Tribune : Appel aux « Elites intellectuelles » en panne de réflexion

Le 31 janvier 2021, un jour seulement après la validation des résultats des élections présidentielles 1er tour, le 30 du même mois, un groupe dit des « Elites intellectuelles du Niger » lance « Un appel au sursaut citoyen ». Ce groupe hétéroclite, riche en couleur, né comme par génération spontanée et totalement méconnu des nigériens entend jouer un rôle déterminant dans la vie de la nation et dans la « défense du peuple ». Il n’est ni un syndicat, non plus une organisation de la société civile ou politique encore moins une organisation faitière. Ce qui est, on ne peut plus curieux, c’est le jour même de l’ouverture de la campagne électorale, le 31 janvier 2021 qu’il poste son manifeste. Ses moyens d’actions d’agir sur les 21 millions de nigériens, personne ne saurait le dire. Mais par contre, dans une langue de bois pleine de sous entendue son objectif avoué est « d’agir face à la descente aux enfers de notre pays et à sa déconfiture programmée ».

Noble ambition pour ces « Zorro » des temps modernes ! Cette « élite » qui se veut la quintessence intellectuelle du pays a prévu avec précision à l’issue des scrutins du 23 janvier, en cas d’un mauvais choix des électeurs qu’il y aura une catastrophe nationale qui serait la négation de l’Etat nigérien. Puisque la rationalité de leur prédiction, échappe à nous autres communs des mortels, nos intellos, pour échapper à d’éventuelles indexation de « complotistes » auraient dû, au lieu de la danse du ventre, nous dire, pour sauver le Niger du pire, de Mahamane Ousmane ou de Bazoum qui est le porte étendard de cette catastrophe annoncée. C’est une question d’honnêteté intellectuelle ou plutôt, comme dirait l’autre, du simple courage d’assumer ses positions.

Cette élite, même si elle ne crédite pas les communs des nigériens d’avoir un quotient intellectuel (Q.I) élevé, nos concitoyens ont, néanmoins leur bon sens et jugeote pour connaître les motivations réelles de cette cabale tombant comme « une noix de cola dans la soupe », mieux ils ne sont pas amnésiques et ont vu les uns et les autres aux manettes du pouvoir.

Enfin, on dit que toute parole est jugée, à l’aune de la crédibilité de son émetteur et conséquemment, il est juste qu’on s’interrogeât : élite intellectuelle là même, c’est quoi, comme dirait l’Ivoirien ?

Une usurpation indue de qualité

Le choix du terme « élite » par les auteurs de l’Appel n’est pas fortuit. Ils ne nient pas qu’il n’y a pas d’intellectuels au Niger mais, eux seraient la quintessence  les meilleurs, une minorité « d’éclairés » auxquels la société aurait dû accorder le prestige et la reconnaissance pour leurs œuvres mais, hélas le drame est qu’aucun d’entre eux n’a produit une œuvre dépassant le cadre stricto sensu universitaire généralement, liée à l’obtention des parchemins académiques à fortiori susciter la reconnaissance publique…Le seul critère auquel, ils répondent dans la définition du concept élite est, d’être minoritaire. Ils le sont en effet. Nul ne peut le nier ! 120 au total dans une société de plus d’une vingtaine de millions d’âmes !

Quant à la réalité du concept de l’intellectuel comme, le dit Raimond Aron, il est « un créateur d’idées ». Son activité repose sur l’exercice de l’esprit. Son rôle ajoute Laurent Mucchielli est « de rompre avec le registre évènementiel et émotionnel pour tenter d’apporter des éléments de réponse aux débats collectifs ».

Ainsi, Emile Zola dans l’Affaire Dreyfus, Jean Paul Sartre, Jacques Attali, Althusser, Franz Fanon, Aimé Césaire, Senghor, Cheikh Anta Diop, etc. sont des vrais intellectuels qui ont marqué durablement leur époque et, au-delà, leurs mérites universellement reconnus. Eux de quelle réputation ils jouissent ? En tout cas, si même elle existait, elle n’atteint guère les principales frontières internationales du pays à fortiori les franchir.

Si intellectuel rime avec création d’idées et rupture avec le registre évènementiel et émotionnel pour éclairer le débat public, les signataires de l’Appel sont à l’opposé de cela. Ils ne sont pas, bien qu’étant enseignants-chercheurs, partis loin chercher les idées en paraphrasant ou en puisant dans la longue litanie des déclarations et communiqués de l’opposition. Concernant la rupture avec l’évènementiel et l’émotionnel, ils ont, yeux fermés plongés dans l’actualité politique.

