses, avec le capitaine Ibrahim Traoré et avec le président en exercice de la CEDEAO sur la base de 7 points d’accord », a indiqué le Chef de l’Etat déchu, le colonel Paul Henri Damiba, dans un message qu’il a livré, peu avant son départ sur Togo où il séjourne présentement.
- Les conditions posées par Damiba avant toute démission
Pour obtenir sa capitulation et éviter des tueries inutiles, le colonel Paul Henri Damiba a posé un certain nombre de conditions. Il s’agit entre autres de : « la poursuite des opérations militaires sur le terrain, la garantie de la sécurité et de la non-poursuite des soldats qui s’étaient engagés à ses côtés, la poursuite du renforcement de la cohésion au sein des forces de sécurité, la poursuite de la réconciliation nationale, le respect des engagements pris avec la Cédéao, le respect des échéances devant mener à un retour à l’ordre constitutionnel, la poursuite de la réforme de l’État et, enfin, la garantie de sa sécurité et de ses droits, ainsi que ceux de ses collaborateurs ». Des conditions qui, fort heureusement, avaient toutes été acceptées par le nouveau homme fort du pays, le capitaine Ibrahim Traoré.
- Un deuxième coup d’Etat en un laps de temps
C’est donc le deuxième coup de force militaire qu’a connu le Burkina Faso en l’espace de 8 mois, après celui perpétré par Paul Henri Damiba et ses hommes contre le régime du président élu du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Dans l’un comme dans l’autre cas, c’est la situation sécuritaire très critique que traverse le pays qui a servi d’alibi aux militaires pour s’emparer du pouvoir.
Pour beaucoup d’analystes, « cette autre déstabilisation du pouvoir d’Etat est une bonne affaire pour les groupes djihadistes » qui peuvent en profiter de ce temps de flottement pour se réorganiser. « Sans être en mesure de prendre d’assaut nos capitales, ils (Ndlr : terroristes) arrivent à y instiguer une instabilité politique qui désorganise nos Etats et les fragilise davantage. Et si cela perdure, ces Etats vont tomber d’eux-mêmes comme des fruits mûrs, tout comme on l’a vu en Afghanistan », prévient Ibrahim Yahaya, analyste principal pour la région du Sahel à l’International Crisis Group.
Au Burkina Faso tout comme au Mali, « cette crise montre les débâcles des militaires à réussir leur pari de mieux conduire la lutte contre le terrorisme que les politiciens démocratiquement élus ». La junte militaire « renversée » au Burkina Faso, tout comme celle au pouvoir au Mali, ne semblent pas mieux réussir la lutte contre le terrorisme que les régimes qui les ont précédés. Pour preuve, Ibrahim Yahaya fait observer que « avant la prise du pouvoir par Damiba, les djihadistes contrôlaient plusieurs bourgades au Burkina Faso. Aujourd’hui, ils contrôlent plus de la moitié du territoire et réussissent progressivement à isoler Ouagadougou ».
- L’armée burkinabè fortement divisée
La dégradation de la situation sécuritaire a fortement ébranlé l’armée burkinabè, exacerbée par les récurrentes attaques terroristes dont le pays fait face au quotidien. A cette situation est venue se greffer des frustrations et autres revendications émanant de certaines unités militaires, auxquelles s’ajoutent des cassures et autres clivages au sein des Forces de Défense et de Sécurité et ce, depuis la dissolution du Régiment de la Sécurité Présidentielle, jadis l’unité la plus choyée au Burkina Faso.
A la suite du coup d’Etat de janvier 2022 perpétré par le colonel Damiba, des fortes tensions se sont également apparues entre les Forces Armées et la Gendarmerie. Au delà de la question des ressources, des équipements militaires et du manque d’effectif, le dysfonctionnement constaté au sein des forces burkinabè minait également le bon fonctionnement de l’ensemble des Forces de Défense et de Sécurité, ce qui rendait aussi inefficace leur lutte contre le terrorisme. Ce dernier coup de force du capitaine Ibrahim Traoré a fait également apparaitre au grand jour, le profond clivage qui existait déjà entre les officiers supérieurs et les hommes de rangs, tout comme les tensions entre des unités des Forces armées, notamment entre les Cobras dont relève le capitaine Ibrahim Traore et les Forces Spéciales, commandées par le colonel Paul Henri Damiba.
Au vu de toutes ces tensions qui s’observent au sein de l’armée burkinabè, l’on peut certes affirmer que le capitaine Traore a gagné son pari vis-à-vis de Damiba, mais pour l’analyste principal pour la région du Sahel à l’International Crisis Group, Ibrahim Yahaya, « le plus grand défi qui lui reste à être relevé est de rassembler les Forces de Défense et de Sécurité du Burkina Faso, pour mener ensemble et de manière plus efficace la lutte contre le terrorisme ». Un défi que doit absolument « relever le capitaine Traoré pour redonner un nouvel élan aux Forces de Défense et de Sécurité », estime Ibrahim Yahaya.
Autre constat largement partagé par des analystes par rapport au coup d’Etat du capitaine Ibrahim Traoré est que ce dernier n’est pas seulement un coup d’Etat militaire, c’est aussi une révolution populaire, estimant que seul avec son unité Cobra, le capitaine Traoré n’aurait pas pu s’emparer du pouvoir aussi facilement. « C’est son habileté à associer les masses à sa cause qui a scellé le sort de Damiba », analyse Ibrahim Yahaya.
D’ailleurs tout au long des manifestations, les gens scandaient des slogans anti-français au même moment où d’autres brandissaient le drapeau russe. « S’il faut se réjouir de cet engagement politique de la jeunesse sahélienne, il faut aussi s’inquiéter du risque de voir nos opinions Sahéliennes devenir otages d’une guerre des puissances. Plutôt que de chercher à se positionner en pro-russe-anti-français ou pro-français-anti-russe, nos leaders d’opinion devraient mener l’effort de définir les intérêts de nos pays et la manière de les atteindre avec n’importe lequel de ces partenaires exterieurs», a laissé entendre l’analyste principal pour la région du Sahel à l’International Crisis Group.
Un deuxième coup d’Etat dans l’année que la CEDEAO a condamné, tout comme le précédent. Toutefois, aucune sanction n’est jusque-là été prise à l’encontre des nouveaux dirigeants de la transition burkinabè. Mais l’on apprend l’envoie dans les tous prochains jours, d’une mission de la CEDEAO à Ouagadougou.
Oumar Issoufa
Niger Inter Hebdo N°82 du mardi 4 octobre 2022
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