Le 18 août 2020, comme en 2012, sous Amadou Toumani Touré, quelques aventuriers au sein de l’armée malienne ont engagé une entreprise de démolition de l’ordre constitutionnel dans un contexte socio-politique et sécuritaire déjà complexe. Comme une trainée de poudre, deux autres régimes démocratiques sont tombés au sein de la CEDEAO. Le pire, c’est qu’on assiste à un soutien populaire à ces putschs et un silence complice des forces démocratiques. Ces coups d’Etat ne constituent-ils pas un discrédit aux démocraties dans la sous-région Ouest africaine ?
En Guinée Conakry, le 3ème mandat qu’Alpha Condé s’est octroyé fut un prétexte, tout trouvé, pour le déposer par les militaires issus des forces spéciales de ce pays. Au Burkina Faso, la mal gouvernance sécuritaire a eu raison du régime de Roch Marc Christian Kaboré. Umaro Sissoco Embaló l’a échappé belle en Guinée Bissau. Les coups d’Etat constituent-ils une alternative crédible face au défi sécuritaire ? Faut-il renoncer à la démocratie dans l’espace CEDEAO ? Le cas malien ne serait-il pas le scénario du pire au regard de la posture de défiance et non dialogique avec la Communauté internationale ?
C’est pour toutes ces raisons que nous insisterons sur le Mali qui est un exemple type de fuite en avant, une régression démocratique et des relations internationales. Sous Goita, le Mali a fait le choix de la facilité sur fond de victimisation. Si ça ne va pas au Mali, c’est la faute de la France et les autres. Et on impose au peuple cette pensée unique érigée en philosophie politique comme s’il suffisait de se replier sur soi-même pour transformer la réalité. Tout malien digne de ce nom doit s’y conformer de sorte que de proche en proche, le Mali vit un air d’authenticité et d’unanimisme à la Mobutu. Tout celui qui ose dire non au nouvel ordre politique au Mali serait un mal pensant, un criminel qu’il faut juger et condamner selon les desiderata des maitres de l’establishment.
Le temps des coups d’Etat est révolu
La démocratie dans l’espace CEDEAO est érigée en principe de gouvernance dans tous les Etats membres. Dans cette optique, les élections constituent le monde de dévolution du pouvoir. C’est dire que le temps des coups d’Etat est révolu. C’est pour cette raison d’ailleurs que la CEDEAO est tenue de condamner tout coup de force contre les institutions démocratiques. C’est une constante, la CEDEAO dispose des moyens légaux de régulation pour ramener à l’ordre les indélicats ou anticonformistes. Il s’agit des sanctions disciplinaires, économiques et financières comme ceux qui frappent présentement la République du Mali aux commandes d’une junte ‘’avide de pouvoir’’, pour reprendre l’expression d’un diplomate français. Le seigneur de Koulouba a eu le culot de demander à la CEDEAO un mandat de cinq ans !
En 2012, c’était à un mois des élections présidentielles que la bande du tristement célèbre Amadou Haya Sanogo avait renversé Amadou Toumani Touré (ATT) plongeant ainsi le Mali dans une incertitude totale. En effet, avec Sanogo aux commandes, les terroristes ont gagné du terrain et le Mali allait sombrer dans la nuit noire n’eut été l’intervention de la force Serval de la France avec ses alliés, notamment le Tchad et le Niger. A l’épreuve des faits, le chef de file de l’opposition malienne d’alors, feu Soumaila Cissé n’avait pas eu tort, en son temps, de qualifier ce putsch « d’acte réactionnaire le plus bas de l’histoire politique du Mali au cours des 20 dernières années ».
L’armée malienne a donc réédité ce qu’un confrère a considéré en 2012 comme ‘’ le scénario du pire, celui du gâchis et de la régression’’ tant le Mali n’a plus besoin d’une telle aventure. Bien au contraire. Le Mali a plutôt besoin de consolider son processus démocratique, assoir la bonne gouvernance et un dialogue sincère des forces vives pour inverser la tendance dans un pays où le défi sécuritaire s’impose comme la priorité des priorités.
Certes, il y a mille et une choses à redire de la gouvernance d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK), mais est-ce pour autant un putsch serait la panacée ? Nous pensons que non, en ce sens qu’au Mali comme ailleurs, les coups d’Etat ne sont souvent que des négations des libertés fondamentales et des gâchis sur les plans économique et social. Si les militaires ont cru bon de récupérer lâchement le mouvement populaire de la société civile et de l’Opposition politique au Mali, ce serait une faute grave dans le contexte actuel du Mali et du Sahel en général. C’est déjà un fait accompli. Mais les esprits avertis se demandent comment le Mali pourra faire face à un isolement diplomatique et les actions de représailles contre les putschistes et leurs zélateurs par la CEDEAO, l’Union Africaine, l’Union Européenne, bref la Communauté internationale ? Depuis 18 mois que les colonels sont aux affaires, qu’est-ce qui a changé au Mali en dehors de la propagande populiste sur fond de patriotisme et rhétorique stériles ?