Ces intellos peuvent-ils se prévaloir de la notoriété de ceux cités plus haut ? De quelle production de portée nationale, africaine ou mondiale sont-ils porteurs. Il est vrai, on peut mettre à leur actifs quelques publications pas dans des revues scientifiques de renom mais quelque fois publiées à compte d’auteur ou à l’époque par l’IRSH.

Le grand Professeur Abdou Moumouni ne manquerait pas de remuer dans sa tombe en apprenant que ces universitaires-là, se sont auto collés l’épithète de « l’Elites Intellectuels ». Leurs étudiants, soumis au joug des années scolaires élastiques de 24 à 36 mois en savent long sur cette élite réfractaire à la réforme de la gouvernance universitaire et prétendant donner des leçons à celle du pays. Ces intellos en s’immisçant dans un domaine en dehors de leurs champs de compétences ne peuvent que faire étalage de leur platitude. Normal, qu’ils produisent un Appel d’aucune facture intellectuelle !

La deuxième composante des signataires de l’Appel qui s’affabulent de la qualité de l’élite intellectuelle est composée d’avocats. Peuvent-ils s’estampiller de cette qualification dans un pays où l’exercice de ce métier, contrairement aux 70 000 avocats français, n’est pas légalement soumis à l’obtention du fameux Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA) ? Mais, il y a des ténors des Barreaux dont la réputation a franchi les océans pour ne parler qu’en France de Me Jacques Verges, Jean Veil, Bourdon ou Rudy Giuliani, l’avocat de Donal Trump. Et plus près de nous, on peut citer les Me Souna, Coulibaly, Souley, Illo qui se sont illustrés à l’extérieur comme à l’intérieur dans toutes les luttes démocratiques en plaidant, quelque fois gracieusement et avec brio des opposants aux différents régimes d’exception pendant que d’autres, par crainte, rechignaient de prendre leurs dossiers. Ils battaient les pavés, usant leurs semelles dans les marches et les meetings à la Place de la Concertation. Evidemment, ceux-là ne font pas partie des signataires de l’Appel.

Le plus curieux dans l’attitude des hommes en toge, est la prise pour cible la CENI dirigée par un des leurs. Cette institution compte pourtant de nombreux avocats dans ses structures déconcentrées. La même remarque peut être faite à leurs attitudes face au Conseil Constitutionnel où siège un avocat élu par eux. Comprenne qui pourra ! Sans doute, l’enjeu politique a, transcendé l’esprit de corps dont leur corps a fait toujours montre !

La liste des 120 compte quelques journalistes dont certains, depuis plus d’une vingtaine d’années ont prospéré en suçant les mamelles de tous les régimes successifs, leur mise sur le banc de touche expliquerait, sans doute, leur virage. La composition bigarrée de la clique des 120 appelle à un certain nombre de remarques.

Une composition hétéroclite

La première remarque est que dans ce groupe de 120 est composé de « tout-venant », il n’y a aucun élément qui s’est affiché politiquement dans l’opposition ou la majorité et en grande partie, ils n’ont pas connu les sacrifices imposés dans l’avènement de la Démocratie. Les geôles du PPN-RDA, du CMS, de Baré, les interpellations policières, les persécutions administratives et autres leur sont étrangères. Ces froids bénéficiaires des luttes des autres sont, généralement tapis, ils sortent qu’à l’occasion de séminaires et ateliers à gros per diem ou le temps d’une transition militaire pour un mercenariat politique.

La deuxième remarque est que ce groupe ne comporte aucun acteur politique virulent de l’opposition : les Soumana Sanda, Ibrahim Hamidou encore moins les traditionnels activistes de la société civile jouant le rôle du contrôle citoyen de l’action publique ou pourfendant le régime de la VIIème République. Pourtant, les Nouhou Arzika, Maikoul Zodi, Tchangari, Souley Adji pour ne citer que ceux-là, qui n’ont eu de cesse de critiquer le régime depuis 2011, n’ont pas signé le document. On ne peut soutenir qu’ils n’ont pas le profil des élites intellectuelles auto-proclamé. Ils sont plus connus, ils disposaient, depuis des années d’un background leur permettant d’être avocats moyennant un stage ! Des acteurs connus de la société, il n’y a que Bagué Hima du NDI, un ex animateur de l’ANDDH vivant depuis des années au Mali qui est cité parmi les signataires en espérant que son sceau n’engage pas son employeur…

La troisième remarque est que le groupe composé des gens vivant dans le pays et à l’étranger n’a aucune homogénéité, aucune affinité entre eux. La plupart n’a pour ciment que la volonté de bloquer l’autoroute de la Présidence qui se déroule sous les pieds de Bazoum. Dans ce manifeste s’apparentant à un « Tout sauf Bazoum », il y a des initiateurs actifs liés à quelques officines politique. Mais certains signataires sollicités par des connaissances l’ont fait machinalement sans réfléchir, les moutons de panurge ça existe partout…. Même s’ils l’ignoraient à l’instar de Monsieur Jourdain de comédie : Le Bourgeois Gentilhomme de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, ils ont été embarqués dans une cabale anti-Bazoum.

Si ces derniers ont été, naïvement, menés en bateau tel ne semble pas être le cas, peu attendu, de Mahamadou Danda. Il s’est assumé dans une interview à Radio WWW.com.@fr. Le gouvernement de cet homme, qui a été deux fois ministres et Premier Ministre de Salou Djibo, n’a pas brillé pour sa bonne gouvernance, la gestion saine des finances et dans les nominations aux postes clefs de l’Etat. Son Chef, Salou ne disait-il pas qu’on ne nomme que ceux qu’on connait ? Quoiqu’il en soit, la mémoire collective nigérienne n’a retenu que dalle de cette transition ou des actes arrachant des sourire, plutôt des rictus, on fait légion. On se souvient de la guéguerre entre lui et son homonyme Laouali Danda, un des signataires, alors, au ministère de l’Enseignement Supérieur. Qu’est-ce qui a bien pu amener l’ex-PM, d’habitude un homme pondéré, à de tels excès ? Il a eu pourtant, l’opportunité d’être mis à l’épreuve des faits ? Peut-être, a-t-il pris parti pour le Général Salou qui l’avait promu Premier Ministre. Cette « Salouphilie » ou fidélité peut-elle expliquer sa « Bazoumophobie » et l’absence de toute objectivité ? Le choix proposé est clair il est entre la stabilité et l’instabilité, le progrès et la régression, le passé et l’avenir. Il n’est pas seulement entre deux hommes mais aussi entre, deux visions, deux programmes. Celui de Bazoum chiffré point par point, secteur par secteur est claire, limpide comme l’eau de roche, il déroule son contrat avec le peuple et décline son ambition sur les 5 années à venir s’il est élu. Mieux, il est disponible et édité sous forme de brochure. Le débat aurait pu porter sur l’analyse critique et la pertinence de ce programme afin d’éclairer le peuple et l’amener à faire un choix raisonné. C’est cette mission qui est attendue des vrais intellectuels, encore faut-il prendre connaissance de son contenu. Au lieu d’une telle démarche scientifique, les intellos autoproclamés rabâchent et plagient un discours dont l’Opposition dispose de l’exclusivité de « la propriété intellectuelle (copyright) ». A continuer à plagier, sans avoir l’honnêteté de la citer, l’opposition risque de leur ravir le qualificatif de élites intellectuelles. Elle est après tout l’auteur des 12 points soulevés par l’Appel.

En la vérité, l’Appel n’est qu’un ultime combat d’arrière garde pour espérer infléchir une tendance électorale inéluctable qui s’est dessinée dès les élections locales et confirmée par les législatives et présidentielles 1er Tour.

Au fonds, à analyser de près, il y a presque une insulte faite au peuple nigérien ou, du reste, aux militants du PNDS et ses alliés bref, tout ceux qui ont voté pour leurs conseillers municipaux, de ville, députés et candidat à la présidence. A croire cette pseudo intelligentsia, les plus de 1.700.000 électeurs de Bazoum ne se sont pas exprimés librement, ils seraient achetés. Ils ne seraient que des « ignorants » et/ou des vulgaires corrompus mus par l’appétit du gain. Autrement, ils auraient voté pour Mahamane Ousmane ! Seuls les psychanalystes pourraient nous expliquer, le mécanisme par lequel on transfert ses propres défauts sur autrui, comme le reussissent, si bien, ces intellos.