Le règne de la pensée unique au Mali
Les nouveaux maitres de Bamako, à savoir les dirigeants du Conseil national du salut du peuple (CNSP) disaient au début de leur aventure que ce n’est pas un coup d’Etat. Ceux qui étaient dans la rue (les partis politiques du M5 et la société civile) aussi ont dit que c’est l’aboutissement de tout ce qu’il y avait comme tension avant. Mais depuis 18 mois qu’ils sont aux affaires, le défi sécuritaire reste et demeure une réalité au Mali. Les esprits avertis attendent de voir les résultats de la propagande autour des mercenaires russes. Pour le moment, en dehors du populisme et la défiance de la Communauté internationale, Assimi Goita s’avère être un chef très needy (boulimique), il demande plus de pouvoir personnel. Il voudrait être seul maitre à bord.
Mais il ne faut pas se méprendre. En dépit de la posture de la junte malienne tendant à rejeter la coopération militaire, la plupart des militaires de la force spéciale malienne ont été formés par des partenaires du pays. Les hauts gradés de l’armée malienne qui ont mené le putsch ont été formés en France, d’autres en Russie ou encore par le programme américain Flintlock. C’est dire que ceux qui sont au pouvoir sont les mieux placés pour savoir que le Mali ne saurait se passer de la coopération de tous ses partenaires. Et très malheureusement, la posture actuelle de la junte malienne est en passe de fragiliser le Mali en le privant de tous ses partenaires et dans tous les domaines. La tendance, c’est la défiance des partenaires, l’autosuffisance et l’autarcie. Si on n’y prend garde, les maliens risquent de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Lutte contre la pauvreté : clef de voûte au défi sécuritaire
La gestion d’un Etat ne rime pas avec le populisme. C’est une triste vérité à laquelle ont été confrontés tous les pays qui ont cédé aux sirènes populistes et tous ceux-là qui mettent en avant leurs fantasmes au détriment de la réalité. Ces démagogues tapis dans l’ombre de la classe politique et de la société civile font croire à l’opinion que tout est facile, tout est simple à obtenir. Si la vie coûte chère, si le peuple n’est pas dans le bonheur, si la situation sécuritaire se dégrade au Mali, c’est exclusivement la faute de l’ex-président IBK et la France.
Ces populistes de tout acabit dont certains brillent par leur nihilisme ont tendance à discréditer la démocratie et les valeurs essentielles du pays. C‘est un truisme de dire que la montée du populisme va crescendo au Mali avec la montée en puissance du très controversé Choguel Maiga, opportuniste Premier ministre de la junte. A entendre certains donneurs de leçons issus du nouvel ordre, les maliens risquent d’être menés en bateau si on n’y prend garde.
L’on comprend bien que l’impuissance de l’armée malienne face aux terroristes génère le ressentiment. Mais est-ce que le coup d’Etat serait la panacée ? A la vérité, le Mali est un pays très fragile. La situation sécuritaire est très dégradée : les 2/3 du pays sont entre les mains des terroristes. Et depuis leur avènement, les putschistes se complaisent dans le populisme et la pensée unique qu’ils ont instauré au nom d’une utopie pompeusement dénommée ‘’Refondation’’.
Après l’euphorie de la chute d’IBK et le contrôle de tout le pouvoir d’Etat, les nouveaux maîtres du Mali doivent se convaincre que le dur est à venir. Dans ce contexte d’insécurité criard, ils doivent revenir sur terre pour ne pas davantage affaiblir l’Etat. La voie la plus sûre pour basculer le Mali dans l’incertitude et l’anarchie. L’autarcie comme posture actuelle au Mali ne saurait prospérer. Le cas burkinabè doit les interpeler. Tout comme la junte des pays des hommes intègres, les putschistes maliens auraient pu éviter à leur pays les sanctions en cours. Il ne suffisait qu’un peu de réalisme et du sens du dialogue et de l’Etat.
On le sait, la posture populiste se moque souvent de la réalité et de la vérité. Les maliens ne doivent pas se mentir. Le discours souverainiste a ses limites. La CEDEAO et la communauté internationale sont là pour accompagner le Mali à sortir de l’ornière. La tendance à vouloir engager un bras de fer avec la CEDEAO et la Communauté internationale serait un préjudice pour le Mali.
Elh. M. Souleymane