Par sa prise de position, le groupe de 120 lance un discrédit à la communauté internationale qui a salué la bonne tenue des élections mais aussi, à plusieurs milliers des observateurs nationaux comme internationaux qui ont scruté le processus électoral, avant, pendant et après les scrutins. Sur la base des faits observés, ils ont qualifié les différentes consultations de libre, honnête, transparent et sincère. Qui faut-il croire de ces derniers et de ces intellos tapis à Niamey ou à l’étranger ? Sur la base de quels faits et preuves mettent-il en cause la CENI et la Cour Constitutionnel,

Le peuple nigérien, les institutions en charge de l’organisation des élections sont fustigés pour n’avoir pas tordu le cou à leurs missions en ne mettant pas en tête leur candidat par défaut. En cela, les 120 se mettent en une situation, presque infra-institutionnelle ? De toute façon nous n’en sommes pas loin. Un groupe aléatoire, sans identité juridique conforme aux dispositions légales et réglementaires en matière associative appelle tous les citoyens partageant leurs points de vue « pour qu’ils se joignent au mouvement ainsi déclenché ». Ce groupe ne s’est pas proclamé comme une Association de Fait pour agir sans statut juridique. Quelque part dans le texte de l’Appel, il est question de mouvement… déclenché. Le terme mouvement est-il employé dans le sens mécanique d’une dynamique ou de celui de mouvement politique qui l’assimilerait à un parti comme le Mouvement, attrape tout de Cinq Etoiles de Vito Crimi en Italie ou la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon ? Si cela cas, ces intellos n’atteindraient la piètre performance électorale d’Amadou Boubacar Cissé : 0,37% !

Le programme politique de l’élite intellectuelle

En attendant que des juristes nous éclairent sur la nature de ce regroupement bigarré, on constate que ces intellos ont un mini projet sociétal. Il y a ce qui fait office de préambule mais disséminé pêle-mêle dans l’Appel.

Concernant le préambule il se résume à : « Face aux graves périls…  à la descente en enfer du pays et à sa déconfiture programmée »… qui risquent de « compromettre jusqu’à l’existence de l’Etat »….

Aussi, face au patati patata, non démontré, qui précède, lesdites élites intellectuelles ont-elles décidé « de jouer un rôle déterminant dans la vie de la nation… », « comme dans la défense de leur peuple contre toute forme de domination … ».

Quant au programme dont on vous fera économie il est un résumé de tous les thèmes des déclarations de l’opposition depuis des années. Il entend relever 12 défis.

Les moyens d’actions sont l’appel aux concitoyens à les rejoindre et à ne pas céder à l’exploitation honteuse de leurs misères et l’ignorance à l’occasion des élections… ».

Rien sur le nom du candidat qui doit porter leur programme, puisqu’eux n’en ont pas. Pourtant, le Généraux Salou Djibo et Tchanga ont eu le courage de dire leur adversaire ! Les intellos, eux louvoient et comme d’habitude, ils feront leur offre de mercenariat puisque leur candidat favori a dû entendre le vacarme de dernière minute de leur Appel.

L’analyse sommaire du préambule de l’Appel montre que ces élites intellectuelles cherchent à créer une panique, une grande frayeur, une catastrophe, voire une apocalypse pire, la disparition du Niger s’il votait pour un des deux candidats. Ce candidat n’est autre que Elhadj Bazoum Mohamed. Cet épouvantail rappelle celle contre les Bolchevick caricaturés avec un couteau entre les dents.  En lieu et place de la peur comme inclinaison des votes en faveur de Ousmane, les intellectuels, les vrais, de Ousmane comme de Bazoum doivent décliner clairement leur choix, comme Zola à l’époque. Ils doivent sur la base des programmes des deux faire un décryptage, une « lecture expliquée », développer un argumentaire pour démontrer aux électeurs par A+ B que leur candidat est le plus porteur de leurs espérances et celles du pays.

La tentative de défendre une position partisane comme une œuvre scientifique en se bombardant comme crème de la crème est une imposture qui n’aura pas d’effet. Elle renseigne, pour paraphraser Marx, sur ce que produire l’intelligentsia de la misère ou la Misère de l’élite intellectuelle.

Je parie une noble vache de Koubouri de N’guigmi contre un famélique caprin peul de Bermo, que ces intellos s’ils avaient vu venir la vague rose qui déferle comme des bisons dans la prairie ils n’auraient jamais produit « leur Manifeste ». Dommage pour ceux qui ont connu dorure et fourrure et qui espèrent encore rempiler. Ils ont misé sur le mauvais cheval et perdu, le MNSD et le MPR viennent d’apporter leur caution à Bazoum. Mathématiquement les jeux sont faits !

Leur Appel n’a pas fait l’effet d’une bombe à l’instar du Petit Livre de Mao ou à l’époque du Manifeste Communiste Les nigériens ont compris que sous leur derme se cache l’épiderme du duo RDR Tchendji/ Lumana. Il y suffit juste de gratter pour le découvrir. Ils regrettent, certainement, de n’avoir pas compris très tôt le simple adage « il y a des moments où le silence vaut de l’or ».

Ali R.Sékou